La Libye est un pays de tuyaux. Tuyaux de pétrole depuis 1959. Tuyaux d'eau depuis 1985.
SYRTE On peut suivre du doigt les tracés rectiligne de la Grande Rivière Artificielle sur une carte. On peut concevoir que le ciment ayant servi à fabriquer ses pipelines aurait pu paver une route entre Tripoli et Bombay. Pour mesurer l'énormité de la chose, il faut se rendre in situ.
La petite ville de Syrte semblait condamnée au sable, au vent et à l'anonymat. Une contingence historique en a voulu autrement. En 1942 y naquit Mouammar Kadhafi, qui, en 1999, lui rendit hommage en l'autoproclamant capitale des Etats Unis d'Afrique. Syrte possède un argument supplémentaire, dans le même esprit, bien qu'autrement plus concret...
GRANDE RIVIERE ARTIFICIELLE Vous quittez la ville. Sur une dizaine de kilomètres, une plaine craquelée vous rappelle que la Libye, couverte à 95% de désert, recourt aux importations pour les trois-quart de ses besoins alimentaires. Soudain, comme un mirage, un rempart d'une vingtaine de mètres sur plusieurs kilomètres. Vous voulez savoir ce qui s'y cache, mais un militaire vous prie de faire marche arrière. A la seconde brèche dans la clôture, c'est un jardinier qui vous répète que le lieu n'est pas “visitable”. Vous prenez alors en direction de l'est et dépassez un interminable convoi de camions à l'arrêt (photo). Sur chacun, un pipe, 4 mètres de diamètre, 80 tonnes l'unité.Enfin, à la troisième des entrées, un policier va prévenir son supérieur et revient tout sourire. “D'accord, mais vite.”
Mi-ra-cu-leux. Au beau milieu du désert, un lac turquoise et anormalement circulaire (photo).
Si les Libyens ne vont pas à l'eau, c'est l'eau qui viendra aux Libyens. Ça se passe comme ça chez le Colonel. Ce lac ne vient en effet ni du ciel, ni de la mer. Il est né sous la “mer de sable” de Rabyaneh, mille kilomètres plus au sud, dans les bassins souterrains. Le réservoir de Syrte intègre le projet de la Grande Rivière Artificielle, défini sur 25 ans, aujourd’hui réalisé aux trois-quarts, qui devrait aboutir en 2010 au transfert de 6,5 millions de mètres cubes d'eau par jour. Toutefois, ce projet ne fait pas l'unanimité. Surtout á l'étranger.
RETICENCES Son coût global d'abord, environ 30 milliards de dollars. La Rivière Artificielle absorberait la moitié du budget libyen. On dit aussi que cette somme aurait permis d'ouvrir une dizaine d'usines de désalinisation, pour le même résultat. Autre bémol, le Soudan et l'Egypte craignent de voir leurs ressources souterraines asséchées. A ce rythme, les nappes aurait une durée de vie d'un demi-siècle. Enfin, la Libye risque paradoxalement d’être exposée à un surplus d'eau. Le projet misait sur l'agriculture, mais si l’eau du Sahara a déjà fait reverdir des dizaines de milliers d’hectares, les vocations agricoles tardent à s’affirmer. Aujourd'hui, 85% des Libyens vivent en ville.
Comme une étrange impression : tant de réticences pour des tuyaux d'eau et si peu pour des tuyaux de pétrole.