A Tunis, on m’a dit: «Sfax est une petite Chine. On ne fait qu'y travailler». Pur chauvinisme ? Séquelles de la dernière dispute entre le Club Sportif Sfaxien et l’Espérance Sportive de Tunis ? Certains ont été jusqu'à décrire la seconde ville du pays comme une Société Financière Avare et Xénophobe (SFAX).
KERKENNAH Sur place - on s’y attendait - j’y rencontre des gens aimables et accueillants. Mais pour dire vrai, je ne venais pas à Sfax pour contredire la capitale ou goûter aux fameuses salades de poulpes, encore moins pour visiter la ville antique de Tbaenae. Non, le port de Sfax sert de porte d'entrée pour l’île de Kerkennah.
A bord du ferry, les insulaires se reconnaissent facilement. Ils ne montrent pas du doigt les dauphins. Ils les détestent copieusement, car ils percent les filets et leur volent le butin. Sur cette île longue d'une trentaine de kilomètres, on ne trouve que quatre hôtels, des passeurs (l’Europe à partir de 2’000 euros), des chasseurs d’éponges, des palmiers et des plages de sable fin. Un petit paradis sur mer qui pourrait vite faire oublier Djerba-la-Douce, mais cela reste entre nous. Les bonnes adresses ne se divulguent pas. Et puis une île reste une île. Déconnectée. Oublieuse… Revenons au continent.
Sur la place centrale de Sfax, des chevaux blancs patientent devant des calèches désespéramment vides. On a organisé un Festival de musique et retapé les remparts d’une médina datant du IXème siècle (Tunis n’était alors qu’un village, et toc!). Rien à faire. La ville est trop conforme pour attirer les faiseurs de tours. Pas d’arnaque, pas de faux guides et trop de respect.
PROJET TAPARURA Dernièrement, le président tunisien Ben Ali a dû prendre les choses en main, engager une entreprise belge (Jan de Nul), glaner des fonds européens (prétextant de soudaines convictions écologiques) et relancer le Projet Taparura, une utopie vieille de vingt ans. Ce chantier du siècle fera émerger la Sfax du XXIème. Paroles de dictateur, je veux dire «de président».
En mars 2008, vous quittez le centre, pénétrez dans une zone industrielle peu ragoûtante, empruntez la rue Gagarine - «attention sol mouvant» - puis enjambez un canal nauséabond pour ne trouver en face de la mer qu'un cabanon esseulé au milieu d'un terrain vague. En effet, pas de quoi sortir l’objectif.
Mais revenez en 2009. Vous trouverez en lieu et place du cabanon une plage de sable fin sur trois kilomètres bordée par une cité balnéaire haut de gamme. Comment ? Un, fermer l’usine de production d’acide phosphorique NPK, dont les poisons fluorés ont obligé la ville à fermer les plages. Deux, évacuer deux millions de mètres cube de phosphogypse. Trois, contenir le sol sous une épaisse chape de béton. Quatre (on en est là), recouvrir le tout de sable fin. Et cinq, construire une ville de 22'000 habitants qui fera la part belle aux tourisme et aux meetings d’affaire.
Une équation simple. Le soleil ne suffit pas à attirer les visiteurs. Il leur faut des plages, de l’eau propre et des hôtels (une médina peut aider). Créer du besoin là où il n’y en a pas. Ainsi fabrique-t-on le tourisme.