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Le dernier scaphandrier du Léman

Le cadre tout d’abord, inattendu. Une rangée de HLM, l’un des quartiers les plus affligeants d’Onex, en banlieue genevoise. Digicode, mur de boîtes aux lettres, remugles de cage d’escalier, sonnerie…

La porte s’ouvre énergiquement. Enchanté, Jacky ! Costaud, trapu, short en jeans recousu de toute part et maillot de cycliste des années 80. Surtout, une gueule. Des rides qui racontent sa vie aventureuse, un épais collier de barbe blanche et beaucoup de lumière dans ses yeux bleus.

Au milieu du salon trône un magnifique scaphandre, un casque digne du Trésor de Rackham le Rouge. Une ampoule fixée à l’intérieur en fait un abat-jour, mais ne vous y trompez pas, il ne s’agit pas d’une pièce de brocante. Jacky le porte encore parfois pour explorer les fonds du Léman.

Au pied du scaphandre, une paire de souliers de gros cuir munis de semelles de plomb, du lest pour le torse et le dos, deux fois 16 kilos. Il suffirait de descendre à la cave pour admirer une pompe manuelle à deux cylindres, 30 mètres de tuyaux et une combinaison étanche, de quoi plonger comme au milieu du siècle dernier !

20170613_LEMAN_CAUDEREY_ONEX_CLAUDE_DUSSEZ_1361_BD.jpgC’est en 1958 que Jacky Cauderay est devenu plongeur industriel. Un rêve d’enfant ? « Je n’ai pas vraiment choisi, répond-il modestement. Un jour, on m’a mis un scaphandre sur la tête et jeté à l’eau… » Voilà comment se construisent parfois les vocations.

L’inventaire du salon se poursuit : deux immenses ancres repêchées dans la Rade, dont l’une en forme de parasol, un appareil de plongée en circuit fermé, authentique matériel d’espionnage est-allemand, un revolver Colt avec une frégate gravée sur le barillet, trouvé au fond du Léman... Jacky y a repêché tant de choses : un coffret rempli de photos de femmes nues, une chaînette en or qu’il a offerte à sa femme, 165 faux lingots d’or de 25 grammes…

Intarissable, il aligne les anecdotes. Un monologue, une sorte d’apnée. Peut-être tous ces mots qui n’ont pu sortir durant un demi-siècle passé sous l’eau.

La fois où son collègue, à la surface, s’était endormi sur la pompe à oxygène. La fois où il est resté coincé dans un puits de pompage de nappe phréatique. La fois où un plongeur a perdu la vie, aspiré dans un barrage…

Assise sur le canapé, Louisette écoute son mari, complète les histoires, sourit. A-t-elle aussi essayé ce scaphandre ? Oh que oui ! Bien obligée, elle avait perdu un pari ! Elle avait adoré cette impression de marcher sur la Lune.

Une fenêtre ouverte donne sur l’asphalte, un parking, d’autres immeubles. Depuis des décennies, le couple vivait six mois par année sur le lac, à bord d’un bateau. Ils y ont élevé leurs enfants. « Ils aimaient tant plonger en scaphandre qu’il ne voulait plus remonter. Pour les faire venir à table, je devais leur fermer l’oxygène ! »

L’âge les contraint aujourd’hui à une autre vie. C’est leur premier été en appartement. Un manque criant d’air, d’espace, de bleu. Il leur faudra désormais poursuivre l’aventure autrement. C’est tout ce que je vous souhaite, Louisette et Jacky !

Photo : Claude Dussez

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