Le kilomètre 830 de la route Tripoli-Benghazi prend conscience qu'il est possible de faire le tour de la Méditerranée sans quitter l'asphalte et poursuivre ainsi un projet carrossable, une union méditéranéenne béton.
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Pour ses deux premiers clients, un chauffeur fait crapoter une théière de chay na'ana bien tassé sur un brûleur à gaz disposé dans le coffre de son break Peugeot. Les Asiatiques et les Allemandes. La discussion porte sur nos voitures de rêve. Un homme urgent remet au chauffeur une enveloppe et la mission de l'acheminer à l'adresse indiquée, contre un large pourboire. Moins rapide que DHL, plus pragmatique : une fois l'urgence apaisée, le chauffeur se sert de l'enveloppe comme d'une "ramassoir" pour nettoyer ses sièges qui en avait bien besoin.
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On ne visite pas la Libye pour son littoral. On lui préfère la ville caravanière de Ghadamès, les lacs multicolores d'Oubari, les sables volcaniques de Waw al-Namus, les arts rupestres de Methkandous et les montagnes rocheuses de l'Akakus. Il faut aller y jeter un coup d'oeil, m'a conseillé un enseignant de Tripoli (qui m'encourageait aussi à visiter le magnifique Musée Jamahiriya, peu avant d'avouer n'y avoir jamais mis les pieds)(tout comme je vivais à un kilomètre du Musée romain de Vidy)(et caetera)...
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A partir de Misourata, Attention vache devient Attention dromadaire, les clôtures de ces derniers et quelques lignes électriques retiennent parfois l'attention, mais c'est à peu près tout ce qui dépasse jusqu'à Ajdablya, 600 kilomètres plus à l'est (il existe encore paraît-il des pays où l'on peut à tout moment pointer des choses du doigt). La route du littoral est véritablement un moyen d'aller d'un point A à un point B. On y devient "routard", au premier sens du terme. On tient bien la route. Ni celle de la soie, ni celle du rhum, la route du litoral est celle qui force au voyage intérieur. A la rencontre des co-voyageurs de l'habitacle. Même si les Libyens ne peuvent le plus souvent s'exprimer qu'en arabe (la faute à l'embargo, la faute à Kadhafi qui avait interdit l'enseignement de l'anglais à l'école), cela vaut le déplacement.
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Descend alors de la voiture un ouvrier africain, au milieu de nulle part, bien sappé. Il est allé faire sa sortie mensuelle, entre deux mois de poussière et de soleil, et rejoint les forçats de la route, ceux qui font de la route, au sens littéral.
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La route libyenne est avant tout mélodique. Lecture coranique. Et qu'importe la langue. Le son avant le sens. La route se fait aussi musicale. Le plus souvent égyptienne et libanaise, mais parfois a-t-on la chance d'entendre l'incontournable Mohammed Hassan, du 'alaam ou du malouf, rarement le grand Ahmed Fakroun, chanteur libyen exilé, comme la plupart des artistes du pays.