Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • Hubert, Cap et Audrey

    Alors que le grand couturier Hubert de Givenchy a pris ses quartiers à Morges, à la Fondation Bolle, au musée Forel et au Château… souvenir d’une visite chez lui, à Paris.

     

    Avril 2014, rue de Grenelle.

    Bordé de quatre colonnes doriques, un portail métallique haut de cinq mètres. Je sonne. Une gardienne me dévisage par la meurtrière de sa loge. Un domestique me fait traverser une cour intérieure ornée d’arbustes taillés en boule et me présente l’intendante, qui m’installe dans un salon d’un autre temps : haut plafond avec moulures, horloge dorée, bibelots de porcelaine et miroir au cadre baroque.

    Col roulé de cachemire noir, pantalons beige à pli. Poignée de main ferme, regard droit dans les yeux. Hubert de Givenchy me reçoit tout en élégance, en simplicité, en sourire.

    Je suis venu l’interroger à propos de l’actrice et mannequin Capucine, qui a vécu ses dernières années à Lausanne, et qui, contrairement à son autre amie, Audrey Hepburn, a sombré dans l’oubli. Pendant deux grandes heures, il partage des anecdotes témoignant d’une belle amitié triangulaire, avec Audrey et «Cap», qu’il considère comme sa petite sœur.

    1952. Givenchy habite «La Cathédrale», une maison proche du parc Monceau. Il y crée la marque qui porte son nom, et engage son amie Capucine comme modèle. Elle loge alors sous les toits et n’hésite pas à pousser son lit contre le mur pour accueillir les couturières en manque d’espace.

    C’est aussi à «La Cathédrale», une année plus tard, que Givenchy rencontre Audrey. En recevant «Miss Hepburn», il croit accueillir Katherine Hepburn, dont il est fan… La déception est de courte durée, il invite la toute jeune actrice à dîner à La Fontaine des Quatre Saisons. Prélude à une amitié qui durera… jusqu’à la mort.

    A l’enterrement d’Audrey, à l’église de Tolochenaz, le grand couturier est l’un des porteurs du cercueil, avec les deux fils, Sean et Luca.

    Et les cendres de Capucine reposent aujourd’hui autour de sa résidence de campagne, au Château de Jonchet…

    - Vous savez, j’ai toujours refusé de prêter mes robes. Capucine fut la seule exception !

     

    Si j’avais su. Si j’avais su qu’il se trompait ainsi. Car après Madrid et La Haye, c’est… à Morges qu’il prête 53 de ses robes !

    Nul doute que les musées morgiens ont su les accueillir aussi élégamment que le grand couturier m’a accueilli chez lui !

  • Je viens d’un pays de taiseux

    Je viens d’un pays où les visages sont des masques, seuls les yeux bougent, les corps sont des pantins aux gestes lents, aux démarches mécaniques.

    Je viens d’un pays qui dissimule volontiers tout ce qui touche à la mort, la maladie, la pauvreté, et puis la sexualité, ce sont des choses qui restent en dedans, et peuvent causer ensuite de surprenantes maladies.

    Je viens d’un pays qui se plaît à glisser des bâtons dans les roues de l’audace, propage la hantise des têtes qui dépassent, des discours trop définitifs, un pays qui enseigne dès l’enfance à se faire petit, à rester poli.

    Un pays de taiseux introvertis, de modestes indécis, de méfiants consensuels et d’épicuriens inquiets. A peine un hochement de tête dans les transports publics, un bonjour discret au comptoir des bistrots.

    Si quelqu’un parle vite, parle fort ou parle beaucoup, on se referme, on se méfie et se dit : qu’a-t-il à prouver celui-ci ?

    Je viens d’un pays qui ponctue ses phrases de points-virgules, pour ne pas avoir à choisir, de points de suspension, pour ne pas avoir à clore, surtout pas de points d’exclamations, pour ne pas déranger, ne pas s’imposer

    Un pays qui s’exprime par litotes, « je ne suis pas forcément contre », périphrases, « ce n’est pas que je n’aime pas mais je suis forcé d’admettre que ce n’est pas ce que je préfère », tautologies, « on verra ce qu’on verra », interjections, « oh…  bof… », formules creuses, « ma foi, voilà quoi ».

    Le dialecte de ce pays identifie les bavards, les « batoilles », les « barjaques », sait apprécier le bagou, la « mordache »… mais seulement chez les autres.

    Je viens d’un pays qui préfère s’exprimer par bulletin secret, dans l’anonymat d’un isoloir, pour élire un porte-parole. Un pays qui borde ses jardins de haies de thuya, qui flanque ses immeubles de digicodes, et ses rues de panneaux rabat-joie : Propriété privée, Accès fermé au public, Ayant-droit exceptés, Défense d’entrer, Chemin sans issue.

    Un pays dont la publicité la plus populaire montre trois vachers taciturnes refusant de divulguer la recette de fabrication de leur fromage...

    Un pays qui lutte pour préserver à tout prix son secret bancaire.

    Un pays qui reporte la responsabilité de son mutisme sur un occupant de jadis venant d’un autre coin de pays, parlant une autre langue, croyant en un autre dieu, plus austère, réformé, plus modéré, un occupant qui aurait inculqué, trois siècles durant, l’art de la dissimulation et de la dénonciation.

    Je viens d’un pays qui vénère la solitude, cette prétendue liberté, la contemplation des espaces muets : lacs tranquilles, forêts ombragées et glaciers inaccessibles…

    Cette nuit, j’ai fait un rêve.

    Un rêve éclaboussé de tous ces mots contenus depuis trop longtemps qui exploseraient ainsi aux visages de tout un pays qui se verrait dès lors inondé de déclarations d’amour et de compliments spontanés et de coups de gueule et de coups de cœur et d’encouragements et de confessions et de ras-le-bol et d’émerveillements et de…

    Au recommencement serait le Verbe.