Résolument attachée au restaurant Estoril. Moins pour ses serveurs en galabiya et turban que pour ses épais vitraux qui l'autorisent à siroter une bonne Stella à l'abri des regards. La jeune nouvelliste Soha Zaki (à droite) m'a rejoint avec son amie Salwa Azeb (à gauche), journaliste pour le quotidien Al-Gomhuria. Elle nous raconte son dernier reportage en Syrie, à l'occasion du Sommet arabe de Damas : "je ne devais que relever les citations, sans y poser de regard critique..."
SEXE, RELIGION ET POLITIQUE Soha Zaki a publié son premier recueil de nouvelles grâce à deux amis qui se sont cotisés pour lui offrir les 400 livres égyptiennes (80 francs suisses) nécessaires au tirage de 200 exemplaires. Le recueil ayant reçu un bon accueil, un éditeur lui a ensuite directement proposé de publier le second. "Mais à trois conditions : pas de sexe, pas de religion, pas de politique. La trinité du bien-penser." Son deuxième recueil intitulé Si j'avais été un oiseau évoque pourtant bien les trois thèmes interdits. "L'éditeur ne l'a manifestement pas lu."
Soha trouve la littérature égyptienne actuelle trop moralisatrice. "Même l'Immeuble Yacoubian de Alaa al-Aswani se termine en brossant le gouvernement dans le sens du poil." Il n'existe pourtant pas, contrairement à la télévision et au cinéma, de censure officielle dans l'édition. "En réalité, les auteurs s'autocensurent eux-mêmes. En interview, ils tiennent des propos libertaires, mais ne croient pas en ce qu'ils disent. La fadeur de la littérature égyptienne n'est pas la faute du gouvernement, mais celle de la frilosité des écrivains et des éditeurs.” De son côté, Soha s'est bâti un petit îlot de liberté sur la toile. Depuis un an, elle tient un blog littéraire qui connaît une belle fréquentation.
Son troisième livre, Longs doigts mutilés, évoquera le souvenir de son mari, Muhammed Hussein Bikr, décédé à l'âge de 32 ans en 2006 et avec qui elle a eu une fille, Noha (photo). Muhammed avait lui aussi publié trois livres. Il les imprimait lui-même de manière artisanale et les vendait dans la rue, en ne disant pas être l'auteur.
Soha Zaki appartient à la génération des jeunes auteures prometteuses, avec Sahar El-Mogi, Amina Zidan, Mansoura Izzeldin, Nagwa Shaban, Miral El-Tahawi. On pourrait imaginer qu'en Égypte, toutes les auteures côtoient une certaine idée du féminisme, sur les pas de la plus célèbre militante égyptienne, Nawal Saadawi (photo). Pour Soha, la démarche artistique passe avant la lutte pour ses droits. Si elle avoue avoir porté le voile pendant six mois, alors qu'elle aimait un docteur qui le lui avait demandé, elle navigue maintenant depuis sept ans à découvert. “Dans l'anonymat de la rue, on peut sans autre marcher sans voile. Ce sont étonnamment les amis qui vous regardent avec le plus reproches...” Sur cette question sensible, ce qui amuse le plus Soha, c'est que les auteurs égyptiens qui écrivent pour l'émancipation des femmes ont tous des femmes voilées.