Réplique du Petit Livre rouge de Mao, mariage douteux entre une certaine vision de l'Islam et une certaine vision du socialisme, le Livre vert de Muammar Kadhafi méritait bien un studieux après-midi.
Toute ville libyenne qui se respecte possède une Maison du Livre vert, édifice consacré au culte des 21'000 mots du prophète Kadhafi. Celle de Benghazi est parée d'une statue de Gamal Abdel Nasser (photo) et d'un soldat rongé par l'ennui. A l'intérieur, le temps s'est arrêté. Depuis une trentaine d'années. L'espace est désert. Grésillements de néons et bruissements des pages que tourne le chef du prêt.
Une femme dépose sur ma table un assortiment de Livres verts. C'est que l'ouvrage a été traduit en 84 langues. Hébreu compris. Elle s'en va pour mieux revenir. Avec cette fois-ci une tasse de café, des biscuits et un nouveau stylo. Un stylo vert. “L'hospitalité libyenne”, lâche-t-elle en regardant à côté de moi, comme si elle parlait à une personne assise à mes côtés. On lui a appris à ne pas affronter le regard des hommes. Pourtant, le Livre vert dit de belles choses au chapitre intitulé “Femme”...
FEMME “La femme est affectueuse, belle, émotive et craintive. Bref, la femme est douce et l'homme brutal, et cela en vertu de leurs caractéristiques innées.”
GOUVERNEMENT “Le référendum est une imposture envers la démocratie. Ceux qui disent oui ou non n'expriment pas réellement leur volonté, mais ils sont baillonnés au nom de la conception de la démocratie classique et il en leur est permis de ne prononcer qu'un seul mot : oui ou non. C'est alors le système dictatorial le plus dur et le plus répressif.”
EDUCATION “L'éducation obligatoire et standardisée constitue en fait une entreprise d'abrutissement des masses.”
SPORT “Il est déraisonnable que des foules se précipitent dans un stade ou des arènes pour assister à des sports individuels ou d'équipe, sans y participer. Le sport est comme la prière, comme la nourriture. Il serait absurde qu'une foule se presse dans un restaurant simplement pour voir une personne prendre un repas.”
Si le Livre vert est d'une simplicité qui confine parfois à la naïveté, quelques saillies agréablement provocatrices feraient presque oublier que ce “zazou du désert”, cet illuminé cynique et nymphomane, cette icône imprimée sur des T-shirts qui font fureur dans les boutiques touristiques de Tripoli, est un dangereux dictateur craint de tous les Libyens.
On peut alors choisir de lire entre les lignes. Le tyran se fait alors presque attachant. En 1987, un an après le bombardement de Benghazi par les Américains en représaille d'un attentat commis à Berlin, Kadhafi posait de bonnes questions : “il y a dans ce monde des fous qui sont forts. C'est la source de mon inquiétude sur le sort du monde. Sont-ils fous d'origine ou est-ce leur force qui est la cause de leur folie ?”
Hélas, voilà bientôt quarante ans que Kadhafi donne de mauvaises réponses à de bonnes questions.