La quête débute au sous-sol de la Bibliothèque de Genève, en salle de lecture surveillée, devant une gravure sur bois de Conrad Gesner trouvée en page 337 du troisième volume de son Historiae animalium parue en 1555.
Parmi les deux cents espèces d’oiseaux consignées, le savant décrit, en latin, le corvo sylvatico, le corbeau des forêts, celui que l’on nomme aujourd’hui : ibis chauve.
Du temps de Gessner, il ne se rencontrait déjà plus que dans quelques vallées boisées des Alpes suisse. Vers 1600, c’était fini, plus un seul individu ne nichait en Europe. La faute au refroidissement du climat, selon certains. Gessner lance une autre piste : « Les jeunes ibis sont aussi très appréciés pour la table et tenus pour une friandise, car ils ont une chair agréable et des membres tendres »…
En 2016, il n’en reste que quelques centaines de spécimens à l’état sauvage, au Maroc, en Turquie, en Syrie. Ces colonies se dépeuplent d’année en année.
Pour le voir, il faut se rendre au Zoo de la Garenne, à Le Vaud.
« Tirez s'il vous plait. » Je pousse la porte d’une immense volière, la plus haute d’Europe. A l’intérieur, des mangeoires à foin pour les jeunes bouquetins et la réplique d’une paroi rocheuse avec des pierres issues de carrières jurassiennes. Au sommet, la silhouette de trois vautours, dont un gypaète barbu.
- Merci de rester sur le sentier, on est en train de planter…
Elle est charmante, elle a un piercing sur la narine droite et une patience édifiante envers les visiteurs, elle porte un chapeau de cow-girl et un T-shirt noir avec NATURALISTE écrit dans le dos.
Deux ibis chauves marchent tranquillement au pied de la paroi. Ils vont béqueter des vers dans un bac en plastique que le visiteur ne peut que deviner. La naturaliste dit qu’ils n’ont pas encore de prénom, qu’on n’est pas encore certain de leur sexe, qu’ils ont été rachetés au zoo de Goldau.
Les ibis vont ensuite se désaltérer dans une marre volontairement aménagée à un mètre du sentier. Pas pratique de boire avec ce long bec rectiligne, il faut pencher la tête. On voit tous les détails, les croûtes sur le crâne, l'iris des plumes, les pattes puissantes.
Ces deux-là ont perdu leurs instincts. Ils sont les descendants d’un aïeul traqué, capturé, emprisonné. Ils sont là comme dans une arche de Noé, ils sont les monuments vivants de leur propre disparition.
Je devrais dénoncer cette mise en scène, l’observation prémâchée. Je devrais plaindre les ibis, voir dans leurs yeux éteints l’assurance d’une vie sans surprise, un territoire trop petit, des déplacements trop répétitifs. Je devrais écrire qu’un zoo reste un enclos, un lieu d’emprisonnement, de conditionnement. Que c’est de l’élevage, de la régulation, de la reproduction assistée…
C’est étrange, je suis très touché de le voir pour la première fois.