On s'y hasarde par une arche effondrée. Blocs de pierre, cadavres de bouteilles et échafaudage abandonné. Me voilà dans l'arène. Une "Plaza de Toro" construite le siècle dernier sur les ruines d'un des plus anciens amphithéâtres romains de la péninsule. De la verdure sur les gradins. Silence absolu. L'impression "so romantic" de se perdre dans de "vraies" ruines...
Bâtie stratégiquement sur une pointe de la Costa Calida, Carthagène est un formidable fourre-tout, un instantané réussi d'une "humanité en transit". Cette ville, qui semble dater du siècle dernier, se réveille soudain dans le troisième millénaire et retrouve dans ses entrailles des vestiges millénaires.
Coup de foudre donc pour cet amoncellement d'éléments disparates. Entre une boucherie halal et un Multiprecios chinois, des indigènes d'un âge certain jouent aux dominos en sirottant des cognacs. Carthagène résiste avec souplesse. Comme elle a résisté en 39 pour être la dernière ville espagnole conquise par Franco (même si depuis une dizaine d'années, la Municipalité est aux mains du Parti Populaire...). Au terminal de la ligne 5 (en dehors du plan distribué à la gare), le quartier "Barriada de Hispanoamerica" pouraît aussi bien se trouver sur une quelconque côte péruvienne, mais à l'autre extrémité de la ville, les containers internationaux entassés sur les docks rappellent à la réalité...
Du haut de ses cinq collines (on l'appelle aussi "Petite Rome"), on distingue autant de grues au centre ville que sur le port. Bien décidée à s'imposer sur la route touristique, Carthagène s'offre un sérieux coup de peinture, exhume ses murailles puniques et prépare l'invasion.
Rebaptisée pour l'occasion "Puerto de Culturas", Carthagène s'est équipée du système "Bicity" (version espagnole du Vélib' parisien). Sur le port de plaisance s'inaugurera cet été le Musée National de l'Archéologie Maritime. Le Théâtre romain, découvert il y a juste vingt ans, sera lui aussi dévoilé au public cet été, ainsi qu'un musée ad hoc. La semaine dernière, les ouvriers du chantier universitaire, en plein centre ville, sont tombés sur une nouvelle fouille. "De valor incalculable", me dit une archéologue agitée. Partout, les facades séculaires à balcons de bois sculpté sont maintenues artificiellement en vie entre des échafaudages pendant qu'on leur refait une santé.
Invasion ? On est encore loin de Benidorm, cité balnéaire sise entre Valence et Alicante qui s'aveugle derrière les trente étages des barres touristiques "en front de mer". Loin aussi de Tarragone, au sud de Barcelone, où l'ancien site romain, courroné par une cathédrale gothique, est noyé au milieu des constructions industrielles...
Pour les archéologues de demain, la trace du tourisme aura certes tous les aspects d'une invasion, mais il est difficile d'oublier que devant la "Securidad Sociale" de Carthagène, encore plus qu'ailleurs en Espagne, on fait la file. Une file impressionnante.
C'est pittoresque une ville épargnée, un monde à part où le temps coule différemment. Si pauvre, si méditerranéen...