Vaste esplanade au coeur de la ville d’Annaba, au nord-est de l’Algérie, le Cour de la Révolution est un kaléidoscope, un sismographe, un stéthoscope. Idéal pour tâter l’esprit du lieu.
COMMERCE D'OISEAUX A une extrémité du Cour, un parc accueille les jeudis et vendredis (le week-end) une foule dense venue vendre et acheter de l’oiseau vivant. On y rencontre des hommes d’affaires qui ne manqueraient pour rien au monde, à huit heures précises, l’ouverture du marché. On se dit "pauvres bêtes en cage". Eux les écoutent amoureusement chanter, estiment délicatement leur plumage, les comparent... Un chardonnet et sa cage pour 1500 dinars. Remplacer RFI par un doux chant matinal ? On y trouve aussi des lapins, des chiots… et des boucs ! Car Annaba est connue pour ses combats (et ses paris) qu’on ne retrouve, me dit-on, qu’en Afghanistan.
COMMERCE DEVIANTS Devant la gare, à l’autre extrémité du Cours de la Révolution, les échoppes qui bordent le port approvisionnent des voitures qui se succèdent à un rythme soutenu en vin en brique Mouflon d’Or de Tlemcen ou en fioles de pastis Ricard. On trouve également des changeurs de devises au noir qui vous invitent à boire des cafés pour faire les transactions à l’abri des regards. Et refaire le monde.
Entre les amoureux des oiseaux et les petits commerces déviants, le Cour de la Révolution (photo ci-dessus), kaléidoscope donc. Un homme ramasse des miettes de pains laissées pour les pigeons. Et les mange. Un couple d’homosexuels m’invite à sa table. Le temps passe soudain lentement. Ils font avec leur langue des mouvements désagréables. Une mendiante assise sur un carton gobe un yoghourt. Défile un nombre étonnant d’Algériens aux cheveux long. Et de femmes aux crinières décolorées. Les terrasses s’appellent Glacier, Etoiles des Neiges ou Ours Polaire (Annaba s’appelait Bône). Des motos électriques amusent des enfants aisés. Une caravane de la Croix-Rouge algérienne cherche à convaincre les passants de faire don de leur sang (Zakat contemporaine). Des photographes publics, un théâtre fermé et des supporters en jaune et noir qui font du bruit.
LIBYE-ALGERIE-MAROC... Il y a enfin Mourad. Pantalons militaires et pin’s américain sur une veste Prada. Il n’est pas du coin. Mon doigt dans l’œil. Cet ancien chef de rang du restaurant L’Horloge, à Tripoli, en Libye (il me dit décortiquer le mérou en sept secondes), est revenu dans sa ville natale pour se faire faire un dentier et repartir à Marrakech, à la reconquête de sa femme, une Marocaine qui l’a quittée il y a deux ans (Mourad récite par cœur les paroles de C’est écrit de Francis Cabrel). Je me trouve un peu ridicule, justifiant ma balade, en sens inverse, du Maroc à la Libye, en passant par l’Algérie, par simple… curiosité ?
Mourad me fait visiter la vieille ville. Sur la Rue des Surprises, Belmondo aurait mangé au Restaurant Gargantua, aujourd’hui fermé. Un peintre, en train de casser des fèves, me dit bien connaître la Suisse pour avoir passé 24 jours à la prison de Bois-Mermet. Cette ruelle, Mourad me déconseille de m’y aventurer… Mourad, allons voir la mer… On finit donc de faire et refaire le monde au café Dauphin, sur la Corniche, autour d’un shisha que nous prépare une sympathique serveuse, diplômée en psychologie, qui n’a pas trouvé d'autre emploi. Elle ne se plaint pas. Des amies à elle "travaillent" dans les nombreux cabarets de la Corniche. Certaines pour rembourser leur dot et pouvoir ainsi divorcer. Code de la Famille oblige.
Mais je m’égare encore. Avant tout, Annaba est réputée pour les ruines antiques d’Hippo Regius ! …juste fabuleuses. La cité rien que pour moi. Assez d’espace et de calme pour imaginer la ville, parcourir ses ruelles... La première photo montre la signature gravée sur le sol d’un bienfaiteur de la ville ("C Paccius Africanus") nommé proconsul par l’empereur Vespasien en l’an 78. La seconde, la basilique Saint-Augustin (qui vécu ses dernières années à Annaba), construite par les Français entre 1881 et 1900. A son pied, un théâtre romain du Ier siècle, dont la scène serait la plus vaste de tous les monuments du genre en Afrique du Nord. Juste fascinant.