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d Algérie

  • L’Algérie ou l’autre nom de l’hospitalité

    Porte-je la poisse au tourisme algérien ? Le fait est qu'en 2003, alors que je traversais le pays du Sud vers le Nord, 32 touristes suisses, allemands et néerlandais étaient enlevés au nord de Tamanrasset. Cette fois, alors que j’aborde le pays d’Ouest en Est, deux Autrichiens enlevés en Tunisie le 22 février dernier auraient transité par l’Algérie…

    592491200.JPGBILAN Il faut pourtant avouer que le danger numéro un en Algérie a été pour moi… la pluie (les Algériens, incapables de marcher avec un parapluie, risquent à tout moment de vous percer un œil). Sinon – à part les indigestions de couscous du vendredi et les trous dans les routes constantines causés par le vol des bouches d'égout en fonte – pour autant qu’on ne cherche pas à promener sa Toyota dans les zones désertiques reculées, qu’on ne tente pas le diable en Kabylie et qu’on ne se promène pas au milieu de la nuit, les poches bien pleines, dans des quartiers dits "chauds" – on ne voit rien de ce que racontent nos gros titres. Et les leurs (couverture du quotidien La Liberté du12 mars).

    Au contraire. Et mille fois "au contraire", car l’Algérie enseigne à tous les coins de rue le vrai sens du mot "hos-pi-ta-li-té" (et non pas cette hospitalité de "devoir coranique", froide et hautaine, que l'on rencontre parfois en terres d'Islam)...

    Pour saisir pourquoi les hommes d'Etat du monde entier viennent serrer la main du président Bouteflika, pourquoi ce dernier mandate des multinationales par centaines et pourquoi les jeunes fuient le pays au péril de leur vie à bord de frêles embarcations… Pour comprendre comment un état pétrolier et gazier peut se payer le luxe d’une grave crise financière alliant hausse des prix et chômage… Pour éclairer toutes ces contradictions intrinsèques au pays, je vous en remets au très bon site d’information algeria-watch. Pour ma part, je referme la porte doucement en compagnie de l’un des pères de la littérature algérienne moderne, Mohammed Dib (1920-2003) :

     

    OMBRE GARDIENNE

     

    Ne demandez pas

    Si le vent qui traîne

    Sur les cimes

    Attise un foyer ;

     

    Si c’est un feu de joie,

    Si c’est un feu des pauvres

    Ou un signal de guetteur.

     

    Dans la nuit trempée encore,

    Femmes fabuleuses qui

    Fermez vos portes, rêvez.

     

    Je marche, je marche :

    Les mots que je porte

    Sur la langue sont

    Une étrange annonce.

  • De l’Algérie au bidonville de Nanterre

    Sur une place triangulaire qui borde le port de Skikda, au nord-est de l'Algérie, des hommes cassent des cacahouètes, fument ou boivent des cafés refroidis. Nonchalance contagieuse. Soleil couchant dans les yeux et trafic d’hydrocarbure dans le dos, je retarde le moment où je saurai où dormir. Entre deux discussions, je replonge dans Le Déchirement, un bouquin de Mohamed Chaib. Il manque de souffle, même s’il porte sur «l’Algérie en mutation».

    1902027526.JPGSKIKDA Dans une ruelle transversale, l’Hôtel Littoral paraît approprié, mais le réceptionniste en veut trop. La patronne nous rejoint. Le courant passe. Les prix se cassent. Haut plafond (craquelé) et épais rideaux (crasseux) se souviennent d’une époque prospère, mais un carreau de fenêtre manque et l’eau, comme la lumière, est intermittente. «L’Algérie…», lâche simplement la patronne, avec une expression dans les yeux que je ne comprendrai que le lendemain...   

    HARKIS 1962. Djamila a 22 ans. Elle fait de la broderie traditionnelle dans un atelier tenu par une Française. Son mari ne travaille plus dans l’usine alimentaire de «Monsieur Thomas», mais se bat au côté des colons. Il a rejoint les harkis. Ses frères et son père lui en veulent encore aujourd’hui. A la libération (que l’on appelle «indépendance»), il doit emboîter le pas des Français s’il veut sauver sa peau. Djamila reste alors seule à Skikda, avec ses trois enfants.

    BIDONVILE DE NANTERRE Après un an de séparation, son mari a le mal de la famille. Choix cornélien pour Djamila : «soit j’allais vivre en France, soit je perdais mes enfants.» Son père lui conseille de partir. Sa grand-mère ne lui dit pas au revoir quand elle embarque pour l’Europe (une carte d’identité suffisait alors). Elle se souvient encore avec effroi que ce jour-là, il neigeait sur la ligne Marseille-Paris. Depuis la gare Saint-Lazare, son mari l’emmène dans la banlieue parisienne. Elle qui habitait un vaste appartement, rue des Oliviers, à Skikda, se retrouve dans un studio avec ses trois enfants et un mari devenu charbonnier. Et alcoolique. «Pour oublier», ajoute-t-elle, pour le pardonner.

