Jadis repaire de pirates, la médina de Tripoli accueille aujourd'hui d'autres "aventuriers"...
TUNISIEN Mon voisin de chambre, dans une funduq de la médina, s'apelle Charfedin. Depuis deux semaines, ce Tunisien achète en gros des pantalons turcs qu'il refile à des amis qui font les allers-retours entre Tataouine et Tripoli. “En Tunisie, on n'aime pas les Libyens. Quand ils viennent, c'est juste pour boire et acheter des filles. Ici, je découvre une autre Libye..." Pour la photo, Charfedin pose sur la Place Verte, aux portes de la médina. Dessinée par Kadhafi dans les années 70 pour accueillir les manifestations dites "révolutionnaires", la place est aujourd'hui un parking et un lieu populaire où se faire photographier dans des fauteuils kitchs auxquels sont attachées des gazelles paniquées. En 1937, Mussolini faisait sur ce balcon (photo) un discours, s'autoproclamant “protecteur de l'Islam”. Le chiffre "38" pour le 38ème anniversaire du règne du Colonel.
TCHADIEN Il faut s'enfiler au hasard d'un étroit passage, entre deux maisons italiennes en ruine, pour rencontrer, dans une cour de terre battue, un Tchadien vivant là depuis neuf ans. “La situation a changé. Il n'y a plus de travail ici.” Le doigt de Youssouf écrit sur le sable le montant de son revenu mensuel, 120 dinars libyens (au même court que le franc suisse).
(...soudain une pensée pour Ali, dont je viens de faire la connaissance près de l'Arc de Marc Aurèle, à quelques pas de la mosquée ottomane Gurgi, avec marbre d'Italie, céramique de Tunisie et sculptures sur pierre du Maroc, toujours dans la médina. Ce Libyen venait de refuser une proposition du consulat de France : “ils m'offraient 900 euros, pas même le Smic français. Ils ignorent que je peux gagner cela en dix jours en guidant un groupe de touristes ! En plus, je n'aurais eu que quatre semaines de vacances - en France, ils en ont cinq, non ? - et ils refusaient que je cumule plusieurs emplois. En libye, on a tous plusieurs emplois !”...)
EGYPTIEN De la cour de Youssouf, on voit dépasser le clocher d'une église (photo). “Welcome, this historical church is part of Libyan's heritage. Please come inside and look around.” A l'intérieur, un Egyptien balaie. Il me montre sa croix en pendentif. Même si les Chrétiens doivent se compter sur les doigts de quelques mains, il fait partie des 4 ou 5 millions d'Egyptiens vivant en Libye (le gouvernement ne reconnaît officiellement que 600'000 étrangers “légaux”...).
Dans la médina, des affiches annoncent des prix cassés pour des communications téléphoniques en Inde, au Pakistan et aux Philippines. 0,25 dinars la minute. Dans la médina, il y a un vendeur de thé (photo) qui répète trois fois qu'en Libye, “il y a beaucoup d'argent”. Un vendeur de thé qui l'offre à celui qui dit du bien de sa ville. Sfax.
NIGERIEN Près de la Bab al-Jedid, on trouve encore des restes du “Marché africain”, rasé il y a un an et demi pour intimider les clandestins sub-sahariens. “C'était vraiment l'Afrique”, se souvient Elvis, un Nigérien dissimulant un maillot des Chicago Bull's sous un tablier de barbier. Bob Marley plein tube, il me refait un visage et raconte sa vie. Après deux ans de survie à Tripoli, désillusionné, il songe à rentrer au pays. Il ne parle toujours pas arabe et retentera sa chance pour l'Europe par avion.
SUISSE C'est une longue histoire (trop longue pour le format blog). Le fait est que j'avais rendez-vous au pied de la tour de l'horloge ottomane avec Marc Sahli, Bernois aussi excentrique que sympathique, gilet libyen sur chemise occidentale, écrivain, musicien, peintre (il exposera en juin prochain à Tripoli avec Ali Ezouik, un artiste libyen) et depuis trois ans attaché culturel pour l'ambassade suisse. Peu enthousiaste sur l'avenir libyen (“ils détruisent plus qu'íls construisent. Le paradis des investisseurs ? Il faut entendre les Européens qui se sont frottés à l'administration libyenne...”), pas de doute, il pourrait marcher des heures dans "sa" médina.
Bonus médina :