Ras al-Jedir, frontière libyenne, Kadhafi vous voit venir de loin. “Têtu”, me dira un Béninois de Tripoli. Vous échangez, sur l'effigie, la main sur le coeur de Ben Ali contre les lunettes de soleil et le menton hautain du Colonel.
RAS AL-JEDIR Des épaves qui n'ont de Peugeot que le nom provoquent de puissants embouteillages. Elles ont des plaques tunisiennes et font trois aller-retours quotidiens, car l'essence coûte 1,3 francs suisses en Tunisie et 16 centimes en Libye. On passe la frontière, on fait le plein, on repasse la frontière, on siphonne et on y retourne.
Une caravane d'Italiens - sept Landrover scintillants – se réjouissent, en famille, de connaître le désert. Leur guide libyen pratique son métier depuis 1992. Il apprécie les efforts d'ouverture du pays, mais ne veut pas des Américains, car “ils feront venir les terroristes”. Pendant que le guide parle, les Italiens changent les plaques d'immatriculation de leur Landrover. Car Kadhafi les veut en arabe.
On croit rêver. Arrive alors un camion jaune estampillé “Tunis-Pékin”. C'est un convoi touristique de l'agence oasisoverland qui “fait” la Route de la Soie en 20 semaines et demie.
ZUARA ...le taxi collectif s'arrête. Pause alimentaire, à 60 kilomètres de la frontière. Pause élémentaire, puisque Zuara est la seule ville berbère du litoral libyen (ils représentent 5% de la population totale du pays). Y vivent, selon Suleiman, “les vrais Libyens”. Bien avant la conquête arabe des VII et XIème siècle. Suleiman, vous l'avez compris, est Berbère, mais il ne se plaint aucunement de son traitement. Au contraire, ses affaires fructueuses lui permettent d'avoir trois maisons. L'une à Yefren, au sud, dans le magnifique Djebel Nafusa. L'une à Tripoli, pour les affaires. Et une dernière à Zuara, au plus près des plages de sable blanc. Depuis 2006 toutefois, Zuara partage son sable avec le "Farah Resort", un village touristique VIP, très prisé et très privé. Location de quad et de jet-ski "available".
Autre moyen de se remplir les poches pour les Zuariens : l'acheminement des sub-Sahariens en Europe. Suleiman me parle d'une connaissance devenue multimillionnaire. “Imaginez trois bateaux par semaine remplis chacun de 50 hommes qui paient le passeur 2'000 euros...” J'ignore s'il dit vrai, mais cela fait froid dans le dos.
Jusque là, la route est des plus sahariennes. Une plaine stérile que deux raffineries (une mosquée construite dans l'enceinte de chacune) et une usine de ciment tentent d'égayer. La route est aussi des plus dangereuses. Deux pistes trop bien asphaltées où se côtoient de vieilles et larges carcasses indolentes et de petits bolides nerveux lancés à 150 kilomètres à l'heure, environ, les compteurs fonctionnent rarement. Ajoutez-y un troupeau de moutons qui traverse soudainement, vous obtenez 2´138 morts sur les routes libyennes en 2007 (OMS), certainement plus.
SABRATHA A mi-chemin entre Zuara et Tripoli, une ville romaine, qui vivait jadis du commerce maritime d'animaux et d'ivoire, a été “redécouverte” par des archéologues italiens au début du XXème siècle. Le temple d'Isis (photo de gauche) a été construit au Ier siècle face à la mer, car la déesse égyptienne était vénérée comme protectrice des marins. A quelques pas du temple, visible à des kilomètres à la ronde, le théâtre romain (photo de droite), construit entre 190 et 200 après Jésus, en grande partie reconstruit par les Italiens dans les années 1920, possède un auditorium de 95 mètres de diamètre. Ce qui fait dire aux gardiens du site que ce théâtre est le plus vaste d'Afrique. Peut-ètre bien. Mais plus fou, on dit que le 70% des sites archéologiques libyens sont encore enfouis !
A Sabratha, je rencontre un jeune homme qui m'invite au mariage d'une amie de l'une de ses soeurs. Les festivités ont lieu à Zuara. Retour en arrière. Avec enthousiasme. Douche, rasage, excitation. Je pense enfin pouvoir porter la belle chemise que je trimballe dans un sac hermétique depuis six pays... Vingt heures, le jeune homme est confu. Une bagarre a éclaté. La police est intervenue. La fête interrompue. Je ne saurai jamais s'il a dit la vérité ou si la famille ne voulait simplement pas d'un Chrétien à bord... Qu'importe, en route pour la capitale, avec une chemise impeccable !