Rares sont les ouvrages qui trouvent les bons mots pour dire la « beauté insolente » du monde. La jeune auteur belgo-suisse Anne-Sophie Subilia y parvient dans un roman paru cette année : Parti voir les bêtes.
Voilà un monde qui sent, pas la bougie parfumée, le petit veau encore tiède de l’après-midi, un monde qui s’écoute, pas le roulement des tronçonneuses, les clochettes à travers les carreaux de la bergerie, un monde qui se touche.
On referme ce livre avec, justement, une furieuse envie de partir voir les bêtes, comme le grand-père du protagoniste qui « s’enfonçait dans les bois, sans provisions ni rien, et revenait à la tombée du soir les bottes crottées et la couperose aux joues ».
L’intrigue est simple, elle ne suffit à faire le livre. Parti voir les bêtes, c’est d’abord une langue fabriquée pour le plein air et un regard sur ce qui nous reste de paysage.
Paysage sans paysan. Le grand-père, « avec sa main que les années dehors, les cordes et le savon avaient usées », dit d’une « voix pleine de fissures » au petit-fils : « C’est plus la peine que t’apprennes à te servir de mes outils, on vend la ferme ».
Paysage mité. Le village imaginé par l’auteur est caricatural, avec son rond-point, ses bus à deux étages, son champ de fleurs en self-service, sa petite école reconvertie en logements et ses gabarits pour futures maisons mitoyennes avec garage en sous-sol, jardin carré, piscine gonflable, robot tondeuse…
Il y a dans ce livre une déambulation qui rappelle celles du poète Philippe Jaccottet. Anne-Sophie Subilia lui a consacré un mémoire universitaire. Elle montre la même attention émerveillée aux éléments familiers, le même don de tout rendre précieux. Une mésange bleue ? « Douze grammes, et ça passe la nuit dehors ! »
Il y a des ingrédients du nature-writting, un genre inspiré par l’écrivain-philosophe américain Henry-David Thoreau. L’environnement est un acteur à part entière, pas seulement un décor pour l’expérience humaine.
Il y a aussi du François Terrasson, ce grand questionneur de notre rapport à la nature, de notre perte du lien sensoriel avec elle, de notre obsession à la dompter.
Il y a surtout du Kenneth White, l’initiateur du concept de « géopoétique ». La jeune auteur a fréquenté à Montréal « La Traversée », une branche de l’Institut international de géopoétique. Elle en garde une perception globale du réel, alliant poésie et sciences exactes, soucieuse du corps autant que de l’esprit. Ainsi, le héros du livre devient, plus que le personnage central, un outil cher aux « géopoètes » : la marche.
« Ce pas agit et se faufile en toi. Tu lui confies ton errance. Il devine à ta place ce dont tu as besoin maintenant […] Ce pas vous rapièce, toi et la grosse masse ivoire du ciel. Ce pas comme une aiguille à coudre. Ce pas, qui est la plus ancienne conquête humaine ! »
Anne-Sophie Subilia, Partir voir les bêtes,
éditions Zoé, 2016.
Photo : Bertrand Rey