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  • Retour au pays, Médit'ation et tour d'horizon

    Fin juillet, six mois après. Gare de Zagreb, un train de nuit pour ne plus voir les marchands de soleil salir cette mer qui finira par me manquer. De la Croatie, de la Slovénie et de l'Italie, pas un mot. Mes excuses.

    De retour donc. Cela s'écrit dans un TGV Lyria à destination de Paris. En face, une femme, la quarantaine, née en Syrie. À ma question: "qu'est ce qu'un Méditerranéen finalement?", elle a répondu avec un large sourire: "le contraire d'un Suisse!"... Paris. Capitale qui accueillait deux semaines auparavant dans une garden-party (presque) tous les présidents du pourtour méditerranéen. Paris. Après avoir goûté au chef d'oeuvre d'animation Valse avec Bashir, une subtile réflexion sur la mémoire d'une période sombre du Liban, j'ai commandé une “pizza turque” à un Algérois qui prenait l'avion le lendemain pour “le bled”... Pour peu, j'entendrais les vagues. Du sel sur la peau. Dans tous mes états. "On ne peut tout de même pas se contenter d’aller et venir ainsi sans souffler mot", écrivait Kenneth White.

    Que dire. Qu'il est possible de "faire" le tour de la mer sans quitter l'asphalte (en attendant les 39 kilomètres du futur tunnel de Gibraltar et l'Autoroute de la Mer, qui reliera Alexandrie à Tanger). Que la Méditerranée n'est pas aventureuse (parti avec une tente "une place", je rentre avec un ordinateur portable). Que j'ai échoué, qu'il manque Malte, Chypre, qu'il manque Israël. Qu'il manque du temps (six mois pour “faire le tour” d'un sujet vieux de 3000 ans). Qu'il manque surtout la maîtrise de l'arabe.

    Constantine (Algérie).JPGMED' DE LA DISCORDE Le jeune Croate qui partageait mon compartiment dans le direct Zagreb-Zurich (il se rendait au Grand Hôtel de La Fouly pour animer des colonies de vacances) se moquait volontiers des Slovènes: "trop carrés, trop méticuleux, trop sérieux!" Les Monténégrins, pas mieux: “pour nous Occidentaux, il sont le commencement de l'Orient..." Les Monténégrins détestent les Albanais: “tous des mafieux et des traficants de drogue”. Les Albanais se méfient des Grecs: “ils nous regardent de haut”. Les Grecs luttent contre l'immigration clandestine en provenance de Turquie, en attendant de régler la problématique chypriote. Traitez un Turc d'Arabe et vous comprendrez ce qui les sépare des Syriens. Ces derniers ont toujours un oeil sur “leur” Liban. Les Libanais engagent volontiers des Syriens, qu'ils paient au lance-pierre, mais en règle générale, les haïssent de tout leur coeur. Et pas même besoin de parler d'Israël.

    LeptisMagna(Libye).JPGEn abordant la mer par l'autre bout, les relations ne sont guère plus joviales. Si les Espagnols se paient des résidences secondaires à Chefchaouen (lire article) ou exploitent les Marocains pour des travaux qu'ils ne veulent plus faire, ils protègent leurs deux enclaves africaines - Ceuta et Melilla - derrière des grilles électrifiées de six mètres de haut. Pour les Marocains, les Algériens vivent dans un pays en guerre (la frontière ne se rouvrira pas prochainement - lire article). Pour les Algériens, les Tunisiens sont des opportunistes à la botte de l'Europe. Pour les Tunisiens, les Libyens sont des sauvages qui ne visitent leurs plages que pour se saouler et s'offrir des Tunisiennes. Pour les Libyens, les Égyptiens sont une main d'oeuvre corvéable, bon marché et facilement expulsable (lire article). Et pas même besoin de parler d'Israël.

    Bien. L'huile d'olive et la sieste. Serait-ce tout ce qui unit les deux (ou trois) rives ? La Méditerranée ne serait qu'un mythe littéraire ? Les Noces de Tipaza, un mirage poétique ? Mare Nostrum, des vestiges antiques pour touristes ? Le creuset des trois monothéismes, juste un casse-tête ?

    MarsaMatrouh(Égypte).JPGMÉD' À SENS UNIQUE Quand le mur de Berlin est tombé et que l'Europe a commencé à exister concrètement, le mur s'est déplacé vers le sud. La Méditerranée, une ligne, l'horizon, un fil où suspendre les rêves de soleil du nord... et les rêves d'exil du sud. Une question de terminologie. À l'étranger, les Européens sont des touristes et les Africains, des immigrés.

