Un Guide des chemins de France a été rédigé par Charles Estienne en 1552, le tour du monde s'est imaginé en 80 jours en 1872 et le tourisme (mobilité fondée sur un excédent budgétaire susceptible d'être consacré au temps libre passé hors de chez soi) se serait “démocratisé” en 1936. Nous sommes en 2008.
Il n'y a pas de solutions. Juste une question : ne faut-il pas aborder “notre mer” comme tout le monde? Car je suis évidemment plus proche de ceux qui passent leurs tongs aux rayonx X de l'aéroport d'Antalya (mon itinéraire méditerranéen me fait consommer des villes, m'émerveiller des paysages et des sites classés UNESCO) que des Turcs, des autochtones, ces gens qui “vivent à l'année”...
Le pourtour de la mer s'est rétréci. Plus de place pour le mensonge. Faut-il haïr ses semblables, emprunter des “chemins de traverse” et retarder la misanthropie qui guette? Cela n'a aucune importance. Le tourisme s’inscrit dans une démarche globale qu'il faut aborder comme une partie révélatrice d’un tout (l'OMT prévoit 1,1 milliard de touristes en 2010 : une matière première qui génère 200 millions d’emplois - 8% de l’emploi mondial – et fait circuler annuellement 3'000 milliards d'euros). Le tourisme “alternatif” n'existe pas et les labels de qualité (tourisme rural, tourisme écologique, tourisme vert, agritourisme, tourisme communautaire, ethnotourisme, tourisme culturel, tourisme responsable, tourisme équitable, tourisme solidaire) ne sont que des paravents. Ce que l'on appelle “voyage total” est une anomalie, une exception, une dégénérescence, une fixation sur l’instinct primitif de migration, une déambulation addictive, le contrecoup d’un chromosome bancal, une manie errante, pas mal de masochisme, de l’autodestruction, un réflexe égocentré, une fugue juvénile, le syndrome de Peter Pan, une tentation de toute-puissance, l'envie de posséder le monde et de devenir “l'élu”... C'est le tourisme qui est la norme.
Autour de la mer, les seuls voyageurs “totaux” sont les émigrés clandestins (par besoin), les SDF (par besoin), les nomades berbères, tziganes et bédouins (par besoin). Les autres “mobiles” sont des touristes. Un journaliste italien s'est mis dans la peau d'un clandestin, les backpackers jouent au SDF, les Tziganes et les Berbères font rêver et vendre... mais cela reste jeu de rôle. Mythe et imitation. Un voyage quand on veut, où on veut, comme on veut. Du tourisme.
À qui la faute? Médias (propagande des voyagistes), facilité des transports, éducation (“les voyages forment la jeunesse”)... À personne la faute. Alors faudrait-il prohiber le tourisme de masse et ne tolérer que l’escapade élitiste? Imposer l’obtention d’un permis-de-se-conduire-comme-touriste-équitable avec une police internationale du tourisme, des points en moins pour chaque infraction au code et, pourquoi pas, des travaux d’utilité voyageuse en cas de faute grave?!?
Et si on observait le phénomène avec des yeux “positifs”?
1) L'industrie touristique repose sur l'abrutissement de l'être humain. C'est un fait. Mais un fait qui perdure “en connaissance de cause”. Tout touriste a été une fois ou l'autre sensibilisé aux répercussions négatives de sa démarche : augmentation des inégalités, destruction de la biodiversité et du patrimoine culturel, fragilisation du tissu social, abandon de certaines activités traditionnelles, renchérissement du foncier, hausse des prix, exode rural, prostitution... Abrutissement donc, mais “en toute connaissance de cause”.
2) Le tourisme fait se rencontrer dans un même espace-temps les rêves frustrés du sud et les solitudes béantes du nord. Le sud découvre les travers du nord, ces pays rêvés, et le nord comprend sa chance.
3) Placé dans une position d'étranger, le touriste se positionne dans l’espace et dans le temps. Il se créé des “marqueurs spatiaux” qui bornent le territoire, l’animent, le structurent, donnent sens au paysage et par là expriment et confortent l’identité des peuples ou des ethnies. En outre, voyager n’est pas seulement se promener dans l’espace, c’est aussi remonter le temps.
4) Un touriste est amené à franchir le “seuil de pauvreté”. Les destinations de rêve sont peuplées de désespoirs sans horizon. Un pas possible vers la prise de conscience.
5) Le tourisme permet de retrouver le sens du jeu et de la fête, de s'immiscer dans l'espace-temps de l'autre (celui ou ceux avec qui on fait du tourisme). Et qu'importe si les pays ne sont que décors ; en se mettant “en vacances”, on prend du temps pour soi et renforce le tissu social.
6) Si un touriste cherche souvent à reproduire son quotidien dans les pays étrangers, si les aéroports et les “villages de vacances” s'uniformisent, si la Méditerranée s'occidentalise, se banalise et s'acculture, cela renforce l’illusion d’une continuité géographique et culturelle. Ne serait-ce pas une suite logique des autres “conquêtes” (grecque, romaine, musulmane, etc). Le tourisme n'est peut être qu'une autre forme de “violence nécessaire” pour accéder au pallier suivant, contınuer le progrès (est-ce cela l'Union méditerranéenne?). En outre, si le pourtour de la mer s'uniformise, l’autre ne sera plus un étranger, mais un semblable : cela mettrait incontestablement un terme à l’exotisme et porterait un coup fatal à l’industrie des voyagistes...
7) Des gens “vivent du tourisme”. Des deux côtés de l'activité touristique...
...à défaut donc de changer le monde, changeons de monde. Bonne vacances à vous...
“Le seul véritable voyage n’est pas d’aller vers d’autres paysages, mais d’avoir d’autres yeux.”
Marcel Proust