    1636609571.JPGDjamila (photo) place ses enfants chez les bonnes sœurs, tandis que son mari trouve un logement plus grand. Dans le «bidonville» de Nanterre. Une maison de bois et de carton posée sur la terre, sans eau courante ni électricité. «C’est que pour obtenir un logement social, il fallait se faire naturaliser. Je ne voulais pas. Ma nationalité était tout ce qu’il me restait. Je pleurais des jours entiers. Je voulais rentrer au pays, mais mon mari ne voulait pas. Il disait que je ne reviendrais pas…»

    Après sept années passées au bidonville, la famille est accueillie dans un centre d’hébergement, puis parvient à louer un deux-pièces dans le XVIIème arrondissement, où elle vit encore.

    En 1973, Djamila revoit enfin l’Algérie. Elle y restera un mois et un jour. Quelqu’un habite son appartement, ses meubles ont disparu et son père est mort. Retour à Paris.

    C’est lors d’un séjour ultérieur que Djamila rachète un vieil hôtel en ruine, le Littoral. Et puisqu’on ne fait jamais table rase du passé, il y a trois ans, une touriste s’attardait devant l’hôtel. Elle demanda à le visiter. Ce qu’elle le fit religieusement, puis avoua que son grand-père en était le propriétaire. Cette touriste habite… le XVIIème. Les deux femmes se revoient encore fréquemment. A Paris.

    L’EMIGRÉE Djamila est aujourd’hui à Skikda pour superviser les rénovations («les ouvriers mangent l’argent envoyé sans rien faire») et entamer une procédure, afin de retrouver ses biens. Seulement voilà, pour cela, on lui demande des fiches de loyer ou des factures d’électricité. Alors elle cherche. Elle cherche… Il ne lui reste que la nostalgie : «sous les Français, il y avait des arbres, des statues, des parcs fleuris, des cafés, des courses de chevaux. On osait se promener avec des bijoux sur soi…»

     

    A Skikda, on l’appelle «l’émigrée».

  • ANNABA : en cours de révolution

    Vaste esplanade au coeur de la ville d’Annaba, au nord-est de l’Algérie, le Cour de la Révolution est un kaléidoscope, un sismographe, un stéthoscope. Idéal pour tâter l’esprit du lieu.

    COMMERCE D'OISEAUX A une extrémité du Cour, un parc accueille les jeudis et vendredis (le week-end) une foule dense venue vendre et acheter de l’oiseau vivant. On y rencontre des hommes d’affaires qui ne manqueraient pour rien au monde, à huit heures précises, l’ouverture du marché. On se dit "pauvres bêtes en cage". Eux les écoutent amoureusement chanter, estiment délicatement leur plumage, les comparent... Un chardonnet et sa cage pour 1500 dinars. Remplacer RFI par un doux chant matinal ? On y trouve aussi des lapins, des chiots… et des boucs ! Car Annaba est connue pour ses combats (et ses paris) qu’on ne retrouve, me dit-on, qu’en Afghanistan.

    COMMERCE DEVIANTS Devant la gare, à l’autre extrémité du Cours de la Révolution, les échoppes qui bordent le port approvisionnent des voitures qui se succèdent à un rythme soutenu en vin en brique Mouflon d’Or de Tlemcen ou en fioles de pastis Ricard. On trouve également des changeurs de devises au noir qui vous invitent à boire des cafés pour faire les transactions à l’abri des regards. Et refaire le monde.

    Entre les amoureux des oiseaux et les petits commerces déviants, le Cour de la Révolution (photo ci-dessus), kaléidoscope donc. Un homme ramasse des miettes de pains laissées pour les pigeons. Et les mange. Un couple d’homosexuels m’invite à sa table. Le temps passe soudain lentement.  Ils font avec leur langue des mouvements désagréables. Une mendiante assise sur un carton gobe un yoghourt. Défile un nombre étonnant d’Algériens aux cheveux long. Et de femmes aux crinières décolorées. Les terrasses s’appellent Glacier, Etoiles des Neiges ou Ours Polaire (Annaba s’appelait Bône). Des motos électriques amusent des enfants aisés. Une caravane de la Croix-Rouge algérienne cherche à convaincre les passants de faire don de leur sang (Zakat contemporaine). Des photographes publics, un théâtre fermé et des supporters en jaune et noir qui font du bruit.
     
    LIBYE-ALGERIE-MAROC... Il y a enfin Mourad. Pantalons militaires et pin’s américain sur une veste Prada. Il n’est pas du coin. Mon doigt dans l’œil. Cet ancien chef de rang du restaurant L’Horloge, à Tripoli, en Libye (il me dit décortiquer le mérou en sept secondes), est revenu dans sa ville natale pour se faire faire un dentier et repartir à Marrakech, à la reconquête de sa femme, une Marocaine qui l’a quittée il y a deux ans (Mourad récite par cœur les paroles de C’est écrit de Francis Cabrel). Je me trouve un peu ridicule, justifiant ma balade, en sens inverse, du Maroc à la Libye, en passant par l’Algérie, par simple… curiosité ?