    MÉD' AMNÉSIQUE Aussi périmées que soient ses opinions sur la Méditerranée (surtout vis-à-vis du monde musulman), Fernand Braudel, LE spécialiste de l'histoire méditerranéenne, avait su montrer la permanence des civilisations malgré les sursauts de la “petite histoire”. Il distinguait en effet le temps immédiat de l'actualité (inauguration de l'Union pour la Méditerranée), le temps ralenti de l'histoire (anciens colonisés contre anciens colonisateurs) et le temps immobile des civilisations (notre Antiquité commune, Rome et Carthage). Rappeler ainsi, et de manière purement anecdotique, qu'Athènes était une ville ottomane au début du XIXème, qu'à la moitié du XIXème siècle, les Français et les QornetSawda(Liban).JPGAnglais se partageaient la rive sud, que pendant deux millénaires, il existait des quartiers juifs dans tout le nord de l'Afrique...

    Le travail de mémoire qui mettra à niveau la Méditerranée réelle et son mythe de vie doit s'effectuer simultanément des deux côtés de l'espace et de l'histoire concernés, pour éviter la collissions des durées, courtes et longues, qui ne cessent de s'y croiser tels des navires sans gouvernail, afin qu'un jour quiconque y voyage pour ses affaires ou pour la paix de son âme soit convaincu de pouvoir le faire dans les deux sens” (Raphaël Draï).

    Palmyre(Syrie).JPGMED' GLOBALE À la nécessité d'élargir le spectre temporel, il faut également dilater l'espace. La  Médi-Terranée n'est plus la “mer au milieu des terres”. Partout se pressent les compagnies chinoises (lire La Chinafrique, Pékin à la conquête du continent noir de Serge Michel et de Michel Beuret). Les Etats-Unis sont omniprésents dans la gestion des conflits du Proche-Orient, dans le partage du pétrole arabe et dans le rôle géostratégique attribué à la Turquie. L'Afrique noire a depuis longtemps vue sur la Mer.

    Lattaquié(Syrie).JPGMED' UNION ? L'impression que la Méditerranée réunit autour de sa table des couples de divorcés qui n'arrivent pas à se quitter : la France et l'Algérie, le Maroc et l'Espagne, l'Italie et la Libye, le Liban et la Syrie, la Turquie et la Grèce... Ainsi, l'Algérie dénonce le racisme de l'Hexagone et les violences de la colonisation, mais rêve unanimement de passer "de l'autre côté". Ainsi, un million de Marocains vivent en France, 100'000 Français sont résidents permanents au Maroc. Ainsi, pour le meilleur et pour le pire, les deux rives (ou trois) ne se quittent pas des yeux. Dans ses contradictions et ses frictions, une certaine "Union pour la Méditerranée" existait déjà... avant le projet de monsieur Sarkozy.

    Analya(Turquie).JPGBeaucoup d'encre a coulé pour dénoncer ce projet simpliste, opportuniste, européocentriste, paternaliste, etc. Au-delà de la "petite histoire" et des intérêts des présidents, j'ai envie d'y croire. Y croire sur le long terme (un siècle serait bien peu pour réunir deux rives qui se froissent - et s'enrichissent - depuis trois millénaires). Aborder à nouveau cette mer comme un foyer lumineux et ouvert sur le monde. S'offrir une deuxième Renaissance. Raffraîchir le sens du mot “humanisme” et souffler à l'oreille de monsieur Sarkozy les conseils de deux grands esprits méditerranéens :

    Un bon capitaine transforme l'Atlantique en Méditerranée ; un mauvais capitaine transforme la Méditerranée en Atlantique”, Amin Maalouf dans Le périple de Baldassure.

    Toutes les unions sont fondées sur des besoins mutuels”, Montesquieu dans l'Esprit des Lois.

    Amorgos(Grèce).JPGDROIT AU VOYAGE Pendant trois mille ans, les migrations ont fait l'histoire et l'unité de la Méditerranée. Le comble est qu'elle menacent aujourd'hui de la défaire. Pourtant, on ne peut rien contre la dérive des "continents humains", ce joyeux foutoir induit par la mondialisation. Autour de 1950, les deux tiers de la population méditerranéenne vivait sur la rive chrétienne. Aujourd'hui, elle se répartit à peu près également entre les deux rives et vers 2025, les deux tiers devraient se trouver du côté musulman.

    Voilà pourquoi je me réjouis de lire un semblable blog tenu par un Africain du Nord qui aurait comme moi eu le droit de voyager librement une demie année autour de la mer. Le droit de le raconter...

