Il y a peu, je me suis rendu à une séance d’information portant sur le nouveau régime fiscal qui n’a pas fini de désoler le monde paysan : en cas de cessation d’un immeuble agricole en zone à bâtir, la taxe passe, du jour au lendemain, de 7% à près de 50%, souvent l’équivalent de plusieurs centaines de milliers de francs !
La météo était exécrable, en phase avec le thème de la soirée : des rafales de neige, le ciel qui vous tombe sur la tête...
D’ordinaire, la question fiscale aurait attiré un ou deux Municipaux et une poignée de citoyens soucieux de ne pas rater la verrée. Ce soir, la salle polyvalente est pleine. Il faut ajouter plusieurs rangées de chaises. Pas loin de 250 personnes. Des visages de terriens. Très peu de cravates, sinon celles d’élus venus faire campagne et de conseillers fiscaux flairant l’aubaine...
Le public est attentif, concentré. Il fait un immense effort pour saisir les explications de spécialistes pas toujours d’accord entre eux. Sur un écran géant se succèdent les présentations Powerpoint bourrées d’articles de lois, d’acronymes et de jargon juridique (une pensée amusée pour le film Les trois frères, vous savez, lorsque Didier Bourdon, Bernard Campan et Pascal Légitimus sont aux prises avec un notaire qui leur sert du « codicile suspensionné », « émolument compensatoire » et « usufruit de quote-part »).
Souvent conjuguées au conditionnel, les interventions restent prudentes : « a priori pas », « ce n’est hélas pas si simple », « chaque cas est différent », « en droit, la vérité vraie n’existe pas »… Elles s’accordent toutefois que sur un point. Il est inutile de faire recours. Cette loi est fédérale. I-nu-tile.
Quel cauchemar.
Ces paysans qui ont trimé toute leur vie et à qui l’on refuse de vieillir dans leur ferme ! Tous ces gens qui seront taxés sur des sommes qu’ils n’ont pas gagnées ! Qui perdent du jour au lendemain leur deuxième pilier ! Qui devront vendre leurs terrains ou hypothéquer leur maison pour ne pas perdre leur toit !
On parle de centaines de familles concernées. Mais c’est faux. Un jour ou l’autre, toutes les familles paysannes seront concernées par cette imposition. Ceux qui ne paient pas aujourd’hui ne font que repasser la patate chaude aux générations futures. « Le fisc est patient », ose l’un des intervenants.
Malgré tout, l’échange reste cordial. Il faut attendre les deux dernières questions du public, en toute fin de soirée, pour sentir la tension monter : « C’est un scandale ! Une spoliation de nos biens familiaux ! Vous nous parlez d’équité, mais quelle autre profession paie 50% de taxe ?!? »… C’est ce moment que choisissent les organisateurs pour clore la discussion et… lancer la verrée.
Quel cauchemar.
Une loi brutale, mais aussi illégale, puisqu’elle a été promulguée du jour au lendemain, sans préavis ni période transitoire. Une loi qui aurait provoqué des émeutes dans la rue si elle avait touché des salariés syndiqués. Une loi qui ne doit son salut qu’à une immense maladresse appelée « affaire Parmelin » (en 2013-14, le Conseil national et le Conseil des Etats soutenaient encore les paysans dans ce dossier). Une loi qui ramènera chaque année 200 millions supplémentaires à l’AVS et à l’impôt fédéral, une loi tellement mesquine en cette période de « Paradise Papers », quand, au même moment, des milliards sont légalement soustraits au fisc… Une loi honteuse à laquelle il faudrait simplement avoir l’audace de désobéir en masse.