Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • NUANCE

    Soit tu es contre la burqa et tu es un obscur islamophobe, soit tu es pour, et tu es un gros phallocrate. Soit tu veux accueillir des migrants et tu es un gauchiste angélique, soit tu préfères les renvoyer et tu es un blochérien, un collabo.

    J’avais déserté cette chronique depuis plus d’un an. En m’y remettant aujourd’hui, je ne peux que constater - comme vous certainement - un bouleversement de notre manière d’être ensemble. Partout, je ne rencontre que colère ou indifférence, certitudes absolues ou silences assourdissants. Ces réactions ne sont plus celles de bloggeurs sous pseudos, d’ivrognes en fin de course ; ce sont de vieux amis, des membres de la famille.

    On est devenu 100% binaires, on pense à pile ou face, on peut dire n’importe quoi, pourvu qu’on ait un avis définitif, surtout sur des thèmes qui embarrassent encore les meilleurs spécialistes.

    Tu as un doute sur les vaccins, et bien que tes gosses crèvent de la rougeole ! Tu penses peut-être demander un rendez-vous, et bien bravo, file ton pognon à Bill Gates ! Tu te demandes s’il n’aurait pas fallu reconfiner le pays, et bien c’est fait, les médias t’ont eu ! Tu as peur que ce semi-confinement détruisent nos jeunes, et bien laisse agoniser tes vieux ! Tu n’es pas d’accord ? Ne serais-tu pas un peu complotiste ?

    Je ne sais pas comment vous faites. J’ai l’impression qu’on peut donner son avis, chercher le dialogue, argumenter, cela ne sert plus à rien. On ne verra jamais un invité de l’émission « Forum » de la RTS changer d’avis : Tiens, je n’y avais pas pensé, c’est intéressant, je vais désormais faire un pas dans votre direction…

    Le problème, c’est que si nous ne sommes plus capables de converser, de nous contredire, de nous opposer sur le fond tout en nous respectant, de changer d’avis, alors nous finirons par ne plus fréquenter que ceux qui sont du même avis, comme les réseaux sociaux nous encouragent déjà à le faire.

    De plus en plus souvent, je renonce à prononcer un mot clivant de peur de lancer la machine à monologues : Darius Rochebin ? Greta Thunberg ? Pro-loups ou anti-paysans ? Pro-5G ou anti-progrès ? Anti-féministe ou anti-homme ? Pro-pesticides ou anti-paysans ?

    C’est peut-être cette autocensure qui est le pire, cette immense lassitude des réactions d’autrui. Je suis devenu mon propre fossoyeur d’idées. Alors s’il vous plaît, la prochaine fois que nous nous croiserons, dites-moi le mot « nuance », cela signifiera que vous avez envie d’échanger des points de vue, et j’aurais grand plaisir à réapprendre à débattre avec vous.