Des bouteilles à la mer, des étapes, mieux, des oasis où se désaltérer, changer de cheval et repartir... Empli d'un romantisme périmé, je m’enfile dans l’impasse qui jouxte la Poste centrale d’Alger, emprunte des escaliers que l’on croirait "de service", passe en revue des lignées d’armoires à petits tiroirs numérotés et apostrophe, de l’autre côté d’un guichet poussiéreux, un barbu et une voilée qui lisent chacun un feuillet d’un même quotidien.
Poser le journal. Lever les yeux. La verticale prend du temps. Comprendre mon nom. Le barbu met en mouvement le tourniquet (photo), lentement, à la lettre "H", puis à la lettre "B", puis à la lettre "O", puis à toutes les lettres. Le tourniquet est presque vide. Mes espérances, pas beaucoup plus. Dans le cahier manuscrit intitulé "Poste restante recommandés" - un mois correspond à un petit paragraphe - rien non plus. Plus qu'à inscrire "Poste restante, Le Caire, Egypte" sur un bout de papier, payer un affranchissement et leur demander de faire suivre. Si jamais. Pas affranchi pour un sou, m’en vais. Comprenant ma déception, la voilée partage son croissant en deux et m’en propose la moitié.
Merci toi pour ces lignes... Un courrier clandestin erre entre deux continents. C’est comme ça. Au siècle XXI, on voyage instantané. La preuve là tout de suite. A Oran, j’ai lu dans le Journal de Morges que la ville manquait de mamans de jour. Dans le bus pour Alger, un jeune m'a montré sur l'écran de son téléphone une photo de dauphins que lui a envoyé un ami harraga en train de "brûler" la frontière. Arrivé dans la capitale, un Algérien de Pontarlier me propose ses services pour me guider dans Constantine !!!
D’architecture néo-hispano-mauresque, l’édifice postal valait à lui seul le détour, non ? A l’intérieur, "avis aux clients : rechargement automatique des lignes Mobilis via le compte courant postal CCP". N’y comprends rien. Ce doit être la langue de notre siècle. "Western Union, the fastest way to…" Vingt-six guichets - je les ai comptés - se regardent sous un dôme serti de lustres. Une seule ampoule fonctionne par lustre et les plantes vertes sont en plastique, mais il y a du marbre sur les guichets en bois massif. Au final, pour ne pas rentrer bredouille – cette satanée éducation matérialiste - un touriste fait bien rire l’assemblée en photographiant la plus belle boîte aux lettres qu'il n'ait jamais vue :