    Mourad me fait visiter la vieille ville. Sur la Rue des Surprises, Belmondo aurait mangé au Restaurant Gargantua, aujourd’hui fermé. Un peintre, en train de casser des fèves, me dit bien connaître la Suisse pour avoir passé 24 jours à la prison de Bois-Mermet. Cette ruelle, Mourad me déconseille de m’y aventurer… Mourad, allons voir la mer… On finit donc de faire et refaire le monde au café Dauphin, sur la Corniche, autour d’un shisha que nous prépare une sympathique serveuse, diplômée en psychologie, qui n’a pas trouvé d'autre emploi. Elle ne se plaint pas. Des amies à elle "travaillent" dans les nombreux cabarets de la Corniche. Certaines pour rembourser leur dot et pouvoir ainsi divorcer. Code de la Famille oblige.

    Mais je m’égare encore. Avant tout, Annaba est réputée pour les ruines antiques d’Hippo Regius ! …juste fabuleuses. La cité rien que pour moi. Assez d’espace et de calme pour imaginer la ville, parcourir ses ruelles... La première photo montre la signature gravée sur le sol d’un bienfaiteur de la ville ("C Paccius Africanus") nommé proconsul par l’empereur Vespasien en l’an 78. La seconde, la basilique Saint-Augustin (qui vécu ses dernières années à Annaba), construite par les Français entre 1881 et 1900. A son pied, un théâtre romain du Ier siècle, dont la scène serait la plus vaste de tous les monuments du genre en Afrique du Nord. Juste fascinant.

  • Constantine : DE l’AIR !

    Dans un ascenseur bondé, sous un petit ventilateur, un contrôleur vend son lift trois dinars et remet de petits coupons bleus. On entre chez lui, rue Larbi M’Hidi, dans la médina de Constantine. On en sort sur le Pont Mellah-Slimane (photo). Une centaine de mètres de longs pour deux de large. Un plancher qui oscille aux heures de pointe. On marche à droite. Les petits billets bleus dessinent dans les gorges du Rhummel un bel effet pointilliste.

    CONSTANTINE La "Ville des ponts suspendus" a pris le nom de l’empereur qui l’a faite reconstruire en 311 après Jésus (311 avant Mahomet). Arrivé de l’autre côté du pont Mellah-Slimane, une plaquette se souvient de son nom d'origine. Passerelle Perregaux. Inaugurée en 1925 par Maurice Violette, alors Gouverneur général d’Algérie. Avec Léon Blum, il avait voulu accorder aux Algériens le droit de vote et la nationalité française, en 1936 et en vain.

    De là, beau point de vue. Me voyant prendre une photo, un du coin me lance ironique : «ça, ce sont les Français ! Les Algériens sont trop paresseux pour construire ce genre de choses…». Puis s’en va d’un grand rire. On distingue, dans la périphérie, l'université de Constantine, un complexe dessiné par l’architecte brésilien Oscar Niemeyer. Un bâtiment rappelle une calculatrice posée sur une tranche, un autre, une règle, un taille-crayon… étonnant et de très bonne réputation. Plus près, un bidonville qui, selon le vendeur de cigarettes au détail, sera bientôt rasé. On pourra toutefois conserver les paraboles : 

    Sur la corniche, en contrebas de la route, des retraités tapent le carton, en écoutant (fort) du malouf, de la musique arabo-andalouse, du crû. Un régal. Autour, des pistes de pétanque envahies par la végétation.

    ENRICO MACIAS Sur le Pont el-Kantara, des jeunes vendent des décorations pour téléphone portable, des paires de chaussettes et des lunettes de soleil. De l’autre côté, l’ancien quartier juif (plus grande communauté juive d’Afrique noire, Constantine s’appelait aussi "La Jérusalem du Maghreb"). On me dit qu’ici, rue Thiers, au deuxième étage, vivait Enrico Macias. "Il répétait sa guitare un  peu plus loin au bord de la corniche..." Avant qu'il ne quitte le pays en 61. On l’attendait le mois dernier dans la "caravane" Sarkozy, mais au dernier moment, une déclaration plutôt maladroite (quelque chose comme "je veux voir le pays qui a tué ma famille…") l’a désigné comme persona non grata (ce qui n’empêche pas mon cybercafé de passer ses tubes, dur, très dur ce voyage).

    TELEPHERIQUE Un pan de cet ex-quartier juif vient d’être rasé pour achever un "grand projet". Vingt-cinq ans qu’on en parle. Un téléphérique reliera la médina à l’hôpital, de l’autre côté de la gorge, puis à la cité Emir Abdelkader, ex-faubourg Lamy. L’inauguration est prévue pour le 16 avril. Personne n’y croit. Et certains jurent mordicus qu’ils ne mettront jamais les pieds sur, je cite, "cet engin de mort". Ce sont des Suisses de l’entreprise Garaventa qui ont fourni et assuré le montage de l’installation.

