Cette chronique est née cet hiver lors d’un road trip à travers les Etats-Unis durant lequel j’ai vu ce que je ne voulais pas voir chez moi. D’un côté, des villages résidentiels éparpillés sur des kilomètres, où plus personne ne marche. De l’autre, en réaction, la mode du « Nouveau piétonnisme », des quartiers flambant neufs, à taille humaine, des imitations de village, mais sans histoire ni traditions.
Cette chronique a mûri à la lecture de La Fin du village du sociologue Jean-Pierre Le Goff. Cinq cents pages qui revisitent un demi-siècle de l’histoire d’un petit bourg provençal, le sien. Sa conclusion : la mort imminente de ce que l’on appelait « village ».
L’autoroute a rendu la ville trop proche. Barricadés derrière les clôtures de leur villa ou de leur ferme rénovée, les « rurbains » ou « néoruraux » ont importé leur individualisme. La propriété est privée. L’autochtone, minoritaire. L’animation, subventionnée. Le reataurant, asiatique. Et l'instituteur, bobo citadin. Bref, selon Le Goff, le dialogue est rompu entre ceux qui portent encore un surnom et ceux qui tondent leur gazon, ceux qui travaillent sur place et ceux qui y font garder leurs enfants, ceux qui sont le patrimoine et ceux qui disent tant vouloir le préserver, ceux qui s’arrêtent bavarder sur la place et ceux qui préfèrent passer des soirées cathodiques ou anxiolytiques…
Cette chronique aimerait donner tort au modèle américain et au pessimisme du sociologue, remettre l’église au milieu du village. Ce dernier est-il vraiment, chez nous aussi, en voie de disparition ?
Mes amis qui ont récemment choisi de s’établir dans un village encore « abordable » pour voir grandir leurs enfants me racontent leurs difficultés d’appartenir à une communauté. A quoi bon devenir propriétaire si la propriété devient forteresse ? Comment ralentir la déshumanisation des campagnes ?
Le thème est complexe et la réponse ne tiendra pas dans ce petit rectangle. Il y a pourtant des petits gestes qui feraient de bonnes résolutions 2013.
Si nous ménagions parfois nos voitures, non dans un souci écologique, mais pour multiplier nos chances de rencontrer un voisin ? Si nous nous intéressions à l’histoire du terrain et de la maison où nous venons d’emménager ? Si, le 3 mars prochain, nous choisissions d’accepter les « effets secondaires » de la Loi sur l’Aménagement du Territoire afin d’éviter le mitage des campagnes, la multiplication d’îlots bétonnés, et d’optimiser les zones à bâtir existantes au sein des villages ? Si nous allions ce soir manger à l’auberge communale ? Et si nous rasions enfin ces satanées haies qui délimitent nos prisons?