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Autostop & migration...

Comment faire "rentrer" deux jours de stop dans cet espace blog ? Je n'y connais rien en cylindrées, ne sais pas raconter les paysages et n'aimerais pas trahir des discussions kilométriques. A défaut de mieux, dans cinq véhicules en migration, ne retenir que ce qui touche... à la migration.

 

MARSEILLE Au rond-point de l'Arc de Triomphe, une Audi ouvre une portière. Nuque et crâne de légionnaire, Vincent est un pilote de char en stage à la base de Cassis. Il peut me pousser jusqu'à Nîmes.... En mission en Côte d'Ivoire, il se souvient de croyances étranges : "les Africains sont sûrs que porter des bouts de cuir autour du cou suffit à faire fuir les balles". Le souvenir le plus marquant de la République centrafricaine ? "Me faire tirer dessus". Non, Vincent n'a pas eu le temps de rencontrer les "locaux". Non, en dehors de ces deux missions, il n'est jamais sorti de France...

 

NIMES Roman s'en va déposer 24 tonnes de papier en Espagne. D'origine roumaine, il a travaillé cinq ans à Stuttgart. "L'économie allemande va mal. Je gagne plus aujourd'hui en Espagne. Il y a moins de taxes". A Barcelone, Roman a rencontré sa femme, une Roumaine. Dans la cabine, c'est l'hospitalité des Carpates. "Tu fumes ? Tiens ! Prends ! Tu aimes le chorizo ? Allez, tiens !" De sa Roumanie natale, il me parle du géant allemand Nokia qui s'y est installé, de sa compagnie de transport qui y a ouvert une succursale, mais il n'y retournera pas "à cause de la corruption"... Seule petite touche négative de ce lift en or : je dois me planquer à chaque fois que l'on croise un véhicule de sa compagnie. Le patron n'a assuré qu'une seule personne dans la cabine. Ilegal !

 

JONQUERIA Après une nuit sous tente à quelques enjambées de Jonqueria, une cité de transit pour routiers, deux jeunes m'invitent à faire un bout de route avec eux. Ils ne vont pas loin. Ils viennent de France, juste derrière la frontière. Ils sont là pour, je cite tel quel, "se faire tirer des pipes à 30 euros par des Marocaines". Euh, non, non merci, je... Le parking de leur Club (photo) n'est pas la plaque tournante de l'autostop et je n'ai guère envie de récolter le témoignage "exclusif" d'une prostituée clandestine. On imagine. Et merde.

JONQUERIA BIS Au péage, à l'entrée de l'autoroute, les deux seuls véhicules qui s'arrêtent, en trois heures d'attente, sont estampillés "Personal de la Autopista". Il m'invitent à tendre le pouce ailleurs. Les automobilistes ajustent leur rétro, tapotent sur leur natel ou regardent droit devant. Quant aux camionneurs, il travaillent de plus en plus en duo, à cause des tranches horaires légales. Ils occupent donc toute la cabine... Un peu las - le soleil tape - je pousse la porte d'un débit de boisson. J'aurais dû y songer plus tôt. En moins d'une gorgée de San Miguel pression, me voilà invité par un autre chauffeur roumain qui se rend à Tarragone. Entre deux "mierda de Polak" et "albanise Leute sind Tiere", Nikolaï me raconte avoir été videur de bordel (les Bulgares, les Roumaines et les Brésiliennes seraient plus nombreuses ici que les Marocaines), ouvrier dans la construction (ses bras ont le diamètre de mes cuisses), puis chauffeur. Il vit à Valence avec sa femme, une Roumaine. Il va en vacances à Majorque ("playa, sex, drugs") et ne s'est baigné que trois fois dans la mer depuis 6 ans qu'il est en Espagne...

TARRAGONE A une station-essence proche de Tarragone, je rejoins la route nationale. Un routier s'arrête. Rodrigo est Espagnol. Il va à Valence. A son rythme. Il évite les péages. Il conduit avec les jambes et roule son Amsterdamer. Son chapeau de paille lui sied à merveille (photo). "Les Musulmans, ils faut les éliminer comme, il y a des siècles, l'ont fait les Catholiques !" Il est raciste pour deux, mais attachant pour trois. Quand sa mère était enceinte de lui, son père avait voulu chercher du travail en Angleterre. Leur petit village andalou se vidait. Sa mère avait refusé : "chez nous, c'est ici". La famille s'était alors simplement rendue à Valence, où Rodrigo vit toujours... Lorsqu'il fait des livraisons en Allemagne, il en marre qu'on lui demande sans cesse s'il est Turc... Malgré tout, les étrangers, il n'en veut pas : "Zapatero fait tout pour eux, il leur donne de l'argent, un toit, des soins, une éducation. Et moi je ne peux même pas choisir l'école de ma fille !" Quand il a voulu monter son entreprise de transport, la banque ne voulait financer que deux camions et l'Etat ne lui allouait d'aide qu'a partir de trois véhicules.... On comprend mieux pourquoi il choisira le Parti populaire de Mariano Rajoy lors des élections législatives du 9 mars prochain. Il y a deux jours, ce dernier affirmait lors d'un meeting : "Le Parti Populaire est le parti de Angela Merkel et de Nicolas Sarkozy, le parti du coeur de l'Europe"...

...mais déjà, au milieu de la nuit, les lumières de Valence.

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