    Le 5 février dernier, j'ouvrais ce blog à Marseille en citant Albert Camus. Le voyage se ferme un 30 juillet avec lui:

    La Méditerranée est de tous les pays le seul peut-être qui rejoigne les grande pensées orientales. Car elle n'est pas classique et ordonnée, elle est diffuse et turbulente, comme ces quartiers arabes ou ces ports de Gênes en Tunisie. Ce goût triomphant de la Tipaza(Algérie).JPGvie, ce sens de l'écrasement et de l'ennui, les places désertes à midi en Espagne, la sieste, voilà la vraie Méditerranée, et c'est de l'Orient qu'elle se rapproche. Non de l'Occident latin. L'Afrique du Nord est un des seuls pays où l'Orient et l'Occident cohabitent. Et à ce confluent, il n'y a pas de différence entre la façon dont vit un Espagnol ou un Italien des quais d'Alger, et les Arabes qui les entourent. Ce qu'il y a de plus essentiel dans le génie méditerranéen jaillit peut-être de cette rencontre, unique dans l'histoire et la géographie, née entre l'Orient et l'Occident (...). De même que le soleil méditerranéen est le même pour tous les hommes, l'effort de l'intelligence humaine doit être un patrimoine commun et non une source de conflits et de meurtres. Une nouvelle culture méditerranéenne conciliable avec notre idéal social est réalisable. C'est à nous et à vous d'aider cette réalisation .

     

    PS : Les photos ont été prises ces six derniers mois : Constantine (Algérie), les vestiges romains de Leptis Magna (Libye), les plages de sable blanc de Marsa Matrouh (Égypte), le sommet Qornet As-Sawda dominant la mer (Liban), la cité de Palmyre (Syrie), les plages de Lattaquié (Syrie), un hôtel de luxe à Alanya (Turquie), le monastère d'Amorgos (Grèce) et les ruines de Tipaza (Algérie)

  • Ceci n'est pourtant pas un lac de montagne

    Impossible de trancher. Vous hésitez toujours entre la montagne et la mer. Le littoral monténégrin a ce qu'il vous faut.

    TroupeauKotor.JPGKOTOR À la gare routière de Kotor, une vieille dame enjouée vous saisira par le bras et prononcera - selon la coutume locale - l'unique mot “étranger” qu'elle connaisse. “Room?” Un coup de fil et quelques sourires plus tard, son mari jettera votre bagage dans le coffre d'une petite Volkswagen éreintée qui a roulé sa bosse en Allemagne avant de prendre sa retraite au Monténégro. Vous Slobo&Bossa.JPGlogerez dans la chambre du fiston ; intacte est la décoration. Bossa (à droite), votre hôte, ne tardera pas à décapsuler trois Nikšićko pivo. La discussion hésitera, puis s'emballera.

    Quarante années durant, Slobo (à gauche), son mari, dit avoir été le meilleur peintre sur voiture de tout Kotor. Il conteste la décision “politique” de l'indépendance. En 2006, il comptait parmis les 44% de Monténégrins à avoir dit non : “un pays de moins d'un million d'habitants ne veut rien dire, SunriseKotor.JPGd'autant que les Serbes sont nos frères”. Pour lui, le seul changement notable depuis l'indépendance est le recours à l'euro...

    Les heures passent. Agréablement certes. Mais j'oublie que je suis ici pour “visite”. Les Bouches de Kotor sont en effet considérées comme le “fjord” européen le plus méridional et parmis ses golfes intérieurs, celui de Kotor abrite une étonnante ville médiévale (zone ensoleillée sur la photo).

    VieilleVilleKotor.JPGAu catalogue donc, cette "Stari Grad” (patrimoine de l'UNESCO, même si la moitié de la vieille ville fut restaurée après le tremblement de terre du 15 avril 1979), quatre kilomètres et demi de fortifications, les concerts classiques gratuits du Festival de l'Été à la cathédrale de Saint Tryphon, un dédale de ruelles baroques qui méritent tous les détours et un pan de muraille qui file quasiment à la verticale vers le bastion Saint-Jean. Des sentiers poursuivent ensuite l'ascension au-travers de forêts de pins vers les plus hauts sommets de la côte adriatique (le mont Orjen culmine à 1894 mètres). De là, les Bouches de Kotor sont des lacs de montagne, à la différence qu'ils changent de couleur à chaque heure du jour. Et qu'il s'agit de la mer. Cette merveille explique-t-elle pourquoi, dans un village proche, à Baosici, l'écrivain-voyageur Pierre Loti est tombé amoureux d'une jeune paysanne, une certaine Pasquala Ivanovic ?

