A la caisse du téléphérique de la Gemmi, une webcam montre qu’il n’y a pas de neige à 2’350 mètres, tant mieux pour mes chaussures de ville. La première cabine part à neuf heures. L’aller coûte 23 francs, il dure juste le temps d’évoquer la qualité du bleu d’un ciel de novembre, de suivre le tracé de la Via Ferrata et se demander pourquoi le gypaète se plaît tant ici.
Un garde-faune aurait déposé des carcasses de moutons au sommet de la Gemmi pour pouvoir le photographier de près. L’oiseau serait venu, et les amoureux de la nature avec. Depuis, le patron du restaurant voisin abandonne volontiers quelques os, pour fidéliser le gypaète, et les visiteurs. Même l’Office du Tourisme de Loèche-les-Bains s’y est mise : Observation du gypaète, de 8.00 à 12.00, adulte 15.-, enfant 6.-, famille 30.-, min 4 personnes, max 25.
Faut-il l’exhiber pour sensibiliser la population ou le laisser tranquille pour faciliter sa reproduction ?
La cabine s’ouvre. Deux cents mètres, c’est ce qu’il faut marcher pour atteindre le bord de la falaise, un cirque rocheux que le gypaète utilise comme ascenseur thermique.
La Commune a récemment tendu un câble de sécurité. Plusieurs panneaux interdisent de jeter des détritus. C’est mardi et il n’y a qu’un seul amoureux de la nature. Chapeau militaire, barbe blanche et sourire de celui qui a pris un jour de congé, Peter dirige la section Nature et Paysage de l’Etat du Valais. Cette année, il a eu un loup, au piège photographique, il se garde bien de dire où. Quand un promeneur demande ce qu’il filme, il répond laconiquement : Oh, des oiseaux…
Peter dit que la veille, la webcam a enregistré un gypaète à dix heures. Il devrait bientôt arriver. Toutes les trente minutes, la télécabine décharge un flot de randonneurs. L’un habite au bord du Doubs, il dit y avoir vu le gypaète. Sa femme dit que non, c'était un vautour, ou alors un aigle. Peter dit que le mot « gypaète » est formé des mots grecs « gups » (vautour) et « aétos » (aigle). Cela satisfait pleinement le couple, qui reprend sa marche en direction de Kandersteg.
Une heure plus tard, un aigle adulte. Puis plus rien, sinon trois hélicoptères, un Grand Corbeau et sept chamois sur une épaule du Plattenhörner. Les chocards se font nombreux, ils nous mangeraient dans la main. Sur le versant opposé, à la Rinderhütte, je me souviens avoir loué une « trottin’herbe ». Et même avoir barboté dans le bassin turquoise du Walliser Alpentherme que l’on devine depuis ici…
Une ombre fugitive sur la falaise. Le voilà ! Peter filme. C’est un jeune. Sûrement celui né dans la vallée en mars. Près de trois mètres d’envergure. Pas un seul battement d’ailes. Le voilà, l’oiseau rare, le plus grand rapace des Alpes !
Le spectacle est à couper le souffle mais une question subsiste. Le film de Peter montrera-t-il la télécabine, le câble de sécurité, les carcasses du restaurateur et le turquoise du Walliser Alpentherme ?