On n’en voulait plus de ce marais. Pendant un siècle, pour étendre les terres agricoles, on avait canalisé, drainé, bétonné – « assaini », comme on dit. On avait même, par endroits, enterré la Seymaz, la seule rivière cent pourcents genevoise.
Et puis, depuis une bonne dizaine d’années, on a cassé le béton, les drains, les canaux –« renaturé », comme on dit. On a même posé des panneaux : Attention chaussée inondable. Et le revoilà, à cheval entre les communes de Meinier et de Choulex, le marais de Sionnet.
Il est à nouveau un paradis pour la flore, les oiseaux migrateurs et les espèces autochtones en voie de disparition. Un paradis souvent victime de son succès. Car les chiens se promènent sans laisse. Les chevaux rappliquent au trot, au galop. Les photographes, tous plus ou moins ornithologues, viennent en masse répertorier, heure par heure, les espèces observées, et tout balancer en ligne. On vient alors de France, et même de Suisse allemande. Il n’est pas rare que pour faire « la » bonne photo, on enfreigne la mise à ban de certaines parcelles.
Ce matin, la plaine est calme, elle sommeille sous une brume dense, basse, écossaise. Les Alpes de Haute-Savoie, on ne les voit pas, elles sont de l’autre côté du ciel. Un ciel si bas qu’il fait l’humilité, a-t-on envie de chantonner.
On rêve en secret de surprendre un sanglier, un castor, un lièvre, un renard. Les chances sont infimes. On voit un héron cendré posté près d’un troupeau de moutons, un faucon crécerelle qui sèche ses ailes sur un peuplier truffé de gui, un martin pêcheur très peu farouche et quelques poules d'eau dans les roseaux.
On est surtout venu voir l’hermine. Avec les jours raccourcis, elle arbore sa tenue hivernale de camouflage, une robe toute blanche, toute pure, à l'exception de sa queue qui est noire. Une petite bête, fine, souple, hyperactive, un calvaire pour lesdits photographes qui doivent s’armer d’un puissant autofocus et d’une longue focale pour la capturer dans la position dite du « chandelier », dressée sur ses pattes arrières.
C’est le mois idéal pour la voir. Elle est forcée de sortir et de chasser les campagnols par dizaine pour lutter contre le froid. En plus, sans neige, son blanc se voit de loin.
On marche, on marche beaucoup, on scrute les prairies tondues ras, on s’attarde près des haies, près des terriers.
Mais rien.
Rien sinon… un beau lot de consolation. Entre la route et les ruines du château de Rouelbeau, près de l’étang, on a droit à de sacrées retrouvailles. Un cou qui se rallonge lorsqu’il se sent observé. Une démarche à l'égyptienne, maladroite. Des pattes puissantes, disproportionnées. C’est un butor étoilé ! L’oiseau dont je parlais dans ces mêmes colonnes il y a tout juste un an…
La boucle est bouclée, il est temps peut-être de passer à autre chose.