On lit, on est concentré sur une tâche d’intérieur, soudain on relève la tête et c’est là. De l’automne à l’hiver en moins de temps qu’il faut pour l’écrire. Certes avec un mois et demi de retard sur le solstice mais tout de même, waouh ! Le ciel était vide et il est plein. On est passé à côté du bulletin météo et ça nous tombe dessus, comme ça, sans prévenir.
J’arrête tout pour la voir tomber, cette neige qui finit par tenir sur les toits des immeubles et des voitures. Même l’asphalte reçoit son absolution. Tout cela se passe de l’autre côté de la vitre mais ça suffit, ça apaise, les démarches des passants ralentissent, la ville fait silence.
Dans ma rue – même si un carambolage sur l’A3 impliquant une cinquantaine de véhicules vient de faire 17 blessés dont trois enfants et même si un randonneur de 28 ans a perdu la vie en début d'après-midi dans une avalanche au-dessus d'Ovronnaz - il y a de la magie, des combinaisons d’hiver, des moufles, des joues rouges, une bataille de boules de neige, un bob à volant dans un coffre, des citadins qui rentrent triomphalement chez eux avec une paire de ski sur l’épaule et – malgré les pelles à neige et les grattoirs pour pare-brise – une fine pellicule de joie recouvrant le tout.
Alors voilà, j’ai voulu mettre un peu de tout cela ici. Mal m’en a pris. Page blanche. Impossible à noircir. Des poésies de sapin de Noël, de vieux souvenirs qui n’intéressent que moi, rien de plus.
Comment transcrire le choc des premières secondes où le froid s’empare de nous ? Les Tibétains ont un mot pour cela : Achu. Nous pas.
Les Néerlandais ont Uitwaaien, marcher dans le vent.
Les Russes, Khalyava, jouir de quelque chose que l’argent ne peut offrir.
Les Iraniens, Kashr, montrer ses dents en riant.
La langue française est trop cérébrale, conceptuelle, elle ne sait pas parler des petits plaisirs. Pour nommer la neige, elle n’a qu’un mot, Neige.
Les Québécois ont Floconnerie, chute de neige paisible et sans vent, Névasse, neige fondante et souillée, Peaux de lièvres, gros flocons de neige humide, Poils de lièvre, neige légère…
Mais quel dénuement en comparaison des Inuits !
Vous souhaitez évoquer la première neige de l’année ? Apinngraut.
Les flocons qui tombent en spirale ? Perquservigiva.
La neige qui craque sous les pas ? Qiqiqralijarnatuq.
La neige épaisse et molle sur laquelle il est ardu de marcher ? Maujaq.
Celle déposée sur les vêtements ? Ayaq.
Celle qui se prend dans les cheveux ? Sukerksineq.
Une fine pellicule de neige qui dissimule un piège ? Miligaq.
De la neige qui sert à boucher le trou d’un igloo ? Nargrouti.
De la neige tassée et gelée à l’endroit où un chien a dormi ? Aoktorunrzeq.
Et un trou formé par un jet d'urine ? Qorktaq...
Pour sortir de la gonfle et débuter cette année moins démunis que la précédente, voilà des propositions de néologismes pour les dix définitions ci-dessus :
Primmaculée, spiralaine, flocron, herminasse, étole-des-neiges, pélikühl, guet-ablanc, emplâtre, blancouette et perce-neige.