BEYROUTH Comme parachuté rue Ibn Sina, couloir sordide où s'agglutinent le Night Club 70, le Night Club Stark, le Night Club La Licorne, le Night Club Excelllence... et la pension Valery, qui – j'aurais pu m'en douter – fait aussi office de maison de passe. M'enfin. L'ambiance y est familiale. Que demander de plus.
Le gérant de la pension (photo) lit son horoscope en français, mais préfère converser en anglais. Il a mauvaise mine (on conseille aux Scorpions de prendre du repos), mais bon caractère. Affichés sur les quatre parois de sa réception - qui sert de salon, de cuisine et de lieu de “transaction” - une dizaine de portraits de Rafiq Hariri, le premier ministre libanais assassiné le 22 février 2005. “Le monde n'a jamais connu meilleur politicien!” Oh non, mieux vaut ne pas parler au gérant de Fouad Siniora, reconduit premier ministre le 28 mai dernier. Il pourrait devenir grossier.
Si l'enquête balbutie toujours, pas l'ombre d'un doute, Rafiq Hariri a bien été assassiné à deux pas de la rue Ibn Sina. Les bâtiments voisins de l'explosion (photo) en témoignent. Au quatrième étage, comme des pendus qui nargueraient les passants, des blocs de béton sont encore suspendus à leur tige d'acier.
Toujours à deux pas de la rue Ibn Sina s'est inauguré en février dernier un monument à la mémoire de Rafiq Hariri. Une plaquette porte le nom des 19 Libanais et des 3 Syriens morts lors de l'attentat. Une statue du défunt (photo), une colonne gravée de citations et, en boucle, des chansons composées en son honneur. Le gardien du site montre volontiers sur son téléphone portable des vidéos de l'inauguration. Ce Palestinien, dont les parents ont émigré au Liban en 1948, est né à Beyrouth, a servi pendant trente ans dans l'équipe de Rafiq Hariri et rêve, un jour, de rentrer en Cisjordanie... Si je vous raconte tout cela, c'est que la place qui accueuille le monument en dit long sur le nouveau Beyrouth:
LIBAN 2008 La photo est prise du onzième étage de l'Intercontinental Phoenicia (l'hôtel tire-t-il son nom des origines phéniciennes de la ville ou du fait que cette dernière renaît sans cesse de ses cendres tel un Phoenix?). La banque HSBC (à gauche sur la photo) affiche le slogan “Get a free solar power water heather with every home loan”. À ses côtés, trois bâtiments délabrés se souviennent de l'attentat. Puis, sans transition, le Yacht Club Saint Georges, avec dans sa baie le “Samar”, un yacht muni d'un hélicoptère qui appartiendrait à un Koweitien. Sur le trottoir, de jeunes Libanais et Libanaises (!) font leur jogging en tenue peu coranique, ipod dans les oreilles. Les moins jeunes marchent à un bon rythme, parfois un chapelet dans la main. Sur la route défilent les décapotables et les tout-terrains surdimensionnés: ce Beyrouth-là semble apprécier les signes ostentatoires de richesse. En dehors du champ de la photo, sur le mode vertical, une vingtaine de grues bâtissent, de jour comme de nuit, une demi-douzaine de gratte-ciel de luxe. Sur le mode horizontal, un “Jardin Rafic Hariri” est en construction. Juste derrière l'Intercontinental Phoenicia, les vingt étages creux de l'ancien hôtel Holiday Inn (photo), le premier immeuble bombardé lors de la guerre civile, en avril 1975.