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Vous allez où cet été ?

Mars 2020. Welcome in Geneva. Une voix dans les haut-parleurs de l’aéroport exigeait entre chaque passager deux mètres de séparation sous peine de mesures pénales. Non, rien à déclarer.

On se dirigeait ensuite vers la gare, l’horaire était respecté (une bombe atomique pourrait exploser, les trains suisses partiraient toujours à l’heure). Par la vitre du train, on voyait des joggers courir à deux mètres l’un de l’autre, de part et d’autre d’une route cantonale déserte. Le lac ne portait pas un seul voilier ; le ciel, pas un seul avion.

On était les seuls à descendre en gare de Morges. Paysages avec figures absentes, personne sur la place, personne sur les trottoirs, la vie se jouait désormais à l’intérieur des maisons. Pas un seul client dans les pizzerias du Moulin et de la Tour, les repas se livraient à domicile. Pas un seul étudiant devant le lycée et l’école d’agriculture, leur cours se donnaient en ligne.

Sur la route, nos filles avaient vu un tape-cul, un tourniquet, un animal à ressort :

– On peut aller, papa ?!?

Les installations étaient hélas habillées de rubans rouges et blancs : « Jusqu’à nouvel ordre, la place de jeux restera fermée »…

– Vous allez où cet été ?

Aujourd’hui, on a rouvert la place de jeux, on a rouvert les liaisons aériennes, les frontières. Alors c’est décidé, on va tout oublier, on part en « vacance », on va se vider la tête, on file, vite, plus vite !, profite !, profitons !, profitez !

Le hamac est une balançoire ; la plage, un bac à sable ; le monde, un carrousel.

À l’étranger, on est plus ouvert, plus poreux, on sourit aux inconnus, on cherche le contact, on demande où ils habitent, d’où ils viennent, ce qu’ils ont vu, s’ils ont aimé, quel âge a le petit, ah, il est grand pour son âge, il va déjà à l’école ?, on a l’adrénaline du toboggan, on s’invente une nouvelle vie dans une petite cabane, on découvre le vertige du tourniquet, on tourne, on tourne, c’est notre Grand Tour, la ruée vers l’Est, le Pékin express. On retombe en enfance, sans la surveillance des grandes personnes, on se déguise en touriste, on achète n’importe quoi, on mange n’importe quand, on se déplace n’importe comment, on ne respecte pas les installations, on ne fait que passer, on rajeunit, on est tout excité – et qu’importe si on retrouve partout les mêmes parkings bondés, les mêmes caisses enregistreuses, les mêmes assiettes de frites, les mêmes boutiques à souvenirs – on racontera ses aventures avec une liberté feinte, on fera semblant, on fera comme si, on s’imaginera avoir rompu les lois de l’uniformité, de la monotonie. Et puis on rentrera.

– Alors, vous allez où cet été ?

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