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  • « La Venoge » fête ses 60 ans !

    Jean-Villard_Gilles_(1975)_by_Erling_Mandelmann.jpgLe poème-monument vaudois "La Venoge" fête cette année ses 60 ans. L’occasion de parcourir, de la source à l’embouchure, cette rivière célébrée par le chansonnier Jean-Villard Gilles.

     

    « Faut un rude effort entre nous / Pour la suivre de bout en bout... » Du pied du Jura au lac Léman, de L’Isle à Saint-Sulpice, 23 villages, 41 kilomètres : «Car, au lieu de prendre au plus court, / Elle fait de puissants détours. »

    Le pèlerinage débute au Chaudron, une source vauclusienne à la lumière bleue, irréelle. L’eau est si claire qu’on la boit au creux de la main. L’endroit idéal pour relire les quatorze strophes du poème :

    « On a un bien joli canton… »

    Faut-il appuyer l’accent, comme le faisait Gilles ? N’était-il pas sarcastique ? Simplement nostalgique ? Ses années parisiennes n’avaient-elles pas fait de lui « un paria sans attaches, déracinés », comme il le dit lui-même en 1939, à la veille de son retour au pays ?

    On emporte ces questions sans réponse le long du ruisseau, jusqu’à L’Isle, son bassin majestueux, son jet d’eau et son château du 17ème siècle surnommé « le Versailles vaudois », en plus modeste évidemment.

    On voyage ensuite comme Gilles, lorsqu’il partait découvrir le pays, durant la guerre. « A pied, bien entendu, c’est-à-dire à bicyclette, ce parfait moyen de locomotion ». Les restrictions d’essence avaient alors fait disparaître les voitures. « Il n’y avait rien entre la Suisse et nous que la vérité, la lumière, le silence », écrit-il dans le récit autobiographique Mon demi-siècle.

    A L’Isle, les drapeaux sont vaudois, avant d’être suisses. Des wagons du train aux tracteurs John Deere, tout est vert et blanc.

    A Cuarnens, le visiteur peut descendre à l’Hôtel de France. Un clin d’œil à la deuxième patrie du chansonnier ?

    jean-villard-gilles-vaud-serie-d-ete-la-venoge-vaudois-jean-villard-gilles-chanson.jpg

    A Ferreyre, un sentier forestier laisse la Venoge au fond d’un ravin. On se rapproche de la Tine de Conflens. La confluence des eaux du Veyron et de la Venoge creuse ici une profonde gorge entre des falaises moussues. Un canyon avec une chute d’eau, un petit lac, et personne pour gâcher le paysage. « Il y a encore des coins préservés. Nous en connaissons… Chut ! N’en parlons pas. Il faut sauver ce qu’il en reste », conseille le poète dans le recueil Amicalement vôtre.

    Pardonne-moi, Gilles.

    On t’imagine volontiers ici, bavardant avec ton ami Georgy Rosset, celui qui t’avait fait découvrir la Venoge. Un juge cantonal, pêcheur à ses heures, ou le contraire. Et te voilà déjà griffonnant deux octosyllabes. « Elle offre même à ses badauds /
 Des visions de Colorado »…

    J’ai tout faux. « La Venoge » est née en Bretagne. Gilles vivait alors à Paris et aimait se retirer à Port-Manech, près de Concarneau, face à l’océan. « Je vis apparaître sur cette surface immobile, comme en filigrane, une ligne sinueuse autour de laquelle un paysage familier surgit du fond des eaux, couvrant l’Océan de collines verdoyantes, de bois, de vergers, et même de petits villages. Il n’y avait pas de doutes, c’était mon lointain pays vaudois qui flottait, ô mirage !, comme une carte, sur la mer. La ligne sinueuse au milieu, c’était la Venoge ! »

    Jaillit l’inspiration d’un poème que Gilles intègre aussitôt à son tour de chant parisien. En coulisses, un jeune chanteur belge, qui faisait ses débuts au cabaret « Chez Gilles », entend « La Venoge ». Elle lui donne envie d’en faire autant pour son pays. Il écrit… « Le Plat Pays ».

