Quand Moussah en a sa claque, il n'y va pas par quatre chemins. Il emprunte celui des bas quartiers de Tobrouk à bord d'un taxi. Un taxi qui majore sa course. Prime de risque. La route se fait piste, les quartiers se font taudis et la vie ralentit. Moussah tend cinq dinars (autant de francs suisses) à un homme appuyé contre un mur et le taxi redémarre. Au bout de la ruelle, Moussah réceptionne la commande, un sachet en plastique rempli d'un demi-litre de “bokha”. Ça se passe comme ça chez Kadhafi !
TOBROUK Ici aussi, les lois n'existent que pour être contournées. Neuvième producteur mondial de dates, la Libye ne se prive pas de les distiller, surtout dans les oasis de Zlita et de Waddan. Ainsi peut-on trouver un peu partout ce breuvage pas franchement divin, mais bien meilleur marché que le whisky, vendu une centaine de dollars la bouteille sur le marché noir.
Sur le chemin du retour, le chauffeur recommande la discrétion, puis, montrant sa carte d'accréditation, finit par avouer que lorsqu'il n'est pas chauffeur de taxi, il est... policier ! Fou rire général. Et comme si cela de suffisait pas, il cherche à revendre un morceau de haschisch algérien...
Moussah cumule aussi les emplois. “J'ai de l'argent, ce n'est pas le problème.” Il est de ceux qui fument des Marlboro, les plus chères. Il dirige deux entreprises. “En réalité, elles font le même travail, mais si l'Etat décide d'en surtaxer une, jugeant qu'elle menace ses propres intérêts, je peux sans autre changer d'adresse.” Moussah conserve également un partiel administratif au commissariat de police, un emploi alibi qui lui évite de remplir ses obligations militaires.
Quand il ne travaille pas, Moussah regarde des films américains. Film sur film, un vrai cinéphage. Négligeant les vieilles salles obscures, il se paie des tonnes de dévédés (qui coûtent à l'unité autant qu'un demi-litre de bokha). Un cadeau du ciel, même si dans certains plans, on voit défiler des ombres devant l'écran (ces versions piratées ont été tournées en douce dans des salles de cinéma).
Parfois, la fiction ne suffit pas. Moussah n'entends plus le muezzin rappeler ses fidèles (photo). Au second verre, Moussah est tout entier dans sa colère. “Ma mère veut me marier cet été avec une Berbère. Simplement parce que je suis berbère. Je ne l'ai jamais vue. J'attend le verdict de mon père. Et j'en ai marre d'entretenir des amantes secrètes qui me demandent une nouvelle robe, une montre, un téléphone portable, etc. Tout s'achète en Libye !” Si Moussah dit ne jamais être tombé amoureux, il a adoré le film Titanic.
Moussah a envie qu'on le laisse gagner sa vie, qu'on le laisse aimer. Il rêve d'Amérique. “L'ambassade de Tripoli n'est encore active que pour le pétrole, mais promis, sitôt qu'un service visa ouvre, je serai le premier de la file !” Il l'a vu dans les films. Là-bas, toutes les filles sont belles...
“Les Libyens éprouvent un profond attachement à leur terre dont ils sont fiers et qu'il ne veulent en aucun cas quitter”, avais-je lu quelque part. En réalité, les jeunes peinent à comprendre ce qu'un Suisse vient chercher chez eux.