“Aucun Boeing sur mon transit / Aucun bateau sur mon transat / Je cherche en vain la porte exacte / Je cherche en vain le mot exit...”
C'est l'Anamour de Serge Gainsbourg qui m'a fait descendre ici, siffloter cet air et mépriser les linguistes soutenant qu'Anamour vient du grec anemurium, “point venteux”.
ANAMOUR Vrai pourtant que les voies d'accès sont bien exposées. Plongeant ses vertigineuses falaises dans la mer, le massif du Taurus dessine une route sineuse, tortueuse, de toute beauté (on ne se rendait jadis à Anamour - le cap le plus méridional d'Asie mineure – que par voie de mer).
Isolée, Anamour fructifie pourtant. Seule région de Turquie à cultiver des bananes, elle produit aussi fraises, papayes, cacahuètes, ananas, avocats et pastèques. Si le tourisme n'y est encore qu'un fouilli d'initiatives disparates, le prospectus mentionne pourtant les 39 tours du château de Mamure et les bains de la cité antique d'Anemurium sur lesquels est gravé en latin: “profitez des bains”.
Docile, j'ai profité. Mais le soleil cogne. J'ai beaucoup d'admiration pour l'homo balnearus et l'impression que la “transat attitude" ne s'improvise pas. L'impression aussi que la Beauté se dissimule entre les lieux habités...
D'Anamour à la montagne, il n'y a qu'un pas. Les forêts de pins sentent la résine et prêtent leurs ombres fugaces (je comprends pourquoi, dans le bus VW qui me laissait à la sortie de la ville, les paysannes portaient toutes le voile : photo). De la montagne à la mer aussi, il n'y a qu'un pas.
Il n'était pas nécessaire d'emmener à boire: deux paysans qui récoltent leurs pastèques m'en découpent de larges tranches (photo de gauche). Pas besoin de nourriture non plus: les Turcs pique-niquent volontiers au bord des routes et se sentiraient blessés si je refusais leur épais sandwich (photo de droıte). Réflexion faite, même pas besoin de marcher: une voiture s'arrête spontanément. Le chauffeur vend du mobilier d'intérieur. Dans son catalogue “Avensis, it's my furniture”, mon préféré est le lit-double “Elegan”. Mais je m'égare. C'est la première fois que l'on me prend en autostop pour m'obliger à prendre des photos dans une dizaine de lieux panoramiques...
Malgré sa gentillesse, l'envie de marcher reprend le dessus. "Teşekkür ederim, güle güle!"
Sur le litoral, les plages sauvages appartiennent aux autochtones. Au bord de la route, un pick-up rouillé annonce en contrebas une famille nombreuse qui jouit d'une baie entière pour elle seule. Au bord de la route, une Honda à la selle déchirée annonce en contrebas un pêcheur isolé... Ma plage préférée appartient à Abdullah (photo), un cultivateur de bananes à la chemise lacérée, au sourire inamovible et à la qualité de vie inégalable...
...mais au loin, encore bleuté, se profile, tel une forteresse bidon, le cinq-étoiles Utopia (littéralement “lieu qui n'existe pas”), sa plage cloisonnée accessible uniquement via un ascenseur vitré d'une vingtaine de mètres relié à une passerelle conduisant à l'intérieur de ce palace déposé sur un piton rocheux...
À partir d'Utopia, Costa del Sol, Antalya, même combat.
“Aucun Boeing sur mon transit / Aucun bateau sur mon transat / Je cherche en vain la porte exacte / Je cherche en vain le mot exit...”