Il taille, son nom de famille vient de Toscane mais l’accent, lui, est bien vaudois. Il taille avec des écouteurs dans les oreilles, il écoute France Culture, «Les chemins de la philosophie», l’émission lui parle de Friedrich Nietzsche. Il aime tailler : «C’est le seul moment de l’année où je domine la vigne». Il dit que la taille, c’est comme le foot : «L’œil doit précéder le geste». Lorsqu’il entend l’hymne italien avant un match de la Squadra azzurra, il a des frissons, c’est pour cela qu’il n’a jamais demandé sa naturalisation.
Elle taille en se remémorant l’Australie de ses 18 ans, la Patagonie de l’an dernier. Elle taille en rêvant de sa prochaine évasion. Elle se sent libre malgré tout parce que la seule patronne qu’elle tolère, c’est la nature. Elle se réjouit que la vie reprenne ses droits, que la vigne pleure et se peuple à nouveau de mésanges, de pinsons, de salamandres, de lézards et de couleuvres noires.
Il taille l’un des vingt-six cépages qu’il a planté comme les vingt-six lettres de l’alphabet. Des moutons broutent entre les lignes. Il veut que sa vigne soit heureuse, il pense que l’engrais, c’est de la poudre à canon, il en veut aux «dealer de pesticides». Pour lui, le vin est le meilleur moyen qu’ait trouvé l’homme pour faire parler la terre.
Elle taille, elle était la première maman à la garderie ce matin, elle sera la dernière ce soir. C’est pour cela qu’elle vient d’engager un manœuvre. Quand son frère est né, le grand-père a dit : «Je peux mourir tranquille, il y aura un héritier». Quand elle a décidé de reprendre le domaine, à l’âge de 15 ans, son père l’a mise en garde : «Tu sais, ce n’est pas vraiment un métier pour les filles».
Il taille, il ne vient pas d’une famille de terriens, il était consultant à l’UBS. Il a d’abord dû convaincre ses parents, pour qui la vigne était un loisir accessoire. Il taille mais il dit qu’il sculpte. Le cep est un patrimoine à transmettre. Il visite chaque souche et s’excuse du mal qu’il leur fait. Il n’utilise pas de sécateur électrique. Il taille en conservant un «bois de respect». Il dit qu’il a de plus en plus besoin de l’hiver, que c’est une saison qui le régénère.
Elle taille, elle vit à deux cents à l’heure, toujours entre deux feux, entre son métier de vigneronne et ses obligations de mère. Son mari fait plus facilement la part des choses. Tous deux se sont rencontrés à l’école de Changins. Ils aiment dire qu’ils font chambre commune mais domaine à part. Selon elle, l’élevage du vin ressemble à l’éducation des enfants : «On ne le modèle pas à son image, on pose les limites puis on laisse faire». Dans sa cave souterraine, l’un des quatorze tonneaux de chêne porte le nom de son fils. Elle dit que le nettoyage de ces tonneaux, c’est son Weight-Watcher : « Si je parviens à y entrer, c’est que j’ai conservé ma ligne».
Il taille, il est né le premier jour de la vendange 1980, une «crouille année». Sa fille est née le premier jour des dernières vendanges. Il hésite encore à donner son prénom à la cuvée. Il me montre une affiche prévention datant de 1900 : «Que donner à boire aux enfants ? Du vin plus ou moins coupé selon l’âge, à partir de 4 ans. Pour les adultes, de 0,75 à 2 litres de vin par jour.»