Aux environs de minuit, les guirlandes lumineuses d'un bateau-restaurant au large de Tyr, voilà à quoi resemble la paix, depuis que les navires israéliens ont déserté les lieux, en août 2006.
SUD-LIBAN Sur la terrasse du Bed & Breakfast Artizan, la vue est imprenable et Hassan, le patron des lieux (photo), semble avoir toute la nuit pour refaire le monde, café sur café, clope sur clope. Quel bonheur parfois d'aller au-delà des “vous êtes mariés?”, des “comment trouvez-vous le Liban?”, des “comment dois-je faire pour venir en Suisse?”...
Lors des affrontements de 2006, Hassan avait envoyé sa fille en Syrie. Lui était resté, “en résistant”. Il y avait alors 115 journalistes dans son petit hôtel. Il avait fallu aligner des matelas sur la terrasse. Comme à l'abri d'un moucharabieh, rivées sur ce même balcon où nous refaisons le monde, les caméras pouvaient distinctement voir pleuvoir les bombes sur les villages du nord de la ville, foyers du Hezbollah. Et constater la riposte. Hassan avait emmené deux journalistes près de Blint Jbayl, tout au sud du pays. Ces derniers auraient été surpris de voir des Merkava 4, ces fameux chars israéliens dits "indestructibles", exploser sous les feux de quelques militants... Pas de doute, s'il n'est pas du Hezbollah, Hassan est sympatisant.
Lors des affrontement de 2006, Hassan a perdu une maison, effondrée sous les bombes. En 2004, c'est un frère qu'il perdait. Tout le monde ignorait son appartenance au mouvement. “Ici, personne ne connaît de militants du Hezbollah. Il arrive souvent qu'on découvre dans un avis mortuaire l'appartenance d'un voisin de longue date...” Aujourd'hui, Hassan est fier de son frère: “mourir pour son pays fait de soi un grand homme.”
PRETEXTE RELIGIEUX Nuit noir dans les rues. Coupure d'électricité. La troisième de la soirée. Hassan ne s'en soucie guère. Ils achète son électricité à des “générateurs”, des privés propriétaires de grosses génératrices capables d'alimenter une petite dizaine d'immeubes. “Tous des corrompus. Le Liban vend l'électricité la plus chère du monde!”. Même rogne lorsque disapraît la couverture réseau de son téléphone. “Cette compagnie de téléphonie appartient à un ministre. Elle est chère et ne fonctionne jamais!”
Pour lui, la religion n'est qu'un prétexte au Liban. Tout est affaire d'intérêts politiques. “Il n'a jamais été question de guerre civile au Liban. En 1975, ce sont les Palestiniens qui ont lancé les hostilités contre l'état libanais. Ensuite, les responsables sont tous les pays arabes qui ont fermé les yeux...” Et aujourd'hui ? “Les conflits au Liban: c'est l'Iran contre l'Amérique!”
Même raisonnement autour du Fatah al-Islam. Il aurait été “invité” par Saad Hariri, le fils du Premier ministre assassiné en 2005. “Ici, on se plaît à dire que le père de Saad est davantage le Roi Fahd que Rafic Hariri...” Le père Hariri, lui aussi, en prend pour son grade. La plus jeune milliardaire du monde est Hind Hariri, sa fille, âgée de 22 ans. L'ancien Premier ministre aurait bâti le Downtown de Beyrouth, la vitrine moderniste du pays, sur des terrains préalablement acheté par le clan Hariri...
PRESSE LIBRE Les anecdotes, plus ou moins vérifiables, se succèdent. Des affaires que relate quotidiennement la presse arabe libanaise, "la plus libre du monde arabe". Les quotidiens As-safir et Al-Akhbar mentionnent des déploiements de l'armée libanaise dans la capitale, alors qu je ne lis dans L'Orient et La Revue du Liban, le quotidien et l'hebdomadaire francophones, que des éloges du nouveau président et des prommesses de paix immuable...
Hassan est fier d'être libanais. Hassan aime son pays. Pourtant, il parle aujourd'hui de le quitter et cherche à convaincre son fils unique d'en faire autant. Il semblerait qu'un nouveau président et un nouveau parlement ne suffisent pas totalement à faire revenir la confiance et la foi en la paix.