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De retour à la campagne

On se dit : tout de même, fini le choix entre dix théâtres, dix salles de concert et une foule de potes potentiels, finies les sorties à l’improviste, finis le sourire des mendiants, le vertige des passantes, la démarche flottantes des banquiers et des toxicos, le boucan, les cris, la vie quoi !

On se dit : Suis-je vraiment prêt pour prendre une retraite anticipée, commettre un suicide social ?

Et puis c’est là, après une dizaine d’années passées à Lausanne… et quel bonheur.

Se faire réveiller le matin par un silence assourdissant, ou le choc des fronts de cinq moutons qui broutent et luttent dans un petit enclos voisin. Ouvrir de vieux volets craquelés et voir un champ qui respire profondément, un château enfantin avec son donjon et ses quatre tourelles, un lac, un ciel immense et de la neige qui deviendra bientôt printemps.

Avoir de la nature qui pousse juste de l’autre côté de la porte-fenêtre. Dans un jardin (encore) en friche, découvrir, avec le retour des beaux jours, de belles couleurs du côté d’un prunier d’ornement, d’un pommier du Japon et d’un forsythia. Surprendre, entre des herbes folles, du thym citronné, du romarin, de la ciboulette, de la sauge et de la menthe marocaine. Finir de remercier le précédent locataire pour les framboises, les mûres, les groseilles et les fraises à venir.

Ne plus devoir faire trois fois le tour d’un quartier de rues à sens unique pour trouver une place bleue réservée pour les macarons C ; vivre sans rideaux simplement parce qu’il n’y a plus cinq étages d’êtres humains qui entourent l’appartement ; saluer chaque jour mon voisin Gilbert dans sa belle salopette rouge ; avoir une porte qu’on ne fermera pas souvent à clef ; tailler une vigne grimpante qui pleure à grosses gouttes ; se coucher dans l’herbe ; admirer les Alpes qui rosissent le soir.

Alors oui, plus de boulangerie, plus de grand magasin, plus de Poste, plus de librairie, plus l’embarras du choix entre un bistrot bobo, une pinte vaudoise et un café vegan-friendly…

Mais un petit chemin de fer dont la petite gare est plantée au milieu d’un champ, et puis un étonnant self-service 24 heures sur 24 pour d’excellents poulets fermiers, une cabane de pétanque mondialement connue (dans la région), un café ouvert un soir par semaine et le Domaine du Moulin qui a pour devise « drink, live, laugh »…

En fait, durant les jours qui ont suivi le déménagement, une seule chose m’a vraiment perturbé. Mon village vit hélas avec son temps. Inutile d’aller acheter du lait directement chez le paysan voisin : il n’y a plus d’éleveurs bovins ici.

Pour montrer une vache à ma fille, il faut aller jusqu’au village voisin.

Et peut-être faudra-t-il bientôt aller beaucoup plus loin, puisque la moitié des producteurs d’« or blanc » de mon canton prévoient de vendre leur cheptel d’ici cinq ans…

A quand des « berlingots équitables », comme il s’en vend en France ? Quand nous donnera-t-on enfin la possibilité d’acheter notre lait à son prix juste ?

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