
Le long de la corniche nord, de vieux bus VW se garent à espace régulier. Dans chaque coffre, une machine à café. A l'intérieur, tables, chaises,
parassols, narguilés, petite restauration et matériel sono. Les yeux perdus sur l'horizon, les consomateurs ne veulent pas entendre parler de guerre. On profite. Avant la prochaine. Car pour beaucoup, l'élection du nouveau président le 25 mai dernier n'était qu'un "camoufflage". Tyr, ville à majorité chiite, est persuadée que le Hezbollah prépare en ce moment sa prochaine offensive. "L'offensive définitive". Contre Israël? Contre l'état libanais? Le ciel, le soleil, la mer...“À Tyr, on n'a pas les problèmes de Beyrouth, le stress, la pollution... Ici, c'est tranquille... sauf quand il y a la guerre”.
La corniche nord mène au port. On y rencontre des pêcheurs palestiniens qui vivent dans le petit camp d'Al-Bass, celui que les Libanais appellent “le civilisé”, par opposition aux deux autres camps, Burj El Shamal et Al Rachidiya, autrement moins verdoyant, urbanisé et commerçant.
SOUQ HUMANITAIRE Mais revenons au port, car il en dit long sur la ville. De frêles embarcations de pêcheurs côtoient des dizaines de jet-skis japonais garés devant la terrasse du restaurant Le Phénicien. Du port, on a une belle vue sur la vieille ville, ce dédale de ruelles prisonnières d'une péninsule cerclée par la mer (Tyr, ou “Sour”, en arabe, vient de “Surru”, rocher). On distingue au-dessus des
toits la cathédrale des Croisés, l'église maronite du quartier chrétien, trois minarets (dont celui tout neuf de l'université islamique), des colonnes grecques (photo) et un château d'eau que la guerre a transformé en passoire. Une mixité que vient encore renforcer les voitures de Médecins sans frontières, l'enseigne de Terre des Hommes et le QG du Comité International de la Croix-Rouge. Un chauffeur libanais attend à proximité de son véhicule. Lui travaille pour l'ONU, touche 1000 dollars par mois et se dit heureux d'avoir remis son magasin: “je voyage à travers le pays,
j'ai l'impression d'être en vacances...” Un peu plus loin, il faut jouer les interprètes de fortune entre un Onusien polonais qui aimerait savoir où acheter un ordinateur portable et un passant libanais francophone...
De l'autre côté de la vieille ville, à nouveau la plage, le sable, le soleil, une lignée de bâtiments criblés d'impacts de balle (photo), puis le mur de l'école Imam Sader sur lequel des peintures naïves racontent ce qui se passe dans la tête des enfants:
DO YOU PLAY “BAARA”? De retour sur la plage, un choc. Des jeunes se mettent à dix pour asséner une sévère correction à l'un d'eux, dans l'hillarité générale. En m'approchant, je m'apperçois qu'il s'agit d'un jeu. Après m'avoir demandé pour quelle organisation je travaille, on m'explique les règles du “Baara”:
Soit deux territoires carrés de cinq mètres sur cinq. Un homme seul se présente sur le territoire des autres joueurs (de 2 à 5). Son but est de toucher de la main l'un d'eux, puis revenir sur son territoire. L'adversaire touché sera ainsi éliminé. Mais si l'homme seul est plaqué au sol
dans le territoire adverse, sans avoir pu revenir “chez lui”, il a droit à une sévère correction: mêlée, étouffement, sable dans la bouche, coups, etc. Il suffit de dire “Baara” et tous le laissent reprendre ses esprits et se débarbouiller dans la mer, mais l'orgueil les fait résister le plus longtemps possible. "Baara", tout un symbole...
UNITED NATION Au bout de la plage enfin, derrière des barbelés, se réfugie la plage privée du Rest House Hôtel (15'000 lires - 12 $ - d'entrée). Dans le parking, une bonne vingtaine de voitures "UN". Sur certaines, des drapeaux espagnols et allemands, Euro 2008 oblige... mais l'envie de "faire ma mauvaise langue" me passe en sortant du Rest House, lorsque juste en face, un monument rappelle le nombre
des victimes onusiennes du conflit libanais. Le monument n'était initialement prévu que pour les victimes de 1978 à 1998. Il a fallu ajouter une stèle de marbre au dessus pour les victime de 1998 à 2004. Jour du décès, grade et nationalité du défunt. Toute l'Europe est réunie, les Etats-Unis, le Népal, les îles Fiji, le Swaziland... Quand vous vous y rendrez, on aura certainement inauguré la troisième stelle.






La discussion aurait pu durer des heures, mais un membre de la "sécurité" était chargé de me racompagner à la sortie...

La visite se poursuit. Saïd me présente son meilleur ami. À 33 ans, Abou Saleh tient un petit salon de coiffure (photo prise depuis l'intérieur). Son frère a été assassiné en 2005, à l'âge de 25 ans, pour des raisons restées inconnues. Sa mère est décédée l'an dernier des suites d'une erreur médicale dans un hôpital de Beyrouth. Il n'a aucune foi en la politique: “Arafat n'était pas meilleur que les Américains”. Pour lui, seul le Hezbollah fait quelque chose pour la Palestine. Il les soutient, même s'il est sunnite et eux chiites, même s'ils voudront à terme faire de Jérusalem une ville chiite et que tout sera à recommencer... Abou Saleh se lâche. Il n'en peut plus de ne pas savoir que choisir: marier la femme palestinienne qu'il a fiancée ou s'enfuir en Belgique rejoindre son frère, même si ce dernier dit détester sa vie bruxelloise. Ce qu'il veut à tout prix, c'est obtenir une nationalité étrangère, le seul moyen de pouvoir un jour visiter la Palestine. "En menant une vie de réfugié, on ne fait rien pour la cause palestinienne”.


LIBAN 2008 La photo est prise du onzième étage de l'Intercontinental Phoenicia (l'hôtel tire-t-il son nom des origines phéniciennes de la ville ou du fait que cette dernière renaît sans cesse de ses cendres tel un Phoenix?). La banque HSBC (à gauche sur la photo) affiche le slogan “Get a free solar power water heather with every home loan”. À ses côtés, trois bâtiments délabrés se souviennent de l'attentat. Puis, sans transition, le Yacht Club Saint Georges, avec dans sa baie le “Samar”, un yacht muni d'un hélicoptère qui appartiendrait à un Koweitien. Sur le trottoir, de jeunes Libanais et Libanaises (!) font leur jogging en tenue peu coranique, ipod dans les oreilles. Les moins jeunes marchent à un bon rythme, parfois un chapelet dans la main. Sur la route défilent les décapotables et 