    PlageKotor.JPGSilence. Et retour sur terre. Après la politique, l'économie. Celle des Bouches de Kotor reposait sur la pêche, la culture d'oliviers, la marine marchande et militaire. La principale source de revenus est dorénavant... gagné !, le tourisme.

    Mais l'atout de Kotor est que l'eau poluée de son “fjord” et l'absence de sable sur ses rives orientent les vacanciers sur les plages de la Riviera PêcheKotor.JPGde Budva, plus au sud. 

    Kotor est toutefois une ville à visiter tôt le matin, avant le lâcher quotidien d'amateurs de croisière adriatique, ou tard le soir, dans l'obscurité de ses nombreuses tavernes. Dans tous les cas, voir Kotor avant que le bastion Saint-Jean soit accessible par téléphérique et qu'il soit décidé d'importer du sable des côtes voisines.

  • Les intimes contradictions de Tirana

    Sur le sentier qui rejoint la capitale albanaise depuis le Mont Dajti (1611 m), les chantiers se suivent et se ressemblent. De vraies verrues pour l'esthétique des lieux, mais un message assez rassurant pour le secteur immobilier. Entre les projets hôteliers et résidentiels toutefois, des “îlots” d'un autre siècle.

    VUEsurTIRANA.JPG

    Car l'Albanie reste un pays agraire. La moitié de sa population active travaille la terre. Et si le nouveau régime, mis en place en 1992, a cherché à privatiser l'agriculture (il reposait depuis 1945 sur un système de fermes collectives étatisées), le monde rural n'a pas évolé en phase avec la ville.

    BoulevardDëshmorët.jpgCOMMUNI-STYLE Quand on arrive en ville, le passé est sur tous les trottoirs. Prise depuis une salle de classe de la très soviétique université de Tirana, la photo (droite) montre le boulevard Dëshmorët e Kombi, la colonne vertébrale de la ville. En le remontant, on passe devant la Pyramide, jadis mausolée d'Enver Hoxha  (l'instaurateur du régime communiste: 1946-1991), devenue “Disco Mummy”, puis salle d'exposition. On atteint ensuite le Musée national des Arts. Il faut alors réveiller le gardien. Il veut bien allumer ses salles. Découverte du réalisme socialiste albanais : La Chanson de guerre pour eux d'Andon Lakuriqi (1974) et Le Géant de la métallurgie d'Isuf Sulovari (1976).

    Sulovari.JPGLakuriqi.JPG

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ...ces images ont fait l'éducation des Albanais de mon âge. Prise de conscience. À retenir aussi le rôle joué par les femmes... Aujourd'hui, 60 % de celles qui travaillent le font dans le secteur agricole. Si de nouvelles portes leur sont ouvertes, elles sont de loin pas égales aux hommes et très peu représentées au parlement.

    PlaceScanderbeg.JPGATHÉISME ALBANAIS Le boulevard Dëshmorët se termine sur la place Scanderbeg : des “résidus” communistes (Palais de la Culture, Opéra et mosaïque socialiste sur le Musée d'Histoire), mais aussi la mosquée d'Ethem Bey (photo) qui peut à nouveau appeler ses fidèles. En 1967, Enver Hoxha fermait tous les lieux de culte et faisait de l'Albanie le premier État athée au monde. Ce n’est qu’en 1990 que les mosquées et les églises purent rouvrir leurs portes. Ainsi, près de la place, l'état est en train de construire une monumentale église orthodoxe. CathédraleSaint-Paul.JPGUne église qui ne fait pas l'unanimité des passants : “pourquoi un tel gâchis d'argent ?” Est-ce parce que l'état a déjà “restauré” l'église orthodoxe du Saint Evangile, jadis simple bâtiment public, et bâti la Cathédrale catholique Saint Paul, qui ressemble à un hôtel (photo), ou sont-ce des Musulmans jaloux des chantiers chrétiens ? La réponse est plus complexe.

    On dit souvent – à tort - que l’Albanie est le seul pays musulman d'Europe (58,8% de Musulmans, 24,2% d'Orthodoxes et 16,8% de Catholiques). Il faudrait plutôt parler de “culture musulmane”. Pour trois raisons :

    - Les décennies d'athéisme imposées par le dictateur Enver Hoxha ont fini par atténuer concrètement les convictions religieuses.

