D’abord, un compartiment des CFF flanqué d’une citation de Blaise Cendrars : « Quand on voyage, on devrait fermer les yeux. Dormir ».
A Bienne, entamer le plat de résistance par le dessert : les gorges du Taubenloch. C’est une pause dans la flamboyance de l’été, des fougères, de la mousse et du calcaire plissé comme de l’étoffe. C’est aussi le début de la « Via Jura », 125 kilomètres de sentiers pédestres jusqu’à Bâle, un losange jaune à chaque hésitation.
Au col de Pierre Pertuis, gravée sur la roche, une inscription latine vieille d’une petite vingtaine de siècles. De l’autre côté du col, les sources de la Birse, un filet de fraîcheur qui nous suivra jusqu’à Bâle.
A Tavanne, une truite aux amandes au restaurant de la Gare. A Reconvilier, une usine rachetée par des Chinois et le souvenir des grèves. A Bévilard, un clocher surmonté d'un bulbe. A Moutier, l’hospitalité d’un ancien garde-chiourme devenu homme-orchestre. Au Mont Raimeux, surprise ! Sur le tronc d’un arbre mort, le graal des entomologues : trois Rosalies des Alpes ! Sublimes coléoptères au corps bleu taché de noir, avec d’immenses antennes ponctuées de petits pompons.
La canicule brouille ensuite la vue, les souvenirs sont épisodiques : la fontaine du bien nommé village de Rebeuvelier, la rivière de Courroux, les cafés de Delémont, Le Suisse, Le Cheval-Blanc. Laufen, sa très pittoresque rue principale. Aesch, d’où l’on aperçoit le plus grand immeuble de Suisse, il est à Bâle, il mesure 178 mètres, c’est la tour Hoffmann-La Roche… et j’en viens à regretter que mon patronyme n’ait qu’un « f » !
Sur les derniers kilomètres de la Birse, une ambiance enivrante, un air de Berlin-Est. A Bâle, c’est carnaval : toute la ville à moitié nue pour se rafraîchir dans le Rhin !
Le voyage se poursuit dans un vieux bus Toyota. Sempach, une colonne pour se souvenir du sacrifice de Winkelried, mais aussi un lac. Küssnacht, les Waldstätten, le fric des multinationales, mais aussi un lac. Kaiserstuhl, un promeneur qui vous salue tout sourire avant de photographier discrètement votre plaque arrière pour vous dénoncer à la police (la route est interdite aux non-résidents)… mais aussi un lac. Interlaken, Disneyland flanqué de « Woodcarving Shop », mais avant tout : un lac !
Enfin, le village de Rüeggisberg.
« Rüeggisberg », c’est le mot écrit à la rubrique « lieu d’origine » de mon passeport. Il méritait bien un pèlerinage. L’annuaire téléphonique ne mentionne hélas aucun Hofmann. Il y a bien dans le cimetière trois tombes portant mon nom, un Alfred, une Gertrud, un Franz, mais ces noms ne me disent rien. Et ce village est si triste avec ses fermes bernoises cernées de dizaines de villas mitoyennes…
Me reviennent alors d’autres mots de Cendrars :« Moi, le mauvais poète qui ne voulais aller nulle part, je pouvais aller partout ».