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La frontière algérienne ou l’art du détour…

Non ! Il a dit non. Je la savais fermée, mais il suffit parfois d'un coup de chance, d'un bakhshish, d'un brin de courtoisie... Et au sud, la frontière de Figuig ? Non, c’est non.

OUJDA (Maroc) A dix kilomètres d'Oujda, à un kilomètre de l'Algérie, juste à bonne distance pour mesurer l'absurde d'une frontière fermée. Une frontière qui, disent les économistes, si elle était ouverte, ferait bénéficier aux deux pays 2 % de croissance supplémentaire (pour exemple, alors que le gaz ne coûte rien en Algérie, le Maroc en importe du Qatar, etc).

Les hostilités commençaient en 1975, alors que le Maroc reprenait le Sahara, mais il fallut attendre vingt ans pour tenir un solide prétexte. Puisque les auteurs des attentats commis à Marrakech en 1994 étaient franco-algériens, le Maroc put imposer le visa d’entrée aux Algériens. En contrepartie, ces derniers fermèrent leurs frontières aussi sec. 2008, aucune amélioration en vue...

Bien. Nulle envie d'insister devant ces messieurs (je tiens à mon visa algérien), mais tout de même frustrant d'avoir à portée de jambes ces montagnes algériennes, là, juste en dessus du panneau "Interdiction de prendre des photos". Je fais donc demi-tour sur une véritable autoroute quatre pistes neuves comme rarement dans le pays. Une borne annonce Oran à 215 kilomètres. Un silence qui fait du bien. "Attention vache". Un hôtel en ruine que la verdure a eu le temps de condamner définitivement. Une autoroute devenue le chemin d'école pour les enfants vivant dans les dernières habitations blotties contre la frontière. Un vélomoteur, un taxi collectif par heure et des officiels (ceux qui conduisent des voitures vides)… Ces terres désolées font au moins le bonheur de quelqu’un : à vue d'œil, le troupeau de ce moutonnier (photo) compte deux à trois mille bêtes. Sans se déplacer, il les dirige en lançant des cailloux avec une fronde. Il m'apprend comment la manier. Laisser un doigt pris dans la corde et... J'ai failli le blesser.

Avec du recul, je me dis que c'est au moins une frontière sincère, fermée aux deux bouts. On sait à quoi s'en tenir. Je pense à l'Europe. L'ouverture qu'elle prône… C'est toutefois, malgré la détermination d'un roi et d'un président, une frontière "passoire" qui laisse filtrer des marchandises de contrebande, des hommes et des femmes qui souhaitent gagner l'Europe par le Maroc. Bien-sûr, j'aurais pu emprunter la "Trig el-wahda", La Route de l'Unité, le chemin de contrebande (entre 50 et 100 euros, selon les sources), mais comment rentrer en Tunisie ensuite sans tampon algérien ?

Air Maroc a un siège libre dans quatre jours. Un vol de Oujda à Cassablanca, puis un autre de Casablanca à Alger, pour ensuite revenir à Oran. Ethique de voyage, conscience écologique ou simplement le fait que le billet coûte 320 euros... Et le prochain bus pour Nador ?

NADOR (Maroc) De la pure provocation : sur tous les murs de cette ville côtière, la compagnie Mexwings propose des vols vers Köln à partir de 9 euros… A la Gare routière, offre plus raisonnable, le taxi collectif pour Beni Nsar, le port de Nador, à un kilomètre de la frontière de l'enclave espagnole de Melilla, demande quelques dirhams et un peu de patience. Sur les bords de la mer, des jeunes travaillent pour leur compte, à la masse, pour récupérer le métal des ruines d'un bâtiment en béton armé. Plus loin, des jeux à pièces pour enfants. Puis la frontière.

Il n'y a de neuf qu'un panneau annonçant le "Nouveau passage de Beni Nasr". Sinon, une file de voitures patientent sur un large boulevard boueux où des enfants se font tabasser parce qu'ils vendent des kleenex ou des fiches de douane. Des deux côtés de la chaussée, des terrasses archipleines, des petits commerces en désordre, une foule statique qui regarde passer une foule mobile : les "statiques" revendent les produits de Melilla, "franco de port", que leur ramènent les "mobiles" (30'000 Marocains de Nador vont quotidiennement travailler à Melilla, au blanc ou au noir, ou simplement faire des achats).

Un peu à l'écart, un terrain vague choyé par des chèvres, une cité que l'on appellerait chez nous "HLM", une tente militaire et un double système de grillages de 6 mètres de haut ponctués de miradors de verre et de béton (financé par l'Union européenne). Pas de chance, un militaire me surprend en train de prendre une photo (cette foutue manie de photographier les frontières). Je fais le touriste perdu. Re-pas de chance, son supérieur parle anglais. Un quart d'heure de discussion. Je fais semblant d'effacer les photos interdites et vais tranquillement passer la frontière.