    Le téléphérique s’ajoute à d’autres "grands travaux" : une ligne de tramway, qui se fait aussi attendre, un pont supplémentaire, algérien cette fois-ci, deux hôtels haut de gamme, Ibis et Novotel, et une cité universitaire. Des arbres pour cacher la forêt. Car Constantine souffre du manque d'une multitude de "petits travaux". Coupures et fuites d’eau, etc. On apprend que les canalisations seront retapées par une société chinoise. La Marseillaise des Eaux fera le suivi.

    De grands travaux ostensibles donc pour masquer la misère discrète de ceux qui attendent le tournant sur la place du 1er Novembre (photo). Dans la cour des petits, on achète une cigarette à l’unité au lieu d’investir dans un paquet. Dans la cour des grands, on fait venir les Chinois pour être sûr que le travail soit fait à temps. Ou fait tout court.

    Contrairement à ce que l'on dit au Nord, l’animation des places publiques n’est pas bon signe… mais laissons cela, voulez-vous, et laissons-nous aveugler par la beauté de la "Cité de l'Air" ! 

     

    Forteresse naturelle, cirque de pierre, nid d’aigle ouvert aux quatre vents, conte de fée sous toutes les lumières du jour, "île volante de Gulliver"... Un dicton local dit : « Bénissez la mémoire de vos aïeux qui ont construit votre ville. Les corbeaux fientent ordinairement sur les gens tandis que vous fientez sur les corbeaux... »

  • VOIR TIPAZA ET...

    S'extraire d'Alger, sillonner la côte, ses plages, ses corniches, ses cultures entrecoupées de palmiers, de roseaux et de vignes qui courent vers la mer. Au kilomètre 70, l’imposant djebel Chenoua annonce déjà… TIPAZA!

    Celui qui d’ordinaire n’aime pas les "vieilles pierres" doit admettre que cette cité réputée pour ses vestiges romains en bord de mer est divine. Un parterre de mosaïques ensablées, des pins qui ont pris la forme du vent, des ruines gagnées par la végétation et redevenues pierres, des moutons, un amphithéâtre, des tamaris, une basilique, des cyprès, des thermes, des oliviers, un forum, des eucalyptus, un capitole. Le plus parlant est encore le vestige d’une simple maison bâtie à un jet de la mer. Les Romains, ces épicuriens.

    La mythologie dit vrai. La vie est bien née de l’eau et du soleil.

    Hélas, si les murailles et les trente-sept tours de Tipaza ont contenu les Vandales, le site a succombé à une horde d’un autre ordre. Armés de flacons (qui rappellent les oenochées romaines), les Algérois boivent et reboivent, puis cassent le verre sur la pierre. Certains préfèrent consumer du marocain, en assurant que Tipaza est la ville de tous les idéaux.
    Idéal de l’amour aussi, car le site ne se visite presque que par deux. De jeunes couples non mariés empruntent des sentiers escarpés, ne serait-ce que pour soutenir les hanches de madame, puis se planquent derrière les bosquets. Les solitaires, eux, sont plus grossiers. Leurs frustrations ont les contours d’un vagin et d’un pénis dessinés sur des colonnes du deuxième siècle. Pire. Entre les ruines de la nécropole, plus à l’est, des filles attendent. De midi à 17 heures. Ce sont des prostituées.

    Contre l’envahisseur, des pancartes. "Vous avez obligation à vous abstenir de culbuter et, déplacer toutes pierres, d’escalader les murs et les amphores, d’écrire sur les pierres et les plantes." Contre l’envahisseur aussi, des gardiens. L’un, de Kabylie, en a gros sur le cœur. Les déchets ? La faute des chèvres, des rats et des Arabes!

    En retrait, une stèle honore l’auteur des Noces de Tipaza ("Les Dieux parlent dans le soleil et l’odeur des absinthes, la mer cuivrées d’argent, le ciel écru, les ruines couvertes de fleurs et la lumière à gros bouillon dans les amas de pierre…"). Albert Camus, enfant de Belcourt, banlieue défavorisée d’Alger, gardera toujours des séquelles de ses virées à Tipaza. "JE COMPRENDS ICI CE QU'ON APPELLE GLOIRE, LE DROIT D'AIMER SANS MESURE" Cette citation gravée par son ami Louis Benisti sur la pierre est digne du lieu (même si on s’étonne du ton péremptoire, lui si dubitatif, toujours ébloui et pas sûr d’avoir bien lu), mais les alentours font peine à voir. La végétation a été défrichée pour des raisons sécuritaires, avant la visite éclair de Nicolas Sarkozy, en janvier dernier. Il avait finalement choisi de ne pas s’aventurer jusqu’à la stèle. Les Tipaziens disent qu’il aurait eu peur des "Sarkophage". Même les mouettes en rient...
    Dans cette petite ville qui ressemble à un village, tous se disent des amis d’Albert. "Il venait souvent au Café des Pêcheurs", "J’allais lui porter des bouteilles d’eau", "Il écrivait là , des fois là" ... Il n’a pas écrit une seule ligne à Tipaza :

    "Il me suffit de vivre de tout mon corps et de témoigner de tout mon cœur. Vivre à Tipaza, témoigner, et l’heure d’art viendra ensuite. "

    Même si toute l’œuvre d’Albert Camus ne cite pas une seule fois le prénom d’un Arabe - des silhouettes fugaces, des décors mystérieux, mais pas d’Arabes chez Camus ! - je remplacerai peut-être bientôt Le Dedans et le Dehors de Bouvier par L’Envers et l’Endroit de Camus. De ses mots pour la route :

    "Le destin du peuple algérien, je ne crois pas me tromper en disant qu’il est à la fois de travailler et de contempler, et de donner par là des leçons de sagesse aux conquérants inquiets que nous sommes."

