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Aux sources du trafic de haschisch

KETAMA Conifères noueux, pâturages escarpés et sommets enneigés. Ce pourrait être les préalpes si ne se dessinait soudain dans les vallées brumeuses du Rif une petite ville boueuse qui ne donne pas envie, à première vue, de s’attarder. Ketama. Pourtant, si, en suivant la direction de Fès, on prend la première route à gauche, puis marche encore cinq ou six kilomètres sur une piste défoncée qui devient peu à peu chemin boueux…

AZILA Il faut imaginer ces terrasses en été. Des plantes de cannabis de trois mètres. L’odeur. Au pied du Mont Tidighin (2456 m), les quelques centaines d’habitants du village d’Azila entretiennent une tradition vieille de quatre siècles. Cependant, depuis une trentaine d’années, le village fonctionne en "monoculture". Le moindre replat est exploité pour le "kif" et je m’étonne de compter dans ce petit bled berbère quatre imposantes mosquées : quelque chose à se faire pardonner ?

A Azila, interdit de se plaindre de la pluie. "La pluie, c’est la survie", d’autant que dans deux semaines, le village commencera à planter. "Avec des chevaux, c’est mieux qu'avec un tracteur, car ça ne casse pas les graines", m’explique Abdoul (prénom fictif), frère aîné d’une famille de 23 enfants (son père a eu quatre femmes...) et chef de l’entreprise familiale : "C'est parce qu'Azila donne le meilleur kif du Rif que Mohammed V nous avait déjà donné l’autorisation d'en cultiver il y a 40 ans"... A l’indépendance du Maroc, en 1956, le kif fut prohibé dans tout le pays. 

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Dans l’ouest du Rif, l'Etat cherche toujours aujourd'hui à remplacer le kif par des cultures d’olives, d’amandes... ou par le tourisme.
Sur la côte, les cultures ont été brûlées au lance-flamme en 2005 (les responsables des attentats de Madrid viendraient de Larache)…

L'an dernier, le Maroc fournissait toujours les 80% des 3’000 tonnes de haschisch fumées en Europe.

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Après un petit tour du "domaine", Abdoul m’invite chez lui. Une maison neuve et spacieuse déposée dans la boue. Dans la salle commune, une télévision et un lecteur DVD. Il glisse un CD d’Alpha Blondy, sort de son djellaba deux téléphones portables et en roule un bien chargé. Une femme vient bourrer le fourneau. C’est sa mère. Une autre apporte du thé. C’est la femme de son frère. Abdoul veut me faire écouter un DVD de musique berbère "coupée" au rap français. Pour finir, il accepte de le mettre sur pause. On parle de son travail...

(cette photo estivale n’est évidemment pas de moi. De toute façon, depuis qu’un étranger a mis en ligne une vidéo montrant des femmes du village, il est interdit de prendre ici quelque image que ce soit. On se méfie de ceux qui viennent "par pure curiosité". La première photo de l'article est passée "entre les gouttes")

L’hospitalité berbère n’est plus à prouver. Le présent est agréable avec Abdoul. Cependant, il est clair que l'invitation n’est pas 100% gratuite. "Si tu veux, on peut t’envoyer la marchandise par la poste. Depuis Fès, pas de problèmes..." Si le gramme coûte 15 dirhams (2 francs suisses), il tombe à 5 dirhams à l’achat d’un kilo, ou à 8 dirhams pour la meilleure, celle que les Espagnols appelaient "Oro Negro" et que l’on retrouvera en Europe sous les appellations "Sputnik", "Zero Zero" ou "King Hassan". 

TRAFIC Abdoul vient juste d’en envoyer à un Italien qui avait passé quelques nuits à Azila (ce dernier a laissé une "fresque" sur le mur d’une maison et le souvenir d’une mémorable "Pizza Party" pour une trentaine de villageois...). Aux dires d'Abdoul, les Espagnols préfèrent la "méthode caramel" qui consiste à avaler une pilule anti-faim, puis des boulettes de 5 grammes emballées dans du cellophane (il est conseillé de boire beaucoup d’eau et de marcher un peu, toutes les vingt boulettes, pour faire descendre). On pourrait sans problème en avaler ainsi 500 grammes.

De la peine à mettre en doute les paroles d’Abdoul. Il parle arabe, quatre dialectes berbères, italien, espagnol, français, anglais et cherche à perfectionner son allemand, parce qu’il se prépararait à marier une Allemande... Pas de doute, il est connecté. Et ses anecdotes de "touristes en espadrilles", comme il dit, ne doivent pas cacher l'essentiel du commerce.

Des camions équipés de "caches" se rendent directement chez lui pour transporter la marchandise vers les côtes (on peut y placer un morceau de viande d’un chien mort pour que les chiens des douaniers rebroussent chemin...). Ensuite, c’est aux "barons" de Tanger, Tétouan, Nador ou Casablanca de l’acheminer en Europe par container, sur des navires de commerce, avec la complicité de services d’import-export officiels (il est paraît-il des passeurs qui ne demandent en contrepartie qu'un passage assuré et définitif en Espagne)…

PAUVRES CULTIVATEURS Mais revenons à Azila... La grande maison d’Abdoul  deviendra cet été le premier Hôtel d’Azila, lorsqu’il aura ajouté un troisième étage. Car le deuxième est déjà occupé par son atelier. Hélas, il ne le montre qu’aux acheteurs.

Quoi qu'il en soit, Azila ne voit rien des fortunes amassées par les traficants. Si la maison d'Abdoul est confortable, l’électricité est souvent coupée dans la soirée et se fait attendre en vain le matin. La piste qui mène au village est défoncée. La survie des cultivateurs dépend toujours de la qualité des récoltes. Et non, pas de Mercedes garées devant les fermes. Abdoul me dit que Hassan II a sacrifié la région ("ils ont le kif, ils n’ont rien besoin d'autre"). Lui réclame sérieusement à l'état des subventions...

En les attendant, les yeux absorbés par un DVD (Jackie Chan se bat dans les rues de Las Vegas), les mains occupées à en rouler un (un dernier), Abdoul parle de moins en moins... Hein ? Ah. Je peux dormir là.

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