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1948-2008: toute une vie dans un camp de réfugiés

1164944973.jpgBEYROUTH Entre un portrait de Yasser Arafat et diverses propagandes djihadistes, un slogan: “nous voulons rentrer, même sous les décombres” (photo). Bienvenue dans le camp palestinien de Burj El Barajneh, dans la banlieue sud, le plus grand des trois camps de Beyrouth.

Une centaine de mètres ont suffi - le temps de constater l'anarchie des fils électriques et les impacts de balles sur les murs (photo) - un homme me “prend en charge”, me conduit vers le “chef de la sécurité”, qui à son tour m'achemine vers le réceptionniste anglophone de la Ligue des Sociétés de 1200444845.jpgla Croix-Rouge (celle qui a ouvert le camp en 1948). Ce dernier peut m'expliquer qu'une “visite” du camp nécessite une autorisation officielle et qu'il est strictement interdit de prendre des photos. Après réflexion, il convainc la “sécurité” de me laisser rencontrer le personnel de l'ONG Beit Atfal Assumoud, active dans le camp depuis 1976, juste après le massacre de Tal Al Zaatar.

1269094032.jpgDans les locaux de l'ONG, une responsable me raconte que son père est arrivé dans ce camp à l'âge de 12 ans, en 1948. Des photos d'archives montrent que ce n'était alors qu'une succession de tentes sur un terrain vague (photo). En 2008, le campement de Burj El Barajneh est devenu une ville de 18'000 habitants (à l'origine, ce camp d'un kilomètre carré ne devait pas accueuillir plus de 10'000 réfugiés).

Dans les locaux de l'ONG, chacun y va de sa critique. “L'état libanais refuse aux Palestiniens de pratiquer 73 professions. Le secteur public nous est fermé. On ne peut ni élire, ni se porter candidat, alors que certains d'entre nous vivons ici depuis 60 ans!” Les médecins palestiniens ne peuvent pratiquer qu'au sein du camp et puisque le métier de journaliste est interdit, le camp publie un magazine nommé Jerusalem. L'un envie le sort de ses compatriotes réfugiés en Syrie et en Jordanie: “là-bas, ils peuvent même devenir ministre”. L'autre se plaint des injustices salariales. Ceux qui travaillent dans la construction et celles qui font des travaux de nettoyage ne bénéficient pas de congés payés et gagnent bien moins que les employés libanais. Un dernier considère ce camp comme un "ghetto". Selon lui, seul 10% des Palestiniens de Beyrouth vivent en dehors des camps, d'une part parce que les Nations unies paient le “loyer” du camp à l'état libanais, et d'autre part, parce qu'il faut être résident pour acheter un appartement à Beyrouth (et seuls les réfugiés de 1948 et de 1956 ont ce privilège). Des propos aussitôt contredits par une femme qui a épousé un Libanais. Tous deux ont décidé d'élever ensemble leurs enfants dans le camp, "parce qu'il y règne un vrai esprit communautaire”...

2073715566.jpgLa discussion aurait pu durer des heures, mais un membre de la "sécurité" était chargé de me racompagner à la sortie...

819441.jpgPas vraiment rassasié, je fais le tour du camp et y pénètre à nouveau côté sud. Cette fois encore, une centaine de mètres suffisent. Mais le jeune homme qui m'accoste ne veut... que m'inviter chez lui pour boire un thé. On s'engouffre dans le dédale des ruelles. (deux hommes peuvent à peine se croiser). Des barbiers, des petits commerces et même un cybercafé.

Contrastant avec l'insalubrité des ruelles, le salon de la famille de Saïd est coquet. Une télévision géante retransmet la prière de La Mecque. Pensant me faire plaisir, il zappe sur MTV. Un clip de Mariah Carey. Sur une étagère, un petit bout de choux tout blond, le fils de son frère exilé à Malmö après avoir marié une Suédoise. Sa mère a pu lui rendre visite (visas délivrés aux parents), mais Saïd, comme tout réfugié, ne pourrait quitter le Liban qu'illégalement.

1806764114.jpgSaïd me prend ensuite avec lui sur son scooter (le seul moyen de transport envisageable dans le camp) pour aller chercher ses deux nièces à la sortie de l'école. Gérée par l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), l'établissement se trouve en dehors du camp. Le chemin du retour à quatre sur la selle.

2039118924.jpgLa visite se poursuit. Saïd me présente son meilleur ami. À 33 ans, Abou Saleh tient un petit salon de coiffure (photo prise depuis l'intérieur). Son frère a été assassiné en 2005, à l'âge de 25 ans, pour des raisons restées inconnues. Sa mère est décédée l'an dernier des suites d'une erreur médicale dans un hôpital de Beyrouth. Il n'a aucune foi en la politique: “Arafat n'était pas meilleur que les Américains”. Pour lui, seul le Hezbollah fait quelque chose pour la Palestine. Il les soutient, même s'il est sunnite et eux chiites, même s'ils voudront à terme faire de Jérusalem une ville chiite et que tout sera à recommencer... Abou Saleh se lâche. Il n'en peut plus de ne pas savoir que choisir: marier la femme palestinienne qu'il a fiancée ou s'enfuir en Belgique rejoindre son frère, même si ce dernier dit détester sa vie bruxelloise. Ce qu'il veut à tout prix, c'est obtenir une nationalité étrangère, le seul moyen de pouvoir un jour visiter la Palestine. "En menant une vie de réfugié, on ne fait rien pour la cause palestinienne”.

Ils sont 400'000 au Liban à attendre ainsi de revoir un jour ce pays qu'il n'ont pour la plupart jamais vu.

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D'autres témoignages de réfugiés à Burj El Barajneh, des infos onusiennes, des  photos et, pour conclure sur une touche positive, un présentation de Katibe 5, un groupe de hip-hop né dans le camp de Burj El Barajneh.

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