    "Des hommes jeunes sur une terre jeune proclament leur attachement à ces quelques biens périssables et essentiels qui donnent un sens à notre vie : mer, soleil et femmes dans la lumière."

    "Devant la mer, dans le vent, face au soleil, enfin libéré de ces villes scellées comme des tombeaux."

    "C’est une grande folie, et presque toujours châtiée, de revenir sur les lieux de sa jeunesse et de vouloir revivre à quarante ans ce qu’on a aimé ou dont on a fortement joui à vingt..."

    _______________________________________________

    TIPAZA

    en front de mer

    il attend la nuit

    puis fait de petits pas vers la sortie

    en vérité il cherche la sortie - sommeil

    condamne son âme aux petits pas sans trêve

    refuse la sépulture

    et lézarde au soleil sur une pierre qui donne sur la mer

                            

    un talisman - le tiens

    murmure l’histoire de leur mer

    amène au poème un peu d’eau

    reste encore un peu s’il te plaît

    la mosquée le sollicite

    démasque sa latitude

    illisible quotidien La Liberté tellement le soleil

    manuscrit épais écrit trop petit

     

    je nordique et laineux

    silencieux aux souliers inappropriés

    cuir solide sur peau transparente  

                    

    - à Tipaza l’oeil clair ne comprend plus pourquoi leurs corps se noient vers le nord -

     

    tu conscience tranquille

    perles noires refermées tout au fond de la mer

    tu ne rêves plus     

     

    sur mes paupières

    le soleil arabesque

    ce n’est plus du temps perdu

    ombre tourne bien

    mer pas une ride

    ruines redevenues pierre

    pins en forme de vent

    pive algue guano noyau d’olive

    "à la phénicienne" coude sur la pierre

    un peu d'eau et un morceau de pain "grand comme le bras"

    promesse de bonheur    

     

     - l’étranger passe tu demeures antique -

     

    si physique est l’envie d’aimer qu’on finit par y plonger  

     

    crié

    ébats

    baptême

    BH

  • Quelque part entre l'Algérie... et la Russie ?!?

        

    Le titre farfelu de cet article est né autour d’une table ronde, dans un café de Bab-el-Oued dont j’ignore le nom. "Les Algériens ont l’humour qu’ont développé les Russes à l’époque soviétique…" En compagnie donc d'un vieux de la vieille au verbe plaisant. "C'est un peuple d’anarchistes. Je ne serais pas surpris de voir dans les grands hôtels d’Alger un homme d’étage répondre à un client…" Le tourisme ne serait-il simplement pas compatible avec l'Algérie ?!? "Vous comprenez, les Marocains et les Tunisiens [chacun 7 millions de touristes en 2007] n’ont connu que le protectorat. Nous, on a dû lutter contre une colonie de peuplement…" Vrai que je n’ai toujours pas rencontré un seul touriste en Algérie.

    La Russie et l’Algérie. Nostalgie d’une grandeur perdue. L’ère soviétique ou les années 80 algériennes. Puis de sombres années 90. Vladimir Poutine et son homologue algérien, Abdelaziz Bouteflika, s'en sont peut-être souvenus lors de leur rencontre à Moscou en février dernier…

    Pour rejoindre Constantine, je m’offre un bus dit "luxe" (c'est-à-dire un bus qui ne s’arrête pas dans chaque ville, avec un toit imperméable et des vitres presque transparentes). Hélas, une télévision grésille. Avant de démarrer, défilé des vendeurs de mouchoirs, de gaufrettes et de chewing-gum, puis quelques mendiants qui racontent leur calvaire dans l’indifférence générale. On installe des chaises en plastique dans le couloir pour les derniers passagers. C’est parti.

    Architecture mondialisée. Recherche la ligne droite et de l’angle droit. Ce ne sont, villes comme campagnes, que des boîtes de brique et de ciment posées sur la terre, les unes sur les autres, ou les unes à côtés des autres, selon les moyens. Comme en Asie, comme en Amérique latine. Architecture de l’urgence, du meilleur marché, toujours avec la possibilité de rajouter un étage si la chance tourne. 

    Sur l’écran grésillant, un film américain en français, une histoire de mafia russe, de boxeur noir injustement mis dans une sorte de goulag et d’héroïne cachée dans une bible. Par la fenêtre, des conducteurs supplient des policiers de les laisser repartir. Des enfants attendent dans la voiture. J’y repenserai au quatrième barrage, lorsque un policier s’apercevra que notre chauffeur n’a pas daté les billets de transport. Prétexte à un contrôle général. Tout le monde dehors. Traitement spécial pour l’étranger qui doit vider intégralement son sac. Vague relent de Russie… Et comme toujours, tout le bus désolé qui s’excuse et cherche à faire pardonner son administration par des mots gentils. Comme en Russie.

