Sacrifier la trinité Bacchus-Palès-Cérès pour perpétuer l’esprit de la Fête des Vignerons. La nouvelle a fait réagir. Tant mieux.
Quelle mouche avait donc piqué la Confrérie des Vignerons pour convier dans sa bastringue régionale des figures de l’Antiquité grecque ? D’abord, Bacchus, en 1730, dieu du vin, puis Cérès, en 1747, déesse des moissons, enfin Palès, en 1797, protectrice des troupeaux…
C’est simple. La bonne société veveysane avait honte. Honte d’organiser une fête trop péquenaude, cul-terreuse. On s’en serait moqué jusque dans les palaces de Montreux. Pour lui ajouter du crédit, on a obéi à une pratique toujours très répandue chez nous : aller chercher du prestige ailleurs.
Mais franchement. Demandez à un ado de vous parler de Palès, de Cérès, vous verrez si ces demoiselles font partie de l’ADN de la région…
Qu’est-ce qui symbolise aujourd’hui l’éternité, l’harmonie ? Que devons-nous ménager et glorifier ? Où retrouve-t-on ses esprits ? Qui nous annonce la santé de demain ?
Évidemment, la Nature. La terre, d’abord, les forêts, la vie sauvage, les rivières, le lac, l’air pur, la bise, le vent, le soleil, la lune, les étoiles... Nul besoin de robe à paillettes, de chars dorés tirés par des bœufs engraissés pour être abattus, d’actrices dont le seul rôle est d’être belles et de saluer la foule (les mauvaises langues les appellent «les essuie-glace») !
Et Bacchus… Ce n’est pas la Fête des «Ivrognerons». Elle n’honore pas le vin, la vinification, mais la vigne, la viticulture. Pas le travail de la cave, celui de la terre.
Les héros célébrés forment une communauté d’êtres humains discrets, d’anti-héros, de vignerons aux origines diverses, de tâcherons fiers de leur métier. Ils ne demandent rien aux dieux grecs - parfois seulement, à l’État et aux grands distributeurs, de cesser de tout faire pour les voir disparaître…
Si cette Fête a résisté à trois siècles de turbulences, c’est qu’elle a su s’adapter. Au 19ème siècle, les personnages de Palès et Cérès étaient interprétés par des hommes travestis ; et Bacchus était un jeune garçon hissé sur un petit tonneau… Si elle est devenue patrimoine immatériel de l’UNESCO, la Fête n’entend pas vieillir derrière les vitrines d’un musée. Elle évolue, respire, ne fera grincer quelques dents que pour poursuivre sa vocation, sa raison d’être : transmettre le feu plutôt que conserver les cendres.