Au Liban, il suffit d'un col. La vallée maronite de Qadisha déconseille ainsi vivement de rendre visite aux chiites de Baalbek, dans la vallée voisine de Bekaa. Argument plus consistant, aucun transport public n'assure la liaison (cette photo de Baalbek montre au loin le col qui mène à la vallée de Qadisha).
Une auto stoppe pourtant. Deux bons chrétiens. Le chauffeur a l'accent australien. Il est venu visiter sa famille. Le copilote n'a lui jamais quitté son pays et insulte volontiers les Musulmans, le Hezbollah, les Syriens... puis se roule un joint (toujours surprenant de découvrir ce qui unit deux populations ennemies : son canabis se cultive dans les environs de Baalbek et son papier à rouler se fabrique à Damas).
BIENVENUE A BAALBEK Dans ses vestiges antiques jadis surfréquentés, je ne rencontre que deux Syriens qui désherbent la cour des sacrifices et trois militaires encordés qui défrichent les parois du temple de Jupiter. À la sortie, ni le dromadaire costumé, ni les T-shirt jaunes du Hezbollah ne trouvent preneurs.
La crise touristique n'est pourtant qu'un “dommage collatéral”. Refuge du Hezbollah, Baalbek a subi un mois de “frappes chirurgicales” israéliennes en 2006. Au lendemain de la trêve toutefois, pour rassurer son électorat, Hassan Nasrallah, secrétaire général du Hezbollah, annonçait la venue d'inspecteurs pour estimer les dégâts - largement à la hausse. Une semaine plus tard, les lésés touchaient leur dû. Les plus malins recevaient même une double indemnité, cumulant celle de l'état libanais et celle, tout aussi conséquente, de l'Iran (j'ai ainsi pu entendre un hôtelier regretter d'habiter trop près du site protégé par l'UNESCO, et donc épargné).
RECONCILIATION DE CARITAS Aujourd'hui, la ville s'est retapée. Les nouveaux véhicules de la police circulent fièrement, girophare allumé, et grâce aux ouvriers syriens qui attendent au bord des routes qu'on les embauche pour la journée, tous les bâtiments effondrés ont été remis en état (les ruines qui subsistent datent des guerres précentes). On entend même le choeur de l'église grecque catholique (2% de la population) appeler ses fidèles pour une messe d'inauguration d'un Parc de la Réconciliation. Une idée d'Antoine Alouf, le seul Chrétien des 21 conseillers municipaux de la ville. Pour l'occasion, un drapeau de l'organisation Caritas, créditrice du projet, trône devant l'iconostase et deux notables musulmans assistent à la cérémonie. Le Parc a pourtant triste mine : quatre bancs sur un gazon fébrile en plein soleil. Le responsable de Caritas espérait plus des 25'000 dollars investis...
C'est qu'à Baalbek, la réconciliation est faite de petits riens. Alors qu'une décapotable tourne inlassablement autour du parc de la ville, des hommes et des femmes en tenue de sport y font leurs exercices, des militaires descendent des Almaza “à découvert” et des jeunes improvisent des pas de danse devant une petite radio grésillante pour attirer l'attention de celles qui défilent en jupe ou en voile intégral. Au milieu de la nuit, au milieu du parc, un couple s'oublie en un slow clandestin aux rythmes d'une sonnerie de téléphone portable.