    Des cultures de mandariniers, des gorges impressionnantes, des stands qui vendent de l’artisanat berbère (se souvenir qu’historiquement, les Algériens sont soit des Berbères, soit des Berbères arabisés...), des cigognes sur les minarets, un drapeau chinois sur un chantier et toujours des miradors sur les plus haut sommet pour gâcher la vue. Après quatre heures de route, la ville de Sétif. Contre ses murs, le président d'une "démocratie populaire" :

    TROISIEME MANDAT Si Poutine n’a pas osé s'offrir un troisième mandat, Bouteflika est plus entreprenant. Un "terrorisme médiatique" (le président a le monopole de l’imprimerie, du papier et de la publicité) et une clique de généraux bien en place depuis l’indépendance, sont en train de confirmer une révision de la Constitution algérienne qui offrira en 2009 un troisième mandat au président. 

    OPEP DU GAZ Autre pont entre les deux pays, le gaz. L'Algérie est le deuxième exportateur mondial. Une coopération économique importante unit le groupe russe Gazprom et le groupe algérien Sonatrach, mais les deux pays n'ont pas su s'entendre sur une "Opep du gaz" chère à la Russie. L ’Algérie a décliné l’offre (ou du moins reporté de quinze ans) : une déclaration surprenante qui intervient peu après la visite en Algérie de Nicolas Sarkozy (décembre 2007). Ce dernier annonçait la signature de contrats en Algérie pour 5 milliards d’euros, avant tout sur le gaz naturel et Gaz de France concluait un accord pour la fourniture de gaz naturel liquéfié par Sonatrach jusqu’en 2019…

  • La Casbah de votre choix

                         Casbah blanche des touristes

                          en mal de romantisme...

                                            Laadi Flici (poème en commentaire de l’article)

     

    ALGER Explosions à répétitions, rue Amar Ali, aux portes de la Casbah. La pluie annonce enfin la fin des hostilités. On remballe les boîtes de pétards made in China sur l’emballage desquels Zinedine Zidane ("traître à la nation" ou "héros", c’est selon) assène son magistral coup de boule. Ou sur l’emballage desquels Saddam Hussein, en complet cravate, arbore fièrement un fusil dans chaque main. Pour information, les pétards de tout type sont strictement interdits sur le sol algérien, mais, comme Jean Gabin dans Pépé le Moko (Julien Duvivier, 1937), les vendeurs en pyrotechnie savent qu'ils sont ici en lieu sûr. Dans la Casbah, ils craignent davantage la pluie que la police. Ainsi sur une centaine de mètres, à gauche comme à droite, ne s’alignent que des commerces de poudre. Oui, on peut s’étonner de l'engouement pour les explosifs dans un pays où ça "pète" véritablement encore chaque semaine, pas loin, en Kabylie. Ou à Alger, en décembre dernier.

    Ce n’est pourtant pas les nuisances sonores qui désespèrent la Casbah, mais les problèmes d’eau, de propreté, d’hygiène et surtout les frais de restauration. Comme dans presque toutes les médinas du monde arabe.

    Avant d’affronter l'inclinaison des ruelles, quelques femmes dévoilées se recouvrent. Les hommes, quant à eux, s’évertuent dès lors de saluer tout le monde, absolument tout le monde. Baguette de pain, sac plein de haricots, journal ou sachet de lait dans la main, ils ralentissent la cadence. A travers les rares fenêtres entrouvertes, une chaîne francophone parle de territoires palestiniens et un enfant pleure à grosse larme. Pas deux ruelles semblables. On peut marcher des heures. Grâce à la pente, impossible de se perdre. De toute manière, la Casbah est si dense qu’elle est toute petite. Une cinquantaine d'hectares tout au plus. On marche des heures, de plus en plus lentement, si bien qu’on finit par s’asseoir. On aimerait pousser des portes, voir à l’intérieur, rencontrer, mais les habitants de la Casbah n’ont pas l’accueil facile. Les étrangers qui parlent français ne sont pas de très bons souvenirs. Alors devant des portes fermées, des ruelles obscures et des bribes de discussions inaccessibles, on fait marcher l’imagination. On peut faire dire n’importe quoi à la Casbah. Comme à tout lieu à forte densité symbolique. Bastion traditionnel, quartier en loques, coupe-gorge, havre de paix...

