Un escabeau pliable, une clé de 10 et un tournevis plat. Ils l’ont fait en plein jour, pour provoquer le dialogue… et montrer que si cet acte est (un peu) illégal, il est 100% légitime.
Ils l’ont fait ensemble, un paysan et sa fille, celle qui va «reprendre» : ils ont suspendu les vieux souliers du grand-père sur un panneau retourné. Et puis, ils ont pris une photo pour alimenter le groupe Facebook «Révolte agricole suisse»… même si l’employé communal remettra bientôt le panneau à l’endroit («ça fait quand même chenil»).
Certes, pas l’ombre d’un tas de fumier devant le Palais fédéral, pas d’opérations coup-de-poing dans les Migros, les Coop. Une trentaine de tracteurs à Plainpalais samedi dernier, un seul véhicule à la Riponne mercredi matin. Et toujours pas de manifestation à Berne.
Alors on rit de cette «révolte à la Suisse» en couverture du dernier Vigousse et dans l’émission 52 Minutes. On se moque de l’Union suisse des paysans, héroïque, qui publie une pétition… en ligne (qui aura l’effet de toutes les pétitions en ligne : aucun). Et ces parlementaires soudain tellement solidaires… qui ont pourtant validé tous les accords de libre-échange et n’ont jamais osé bousculer la grande distribution.
Ces derniers mois, chaque fois que je demandais à des paysans pourquoi ils ne se révoltaient pas plus, ils me répondaient : on n’a pas le temps ! Il y a évidemment d’autres raisons. Il est difficile de s’en prendre à ceux qui achètent leurs produits, même à très bas prix ; les dernières grèves du lait n’ont rien donné ; les blocages ne font pas partie de notre culture ; et peut-être qu’il existe aussi un manque de solidarité dans la profession, une tendance à la victimisation passive, à l’intériorisation de cette colère…
C’est pour cela que ces quelques panneaux retournés font du bien. C’est peu de chose, mais assez pour faire naître des discussions. On va interroger le voisin paysan. On en parle au boulot, au bistrot. Les journaux ne parlent plus uniquement de micro-coopératives écoresponsables, ils se passionnent pour l’agriculture majoritaire, ils donnent enfin la paroles à des gens du métier.
Je me souviens d’une phrase de l’ancien aumônier des paysans, Pierre-André Schütz : «Ceux qui ne savent pas se répandre (en paroles) sont de bons candidats pour se pendre».
Par ces panneaux retournés, le monde paysan – asphyxié par la paperasse, les coûts de production, le manque de considération – fait entendre sa voix. Tant mieux. Il semblerait même qu’une partie de la population éprouve un début de sentiment de reconnaissance : on a besoin de vous… vous êtes utiles… on est avec vous.