Sonneries de portables pour tous les goûts et distribution non-stop de sodas. A la séance-dédicace du Drapeau, dernier roman de Fathy Embaby, l'assistance ne semble guère se préoccuper de ce que peuvent raconter l'auteur et son éditeur.
On me chuchote que le chef éditorial du magazine de l'édition Al-Hilal, Magdy El Dakak (à droite), est aussi un membre influent du Parti National Démocratique (PND), le parti au pouvoir, le parti unique, celui de Moubarak. On me dit aussi que c'est la première fois qu'Al-Hilal organise un tel évenement, une présentation en grande pompe, avec la couverture du livre imprimée en format géant et un caméraman de la deuxième chaîne nationale venu pour l'émission “Cette Maison est la vôtre”, une plateforme dévouée... au PND. Créée en 1892, l'édition Al-Hilal, la plus ancienne d'Égypte pour les livres culturels et les romans, s'essaie au marketing.
Rendez-vous donné à l'auteur le lendemain, hors cohue, pour vérifier les sources et surtout faire connaissance. Une double fracture de l'humérus le fait boiter, mais une fois assis, Fathy se dit très satisfait. Lui qui avait déjà publié cinq romans connaît ces jours une belle réussite : en deux semaines, il a écoulé 2'000 exemplaires de son dernier roman.
LIVRES SUBVENTIONNÉS La raison du succès ? La qualité d'écriture évidemment. Mais il y a peut-être autre chose. Puisque l'édition Al-Hilal est une maison d'état, les livres bénéficient de subventions et se vendent 7 pounds lors de la séance-dédicace et 9 pounds en librairie (moins de deux francs suisses), contre 20 ou 30 pounds pour un livre publié par une maison indépendante. A cela s'ajoute le suivi médiatique assuré des oeuvres "gouvernementales"...
Né en 1949, Fathy Embaby n'a pourtant rien d'un scribe soumis. Il a connu l'euphorie des années 60 - “on croyait tous qu'on allait rejoindre le paradis” - mais lors des protestations estudiantines de 1969-72, c'est la prison qu'il a rejoint, pour 9 mois. Il décide ensuite de quitter le pays. A son retour, après cinq ans d'exil, il rejoint Al-Tagamo'a, un parti de gauche fondé en 1977. Sans trop d'illusions : “je ne pense pas que ce parti puisse mener à un changement. Le régime a une trop grande expérience de la répression”.
Ingénieur de profession, Fathy Embaby fut pendant cinq ans directeur d'une agence nationale chargée de la construction du métro au Caire. En 2003, il adressa une lettre d'une quarantaine de pages au Ministre des Transports pour lui révéler de nombreux cas de corruption. Résultat, il est muté. Depuis, pour le même salaire, il ne travaille plus que deux jours par semaine. “Ils ne veulent plus de moi”. Il ne s'en plaint pas. Il a du temps pour écrire...
“Dans les années 70, le président Sadate a tué la culture, l'éducation et le marché du livre. Devenue le dada d'une élite, la littérature s'est coupée du peuple...” Mais selon Fathy Embaby, le gouvernement essayerait depuis cinq ans de renverser la tendance et d'élargir le lectorat. Juste le bon moment pour prendre le bon wagon: l'édition gouvernementale.