    Il y a... une dizaine d’ouvriers d’Afrique noire qui cassent la croûte assis sur des cageots et des briques près d’un chantier de rénovation. Le résultat d'une prise de conscience de la richesse culturelle de la Casbah, "l’âme d’Alger", car des 1700 douérates enregistrées dans les années 80, il n’en subsisterait que 800, dont 300 menaceraient de tomber en ruine, me dit un membre de l’association Sauvons la Casbah. Excepté le "parcours touristique", consacré aux visites des officiels, la vieille médina hurle sa peine. L’Unesco, qui l'a classée sur sa liste en 1992, a averti qu’elle annulerait ce classement si les autorités algériennes ne la restauraient pas. Le ministère de la Culture verse donc de grandes sommes à des aâqaqria (charlatans). Sur un mur, une inscription dit "Fondation Casbah = voyous"…

    Il y a... la mer au tournant de chaque rue et le soleil oblique. Il y a la fraîcheur des passages, la blancheur de la chaux, l’architecture courbe, les rues dépouillées de tout superflu, les palabres sans fin au coin des échoppes et cette "misère harmonieuse" qui nous plaît tant…

    Il y a... le chômage pour une jeunesse qui investit ses derniers dinars dans un tube de gel, une paire de lunettes à soleil et un training Sergio Tacchini, en attendant mieux…

    On l'a compris, la force des dédales de la Casbah est intacte, mais son éclat se dissout. On peut toutefois choisir de voyager "en noir et blanc" et ne rien perdre en romantisme.

    Bastion traditionnel, quartier en loques, coupe-gorge, havre de paix... Cochez la Casbah qui vous convient !

  • L'Art au féminin

    Prenant pour cible un parterre de toques masculines, des lèvres criardes laissent échapper la fumée d’une cigarette que l’on ne verra jamais sortir des lèvres d’une Algérienne, dans les rues  contemporaines... Une installation multimédia de l’artiste Jordanienne Hilary Hilda.

    Musée National d’Art moderne et contemporain d’Alger (MAMA) L’exposition "L’art au féminin" présente les créations d’une vingtaine de femmes de huit pays dits "arabes" (Algérie, Egypte, EAU, Jordanie, Liban, Maroc, Palestine, Tunisie). Du concret, du revendicatif, de la chair, de la rage et peu de mensonges derrière les formes. Ainsi le cours-métrage Peace activists and Israël Tank de la Palestinienne Larissa Sansour, le photomontage Rainbow Love (deux ombres de femmes s’embrassent) de l’Algérienne Zoulikha Bouabdellah ou l'installation Invisible de Karima Mohammed El Shomaty, des Emirats :

    Les deux niveaux du MAMA ouverts à ce jour contrastent avec la cohue de la rue Larbi ben M'Hidi, mais attirent beaucoup de curieux mi-étonnés, mi-amusés. Initié par le projet "Alger, Capitale de la Culture Arabe 2007", le musée a emménagé dans une ancienne structure commerçante, les luxueuses Galeries Algériennes, un somptueux édifice de style néo-mauresque :

    A l’étage inférieur, on vient de vernir l’exposition "Maghreb, nouveau design". Côté vestimentaire, la robe Raphia teinté au henné sur soie du designer marocain Nourredine Amir. Côté mobilier, une table communautaire et ses six tabourets en mousse polyéthane expansé du designer algérien Abderrahim Dorbani. Côté culinaire, les sept tajines multicolores de l’Algérienne Samia Merzouk…

    On y découvre une création lavée des canons de l’orientalisme (le monde arabe comme objet artistique et décor d'inspiration). Le MAMA rappelle que le groupe "Art et Liberté", se réclamant du surréalisme, se créait au Caire… en 1938 ! 

    Le lieu amène surtout un peu d'air à un quartier commercial jadis carrefour culturel. Les anciens se souviennent de son animation nocturne, de sa cinémathèque et des débats qui finissaient à trois heures du matin... Aujourd'hui, quasi couvre-feu à 22 heures ! 

    Le MAMA ouvre-t-il une brèche ? En face de lui, la Cinémathèque algérienne devrait être "rafraîchie" et il est question de relancer le Petit Théâtre de la rue Harrichet, derrière le musée, fermé depuis au moins vingt ans...

  • Que nous reste-t-il de Poste restante ?

    Des bouteilles à la mer, des étapes, mieux, des oasis où se désaltérer, changer de cheval et repartir...  Empli d'un romantisme périmé, je m’enfile dans l’impasse qui jouxte la Poste centrale d’Alger, emprunte des escaliers que l’on croirait "de service", passe en revue des lignées d’armoires à petits tiroirs numérotés et apostrophe, de l’autre côté d’un guichet poussiéreux, un barbu et une voilée qui lisent chacun un feuillet d’un même quotidien. 
    Poser le journal. Lever les yeux. La verticale prend du temps. Comprendre mon nom. Le barbu met en mouvement le tourniquet (photo), lentement, à la lettre "H", puis à la lettre "B", puis à la lettre "O", puis à toutes les lettres. Le tourniquet est presque vide. Mes espérances, pas beaucoup plus. Dans le cahier manuscrit intitulé "Poste restante recommandés" - un mois correspond à un petit paragraphe - rien non plus. Plus qu'à inscrire "Poste restante, Le Caire, Egypte" sur un bout de papier, payer un affranchissement et leur demander de faire suivre. Si jamais. Pas affranchi pour un sou, m’en vais. Comprenant ma déception, la voilée partage son croissant en deux et m’en propose la moitié.

