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Travailler de ses mains

Cela se passe en soirée dans une librairie de Morges. Deux artisanes décrivent leur métier ; l’auditoire est captivé.

La courtepointière (quel joli mot) dit qu’il n’y a plus qu’une seule place d’apprentissage dans tout le canton, que l’entreprise qui l’employait a peiné à trouver une remplaçante lors de son départ à la retraite.

23.jpgLa tatoueuse décrit le problème inverse ; il y a tant de « tatooshops »  autoproclamés qu’il est difficile de conserver sa clientèle, malgré trente années d’expérience (elle était l’une des premières tatoueuses de Suisse).

Les deux femmes ont des dégaines aux antipodes ; elles ont en commun le besoin de se servir de leurs mains (même pour parler), d’en avoir fait leur métier. Elles se racontent, s’ouvrent, et ça fait du bien.

Car depuis trois siècles, l’humanité n’a d’yeux que pour les nobles quêtes de l’esprit : la mémoire, le lexique, la vitesse de raisonnement, le pouvoir d’abstraction. On méprise le travail manuel. On préfère rester assis, les yeux rivés à l’écran, les mains sur le clavier (comme moi en vous écrivant cela).

L’artisanat est devenu la basse besogne de celles et ceux qui étaient distraits à l’école, nuls en grammaire, trop lents en calcul, juste bons à se servir de leurs pauvres mains.

Quelle absurdité !

Dès la naissance, on a appris à réfléchir en observant, en touchant, en manipulant. Tous les enfants ont connu cette effervescence artisane, cette ferveur créatrice : coloriages, découpages, bricolages.

J’y crois dur comme fer : celles et ceux qui travaillent avec leur corps sont plus à même de penser le monde. Il y a une correspondance entre l’intelligence et la manière dont on se sert de ses mains. Quand la tête travaille toute seule, il y a de sérieux risques de dissociation, d’évaporation. On perd pied, on s’en remet aux microprocesseurs, aux moteurs de recherche, à l’intelligence artificielle…

Alors, ces prochaines semaines, dans les marchés de Noël et les boutiques, réservez bon accueil à celles et ceux qui savent encore fabriquer de leurs mains des objets uniques, à partir de matériaux nobles, avec de drôles d’outils qui ont de jolis noms.

Ou mieux, poussez la porte de leur atelier ; profitez de ces établis en désordre, ces odeurs de cuir, de bois, de papier, de pierre, de tissu, de verre, ces matières que l’on a aussitôt envie de caresser, de travailler…

20221115 ARTISANES_COURTEPOINTIERE_00336.JPGLa courtepointière et la tatoueuse ont maintenant un verre de vin à la main. Elles parlent de leurs valeurs profondes, se remémorent ce moment de leur vie où elles ont choisi de faire quelque chose qui ait un sens. Un travail qui fait grandir. Le contraire de l’aliénation.

Photos de Vincent Guignet

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