    Arrivé à La Sarraz, on pédale plus au nord jusqu’à Pompaples, surnommé « Le Milieu du Monde ». C’est le point de partage des eaux entre le bassin du Rhône et celui du Rhin, entre la Méditerranée et la Mer du Nord. C’est aussi la grande peur de Gilles. « Qu’un rien de plus, / Cré nom de sort ! /
 Elle était sur le versant nord !».

    Sauvé ! La Venoge descend droit sur Cossonay. Mais plus un seul méandre sur six kilomètres. Des digues rectilignes. Sans vie. C’est le tronçon de la honte. Des années que les autorités promettent de « renaturer » ces rives ! Puisse-t-on très bientôt prendre soin de la rivière emblématique des Vaudois…

    A Daillens, une rue porte le nom du poète, de même qu’une salle des fêtes. C’est le village d’origine du père de Gilles.

    On roule entre le rail et la rivière et on croit rêver quand on croise un TGV. A ce rythme, il sera à Paris avant qu’on ne soit à l’embouchure.

    La Venoge s’industrialise peu à peu. Elle donne son nom au centre commercial de Penthalaz. Moins campagnarde, en phase avec son temps, à l’image des Vaudois. Elle suit son cours, discrète, imperturbable, faussement docile. A l’abri des regards, réfugiée dans la forêt, à Bussigny, Ecublens ou Denges, elle se faufile entre les zones industrielles, passe sous des ponts ferroviaires et autoroutiers. On est en ville et on surprend un héron, un pêcheur, des arbres rongés par les castors, des plages de sable. Plusieurs kilomètres d’émerveillement. Si bien qu’on préfèrerait ne pas voir les premiers bateaux de plaisance qui annoncent le lac.

    A l’embouchure, on se trouve face à la France, « le pays des Allobroges ». A l’ouest, les Genevois, ceux qui « N’ont qu’un tout petit bout du Rhône ». A l’est, « un glacier, aux Diablerets », le Lavaux et le village du poète…

    « La Venoge », c’était aussi le surnom que donnait le facteur de Saint-Saphorin à Evelyne, la femme de Gilles.

    (Hebdo, 3.7.2014, Photo Sédrik Nemeth / Philippe Dutoit RDB / ATP)

  • TRUCKSTOP POETRY

    Ulysse-Frechelin-American-Trucks-Lupton_Lres.jpgUne poussière ocre dans ses jantes lustrées, des nébuleuses blafardes dans le chrome de ses avertisseurs, une constellation de rivets sur son ciel arrondi, l’insolence de sa statue de proue. Ce qui consume l’objectif est d’un esthétisme absolu. Lignes téméraires, teintes exubérantes, volumes monumentaux. Même le ciel est surdimensionné, dense, intense.

    Mars 2013, dans un truckstop qui marque la frontière entre l’Arizona et le Nouveau Mexique, entre les villes de Holbrook et de Gallup, le photographe suisse Ulysse Fréchelin, 35 ans, a le coup de foudre pour un « Pete three seventy-nine », un camion américain Peterbilt 379 orange vif.

    Ulysse-Frechelin-American-Trucks-Stainless-Steel-Woman_Lres.jpgUne nature morte ? Et puis quoi encore ! Par-delà sa carrosserie rutilante : les fragrances du bitume brûlant, le boucan des klaxons, le smog des exhaust pipe et le franc-parler des truckers.

    Le photographe n’avalera les kilomètres que dans l’espoir d’en revoir. Les paysages lunaires sont des décors. Les Mexicains, les Rednecks et les Indiens, des figurants, un pâle reflet sur du verni. Ce qu’il traque entre Albuquerque et Santa Fe, ce sont les montures de métal de ces cowboys contemporains - des Freightliner, des Kenworth, des Western Star - les vaisseaux de ces poètes de l’asphalte.

     

    Ulysse-Frechelin-American-Trucks-Blue-Back_Lres.jpg« Ces couleurs en disent long sur les Américains et, pour moi, sur l’un de leurs plus grands traits de caractère : ils osent. »

    Ulysse Fréchelin

     

    frechelin_standard_edition.jpgLivre Trucks, 100 p.

    Expo photo à la M.A.D.GALLERY

    Genève, Rue Verdaine 11