    Merci toi pour ces lignes... Un courrier clandestin erre entre deux continents. C’est comme ça. Au siècle XXI, on voyage instantané. La preuve là tout de suite.  A Oran, j’ai lu dans le Journal de Morges que la ville manquait de mamans de jour. Dans le bus pour Alger, un jeune m'a montré sur l'écran de son téléphone une photo de dauphins que lui a envoyé un ami harraga en train de "brûler" la frontière. Arrivé dans la capitale, un Algérien de Pontarlier me propose ses services pour me guider dans Constantine !!!


    D’architecture néo-hispano-mauresque, l’édifice postal valait à lui seul le détour, non ? A l’intérieur, "avis aux clients : rechargement automatique des lignes Mobilis via le compte courant postal CCP". N’y comprends rien. Ce doit être la langue de notre siècle. "Western Union, the fastest way to…"  Vingt-six guichets - je les ai comptés - se regardent sous un dôme serti de lustres. Une seule ampoule fonctionne par lustre et les plantes vertes sont en plastique, mais il y a du marbre sur les guichets en bois massif. Au final, pour ne pas rentrer bredouille – cette satanée éducation matérialiste - un touriste fait bien rire l’assemblée en photographiant la plus belle boîte aux lettres qu'il n'ait jamais vue :

  • Cette goutte d’eau qui évite de crever en mer...

    Sa peste se propageait à Oran. Furtif locataire du 65, rue Larbi-ben-M’hidi, Albert Camus n’a jamais pardonné à la ville de tourner le dos à la mer.

    ORAN C’est chose faite. La wilaya s’est offerte une promenade en front de mer et les jeunes ne pensent plus qu’à çà. Ils sont hantés. L’Azur! L’Azur! L’Azur! Saïd, lui aussi, a bien failli succomber aux chants des sirènes et embarquer pour l’Europe... mais j’anticipe.

    Point de départ, le quartier de Sidi el-Houari, le Vieux Oran adossé au djebel Murdjadjo, plus précisément dans la cour de la mosquée du Pacha (photo) qu’un minaret domine du haut de ses deux siècles. Il en a vu du pays.

    Même si le quartier juif a la face décrépite, si trois siècles d’occupation espagnole n’ont presque pas laissé d’hispanophones, si le kiosque et la gendarmerie des Français sont obsolètes, le Vieux Oran est un concentré méditerranéen dont les influences dépassent de loin les frontières algériennes.

    A l’image de l’église Saint-Louis. Bâtie par les Espagnols sur les ruines d’une mosquée, elle est devenue synagogue sous les Ottomans, cathédrale sous les Français, puis bibliothèque pour les enfants après l’Indépendance. Aujourd’hui, j’y rencontre un homme assis sur les marches de l’édifice. En ruine. L’homme hèle un enfant. Il ira chercher celui qui a la clef pour voir dedans. Merci. Entre temps, un de ses amis klaxonne. Il gare sa voiture. Ah, tu veux monter au fort ? Il ouvre une portière. Il s’appelle Saïd. Au deuxième virage, il téléphone à sa femme pour la prévenir qu’il y aura un invité pour le couscous (c’est vendredi). Merci. Au policier qui garde la route, il glisse deux cigarettes. Il dit que c’est un pauvre malheureux.

    Perchée à 400 mètres en dessus de la mer, la vierge  surplombe Oran. La basilique Notre-Dame-du-Salut (photo ci-dessus) fut construite pour remercier le ciel d’avoir fait miraculeusement tomber la pluie et stopper l’épidémie de choléra qui avait décimé la moitié de la population en 1850. A travers ses voûtes, on distingue le Fort Santa-Cruz (photo ci-dessous), empreinte espagnole. Un peu plus loin enfin, le marabout de Sidi Abd el Kader reçoit de fréquents visiteurs soucieux de mettre la chance de leur côté.

    Mais le temps passe et Saïd ne manquerait la prière pour rien au monde. On file. Il habite à deux pas de la mosquée du Pacha. Je regagne donc sa petite cour et vous écrit cela pendant que les hommes prient.

    Après le couscous, les deux enfants aînés de Saïd (photo) veulent jouer à la Playstation, mais papa préfère voir les informations. Il est question de 34 harragas repêchés au large des côtes algériennes. Traditionnel exercice de comptabilité. Les policiers brandissent les sanctions, les marins ne comprennent rien et les économistes s’étonnent que l’esprit d’initiative, le courage et le travail d’équipe que requiert l’organisation d’une telle aventure ne se retrouvent pas dans l’économie du pays. Saïd ne pipe mot.

    Lui aussi rêvait d’Europe. L’Espagne est à 182 kilomètres. Le syndrome Yves Saint Laurent. Cet Oranais exilé. Heureusement pour lui, un projet Nouvelles Frontières lui a permis de suivre une formation en Italie. De retour au pays, il fonde l’Association du Dauphin d’Or qui propose des cours de sensibilisation contre l’immigration clandestine. En quatre ans, une vingtaine de jeunes ont ainsi appris à pêcher. Ce n’est qu’une goutte dans la mer, tu comprends, mais...