DAMAS Ai beau forcer. Pas faute d'avoir essayé. Damas ne veut pas rentrer. Une capitale de cet acabit dépasse la somme de ses parties. Alors quoi?
Alors parler de mon “chez-moi”, le quartier chrétien de la médina (celui qui travaille le vendredi et que des vierges surveillent à tous les coins de rue). Voilà trois jours que je partage une “pension moyen-terme” avec trois “arabisants” : un Grec, un Suédois et une Coréene qui ont décidé de ne pas quitter la ville avant de parler arabe couramment... Je pensais qu'habiter la médina ferait “couleur locale”, mais dans ce demi kilomètre carré, tout est en cours de restauration - loyers compris. Les charmantes petites maisons sont vides (parce que trop chères à restaurer) ou recyclées en lieu de consommation. Faire fi de cela, car la magie se moque des calculs boutiquiers : ma cour intérieure est miraculeuse (photo de gauche) et par la fenêtre, le spectacle – sonore et visuel - continuel (photo de droite).
Plutôt que me disperser (Damas, l'une des plus ancienne ville du monde - Égyptiens, Assyriens, Perses, Grecs, Romains, Omayades, Mongols, Ottomans, Français – offre ses trésors architecturaux – et humains - à tous les carrefours), mieux vaut peut-être parler d'un seul homme, quelqu'un qui m'emmène Chez Firas, près du souq Saroujah. Prototype méditerranéen, Samir Akchar (photo) a grandi à Damas, vécu à Paris et au Caire, puis est retourné en Syrie...
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Quand il parle de son enfance à Damas (il est né en 1958), des mots comme “formatage”, “pression mortelle” ou “viol mental” égaient sa conversation. Samir se souvient de l'absence totale de communication entre son père et sa mère, de l'interdiction de jouer dans la rue (“en Syrie, le mal vu est craint davantage que l'interdit”) et de rituels familiaux incongrus : “à 14h30 exactement, il fallait avoir mangé et être lavé pour saluer notre père qui rentrait du travail, puis aller dormir, sans lui adresser la parole”... Anecdotique, à 20 ans, Samir n'avait qu'un seul ami qui ne portait pas la moustache (il était coiffeur).
A 22 ans (et malgré le chantage de sa mère), il s'en va pour Paris. Un choc. “Des gens habillés n'importe comment - un clochard assis à côté d'une charmante femme - et personne pour juger l'autre du regard...” Après quelques années parisiennes toutefois, il en est revenu. Nommé Conseiller de quartier, il souffrait de l'inertie subie par toute initiative voulant faire bouger les choses et note - mais sous une forme différente - qu'un même “viol mental” endort les Français...
Avec sa femme, de nationalité française, il part s'établir au Caire. À nouveau un choc. Il aurait voulu jouir de nouveau de sa langue arabe, mais les Égyptiens, pour marquer la différence qui les sépare, lui répondent... en anglais. Il découvre également avec stupeur qu'on l'accueille partout comme un prince quand il montre son passport français et comme un “low class” quand il dit venir de Syrie, ce frère arabe...
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La discussion nous a mené au nord de la ville, dans le Parc Al-Jahez, en face de la boutique que tenait jadis son père : “le parc n'a pas changé, les gens non plus”. Aucune trace de nostalgie chez Samir : en ce moment, il attend des documents qui lui permettront de filer en Arabie Séoudite pour monter une entreprise de communication... Fin de la promenade avec Samir.
Du Parc Al-Jahez, en poursuivant vers le nord, je traverse les quartiers huppés : ambassades, boulevard fleuri, Hummer, palais présidentiel et agents de sécurité en costard-cravate à tous les carrefours... Étonnant, ce Damas. A 500 mètres de là - et 200 mètres plus haut (photo) - un quartier populaire s'accroche à la colline. Des baraques de briques pour la plupart habitées par des Kurdes sans le sou.... mais les nababs d'en-bas ne leur voleront jamais ce luxe ultime :