Avec ses rues tip-top, Missourata est surnommée “la Suisse libyenne” (on appelle bien Tripoli "la Blanche mariée de la Méditerranée"), mais ce qui la distingue des autres villes, ce sont surtout ses taxes douanières. Les plus avantageuses du pays. Missourata fait ainsi office de duty free. C'est aussi une étape agréable qui contraste avec le tumulte de Tripoli, 200 kilomètres plus à l'ouest.
MISSOURATA Près du souk, une vaste place accueillait jadis le marché aux vêtements. On peut encore lire les numéros des stands sur le sol. En 2008, six jours sur sept, de 16 à 20 heures, s'y invite le "Salon de l'Auto". A la criée, version open air, trois pour le prix de deux. “Ici, on aime bien changer de voiture, on achète, on revend, on achète”, me dira-t-on.
Dans le souk, les vendeurs sont assis dans la brouette qui a permis de transporter les marchandises. Des tailleurs alignés derrière leur machine sont au sevice de ces dames. Dans une échoppe à chawarma (lamelles de viande cuite à la broche introduite dans un pain plat, l'incontournable fast food libyen), je rencontre Abraham (photo), un Nigérian qui usine des portails en acier pour 500 dinars par mois (500 francs suisses). "Sans papier, c'est pas mal. En plus, quand la police m'arrête, j'appelle mon patron et c'est réglé. Pas de racket, pas de coup, pas de prison...” En Libye depuis deux ans, il n'a été qu'une seule fois invité dans la maison d'un Libyen. “C'était un black", précise-t-il (les harathin, cultivateurs noirs des oasis du Sahara depuis des siècles, vivent pour la plupart à Tauorga, à 50 kilomètres plus à l'est).
FACE A L'EUROPE Puisque Abraham a congé, on fait route vers la mer. Sur la plage, il parle de l'océan, des côtes nigériannes, des "vraies vagues"... puis d'un ami, dont il est sans nouvelles, probablement mort en tentant sa chance vers l'Europe. Selon lui, 80% des haragas meurent en mer. C'est très probablement faux, mais cela en dit long sur son état d'esprit. S'il continue d'usiner des portails en Libye, c'est pour payer son retour au Nigéria.
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Avec ses 1770 kilomètres de côtes, la Libye reste une base de départ très prisée pour l'immigration clandestine vers l'Europe, via les îles de Malte et de Lampedusa, au large de la Sicile. Même si depuis 2004, des bateaux européens patrouillent sur la côte. Même si en janvier dernier, la Libye annonçait l'expulsion de deux millions d'immigrants clandestins... En plus des presssions européennees, les autorités de Tripoli doivent répondre au raz-le-bol des Libyens. Les clandestins sont accusés de répandre l'insécurité (les Libyens m'ont déjà plusieurs fois conseillé de ne pas m'aventurer dans les "quartiers africains”), de vendre de la drogue, de propager des maladies (la phobie du sida est impressionante) et d'occuper des emplois au détriment des jeunes chômeurs libyens. Le chômage est en effet estimé à 30%, mais comme partout, les clandestins exécutent des tâches que peu de Libyens accepteraient...