Lorsque j’échange un billet de vingt francs contre un rouleau de sacs poubelles «Trier c’est valoriser», je n’ai pas une pensée pour l’activiste écologiste Nurlan Uteulieva, tué par balles le 10 mars dernier au Kazakhstan pour avoir milité contre l’abatage illégal d’arbres protégés.
Lorsque je dépose mon huile de vidange à la déchetterie, je n’ai pas une pensée pour le chef de village thaïlandais Prajob Nao-opas, abattu en plein jour en février dernier pour s’être s’engagé à ce que les industries ne déversent plus de produits toxiques dans les rivières.
Lorsque je prends le temps d’imprimer recto-verso, je n’ai pas une pensée pour Juventina Villa Mojica, assassinée avec son fils dans une embuscade en novembre dernier. Elle se battait pour sauver une forêt dans les montagnes du sud du Mexique.
Lorsque je règle ma facture Mobility «car sharing» (et l’amende pour dépassement d’horaire), je n’ai pas une pensée pour le journaliste environnementaliste cambodgien Hang Serei Oudom, retrouvé mort en septembre dernier dans le coffre de sa voiture. Il enquêtait sur le trafic de bois de luxe.
Lorsque je résiste aux framboises espagnoles en barquette de 200 grammes ou lorsque je j’éteins les appareils électriques qui fonctionnent en mode veille…
Lorsque je consacre la moitié de la superficie de ma cuisine au tri consciencieux du papier, du verre, du PET, du végétal, de l’alu et des piles, je n’ai pas une pensée pour Margarito Cabal qui s’opposait à la construction d’un barrage géant aux Philippines et qui a été abattu en mai 2012.
Ni pour l’activiste écologiste Chut Wutty, tué par balle en avril 2012 alors qu’il accompagnait des journalistes pour les sensibiliser à la destruction d’une forêt protégée au Cambodge.
Ni pour Almir Nogueira de Amorim et Joao Luiz Telles, deux militants écologistes assassinés en 2010 alors qu’ils luttaient contre la construction d’un gazoduc au Brésil.
Ni pour le journaliste russe Mikhaïl Beketov, décédé ce 8 avril. Pour s’être opposé à la construction d’une autoroute dont le tracé menaçait la forêt de bouleaux de Khimki, il avait été passé à tabac en 2008. Après plusieurs mois dans le coma, il avait été amputé d’une jambe, de plusieurs doigts et avait perdu l’usage de la parole…
Moi qui ai tous mes doigts pour écrire dans cet espace de parole, qu’ajouter ?
Que les gestes du parfait petit écolo me paraissent soudain moins contraignants. Comme un tout petit arbre qui cacherait leur jungle.
Et que je m’en vais de ce pas laisser quelques empruntes écologiques dans la forêt, une manière de rendre hommage à ceux pour qui la défense de l’environnement est une question de survie. Et hélas, chaque semaine depuis dix ans, de mort.