Mais comme le disait le Père Joseph, le téléphone arabe fonctionne. Le passeport suisse est attendu. Je me retrouve dans un petit bureau en face de deux messieurs agressifs. Interrogatoire. Profession ? Enseignant. Vous avez des vacances maintenant ? C’est que... En faisant défiler les photos de mon appareil numérique, l’un voit celles de la frontière de Ceuta... Je... A ce moment, je remercie le Tout Grand de ne m'avoir pas autorisé à photographier les plaquettes de 100 et 200 grammes de haschisch qu'entreposait l'ami Abdoul à Azila... Fin de discussion. Toutes les photos sont effacées (mes excuses). On me montre le chemin de l'Espagne.

MELILLA (Espagne) Sous un étendard européen et un drapeau sang et or, un douanier croit bon de me dire : "Ah la Suiza, mucho chocolate". Une bouche tordue qui doit ressembler de l'extérieur à un sourire. Là aussi, je passe un petit quart d’heure dans une petite chambre. "Fumar ?". Je vide mes poches et le contenu de mon sac...

Bienvenida en Melilla, "territoire spolié par l'Espagne" pour certains, ville espagnole depuis 1497 pour les autres, sans surprise, non reconnue par la Ligue arabe, l'Union africaine et l'Union du Maghreb. C'est un choc. Un grand vide. Une place presque déserte où personne ne tourne autour d'un rond-point joliment décoré. Le revêtement de la route est lisse. Il va précisément jusqu'à un trottoir tout à fait plat, puis se poursuit jusqu'au pied du mur le plus proche. Pas une trace de boue. Soudain, je m'aperçois que mes souliers sont drôlement sales (l'Europe n'est peut-être qu'une histoire de finition). Un bus public presque vide attend l'heure exacte pour m'emmener au port. Il y a sur la porte latérale un bouton destiné aux handicapés. Dans le bus, un Marocain espagnol (il me montre sa carte) est allé à Nador pour acheter une édition rare du Coran...

C'est dimanche. Et quand Melilla dit qu'elle ferme, elle ferme. Personne sinon des vieux autour d'un kiosque qui jouent à des jeux de hasard. On me dit que les Espagnols aiment passer leur week-end au Maroc, "profiter de leurs euros". Il y a beaucoup de voiliers dans le port et un défilé hétéroclite de joggeurs. L'hôtel le meilleur marché refuse de marchander : "on n'est pas en Afrique ici". En effet, Melilla fonctionne sur l'indicatif de Malaga et le "cafe solo" coûte un euro dix, comme en face. Dans le quartier marocain (en réalité, plus de la moitié des habitants de Melilla sont marocains), les pensions sont complètes. Finalement, quelqu'un m'emmène jusqu'à un bus violet sur la carrosserie duquel il est écrit "Scouts de Melilla" (au centre sur la photo). Sans plaque, il appartiendrait à un Marocain qui a disparu en Europe depuis deux mois.

Le malheur des uns.... A la fermeture de la frontière algérienne, Melilla est devenue le centre de distribution du Nord-Est marocain (contrairement à Ceuta, qui reste dans l'ombre de Tanger). Une ville peu touristique, malgré une magnifique citadelle !, où patienter volontiers, en attenadant le ferry, dans la Bodega de Madrid, en trinquant avec des Marocains des plus joviaux.

ALMERIA (Espagne) Peu de dépaysement en somme, hormis les publicités géantes pour la lingerie "Lise Charnel". Sur la Calle Real qui donne sur le port : Cafeteria Marrakech, Bazar Oujda, Bazar El Oods, Bazar Angate, Carnicera Ali Baba, Restaurant Miloud "comidas marroquies", Locutorio Nador... Simple retour de manivelle. La création de la ville remonte à 955, quand Abd al Rahman III ordonnait la construction de l'impressionnante Alcazaba (photo : la statue de San Cristobal est prise depuis une de ses murailles). Avant de reprendre le ferry pour l'Algérie, je peux assister au Grand débat électoral de Zapatero et Rajoy au café de la gare maritime. Les discussions s’organisent par petits groupes, presque que des Algériens. Personne n’écoute les candidats parler d'immigration.

GHAZAOUET (Algérie) A bord du ferry, je rencontre Slimane. Il était mineur au Pas-de-Calais. Il est retraité à Tlemcen. Il est venu en Espagne chercher des pièces qu’il n’a pas trouvées. Son fils Mourad viendra le chercher en voiture au port. Nous irons ensemble chez lui pour manger. Cela fait une semaine qu’il mange espagnol et dit qu'il n’en peut plus.

Au petit matin, le port de Ghazaouet, le plus occidental d’Algérie, le Rocher des Deux Frères (photo), puis au centre du port, une église, souvenir des Français, aujourd’hui transformée en bibliothèque.

La ville de Tlemcen vivait grâce aux échanges avec le Maroc, sur la route d’Oujda, à quelques kilomètres plus à l’ouest...

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