Il y a eu le « blog2print », un blog transformé en bouquin, puis l’ « egobook », un profil Facebook relié en format livre. Paraissent aujourd’hui les premiers recueils Tweeter.
Paris, canal Saint-Martin. Le Comptoir Général, un vaste espace aménagé dans une ancienne étable, un lieu branché, très festif et un peu militant, organise une rencontre avec l’auteur Sear - prononcez « Cheur » et comprenez « Signataire Eternel d'Articles Radicaux », rien que ça.
Né dans le 9-3, en Seine Saint-Denis, de père kabyle et de mère yougoslave, Sear est un pur produit des banlieues. Un géant, la quarantaine nonchalante, lunettes sérieuses, crâne rasé, fringué de pied en cap avec la marque Fila.
Sear est venu présenter Interdit aux bâtards, un condensé de cinq années de ses « gazouillis » sur Tweeter, un « best of » de messages n’excédant pas 140 signes. Visiblement plus à l’aise seul derrière son écran qu’avec un micro face à ses lecteurs, il parle comme il écrit, de manière cinglante, brève, définitive, souvent cocasse, parfois obscène, violente même, toujours d’une honnêteté désarmante.
Fidèle à sa griffe, il traite des banlieues, « entre l'amour et la haine, la frontière est mince, et chez nous elle a un nom : périphérique », de la crise, « marre de ce soleil, on se croirait en vacances alors qu’on est juste au chômage », du mal-être, « ne nous suicidons pas maintenant, on a encore des gens à décevoir », de politique, « j’ai jamais voté à Secret Story ni à la Starac’, pourquoi j’aurais voté aux primaires socialistes ? », de réseaux sociaux, « c’est décidé, j’arrête les statuts de connard ! Dorénavant, je fais comme tout le monde, je poste que des citations de Paul Coelho », de popularité, « putain, j’ai que 3’592 amis. A mon âge, Jean-Pierre Hutin en avait déjà 30 millions »…
Tweeter et littérature font bon ménage depuis quelques années. Salman Rushdie, Haruki Murakami et même Paulo Coelho tweetent. Gabriel Garcia Marquez twittait. Sean franchit une étape supplémentaire en fixant ses « punchlines » sur papier. Avec brio car les 140 signes impartis aux « twitts » le forcent à densifier sa prose. Cet exercice de style renoue avec la fulgurance du haïku. L’aphorisme se fait coup de poing. Le lecteur passe du rire à l’émoi, de l'absurde au concret, du personnel à l'universel. Interdit aux bâtards parle mieux de la banlieue que la plupart des romans sociaux.
C’est frappant de voir qu’à l’heure où l’on craint que la Toile et les liseuses tuent le livre, certains font marche arrière. Ça rassure. Facebook est déjà dépassé, Twitter le sera très bientôt. Internet vieillit encore plus vite que la télévision. Et ni l’un ni l’autre n'a eu la peau de la littérature sur papier.
Sean
Interdit aux bâtard