    - La priorité de l'Albanie est l'intégration dans l'Union Européenne et dans l'OTAN ; cette dernière a été récemment annoncée pour 2009 (et 112 soldats albanais sont partis en Afghanistan la semaine dernière). Dans ces contextes, l'Islam serait perçu comme un “facteur retardant”  (voir Turquie).

    - L'identité albanaise repose sur une langue distincte. L'islam n'est pas le seul marqueur identitaire, comme il l'est pour les musulmans de Bosnie-Herzégovine face au Serbes et aux Croates.

    En 2008, la société albanaise demeure passablement indifférente à la religion. Le ramadan et les cinq prières sont très peu pratiqués, l'alcool se consomme sans restriction et la viande de porc est vendue partout.

    “Feja e shqiptarit është shqiptaria” ou “la religion des Albanais, c'est l'Albanie!” Les deux extrémités du boulevard le prouvent et contredisent les statistiques. Au nord, le héros national Skanderbeg, un aristocrate catholique qui a lutté contre les Ottomans au XVème siècle. Au sud, sur le parvis de l'Université, la plus connue des Albanaises, Mère Teresa.

    Chromothérapie.JPGCHROMOTHERAPIE & NOSTALGIE Tirana va de l'avant. La ville ne resemble pas à ce qui était attendu. Pourtant, nombreux sont les nostalgiques du régime communiste. “Avant on pouvait sortir seule la nuit”, me dit une Tiranaise. “On bénéficiait d’un très bon service et tous les soins médicaux étaient gratuits. Aujourd’hui, le pays manque de médecins et la plupart des soins sont payants”. Corruption, coût de la vie, chômage... L’Albanie est le pays d’Europe qui connaît la plus forte émigration : plus d’un tiers de ses ressortissants vivent à l’étranger!

    On l'a compris. Le passé est lourd, mais, étonnamment, Tirana respire, Tirana prend du bon temps et Tirana se démarque par ses couleurs. La "chromothérapie" de la ville est une décision du maire : les modifications sont spéctaculaires. Mais une couche de dispersion peut-elle suffire ? 

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  • Thucydide en préambule et cocaïne en aparté

    Cet article mesure un demi-kilomètre. Une ligne droite de 2'500 ans. De l'Acropole à la rue Menandrou.

    ATHENES Au siècle de Périclès, Athènes imposait sa supériorité militaire (entre deux tourniquets de cartes postales, une tenue complète de soldat athénien), politique (la Constitution européenne cite Thucydide en préambule), économique et culturelle.

    CaféKlepsydra.JPGAvant toute chose donc, se faire prendre en photo sur l'Acropole (fâcheux, quel que soit le décor - Mont Lycabette ou golfe de Salonique - il y a toujours sur le champ un épais smog, ce satané “nefos”). Redescendre ensuite vers le quartier épicurien de Plaka – ruelles pavées, façades de couleurs chaudes, verdure et toits en tuile – prendre le temps au café Klepsydra (photo) et commander un café turc (on l'appelle ici “café grec”, mais c'est kif-kif).

    Au bout de la rue Dioscure, un couple se demande s'il a déjà visité l'Agora romain. Elle sort le guide et dit que oui. Le couple s'en va donc flâner de boutique en boutique, de souvenirs en souvenirs: best-seller illustré La vie amoureuse des Grecs anciens, écharpe des supporters du Panathinaikos (il fait 37 degrés), plages ensoleillées peintes sur des “fridge magnet”, boules en verre pour enneiger l'Acropole (...se souvenir alors de la différence entre “la situation est grave, mais pas désespérée” et “la situation est désespérée, mais c'est pas grave”, ou fermer boutique).

    Passer devant l'étonnante Bibliothèque d'Hadrien, une mosquée séculaire aménagée en Musée de la céramique, un conteneur éducatif pour l'art du recyclage alu-plastique-papier, la station de métro Monastiki (devenue carrefour de deux lignes grâce au JO 2004), des tables de restaurants alignées comme des transats, des cerises à cinq euros le kilo et des simit turc (ces pains circulaires au sésame s'appellent ici koulouri, mais c'est kif-kif).

    Gagner ensuite le quartier de Psiri et changer d'ambiance. Dans la rue Miaouli, cafés à narguilé, bars gay, lounges branchés et clubs alernatifs (les graffitis et les coiffures excentriques sont une fête pour les yeux de celui qui vient du sud). Des affiches annoncent une manifestation le 12 sur la place Syntagma contre la montée des prix (ils ont flambé ici cinq fois plus qu'en Europe), un débat le 14 sur la place Kaniggos sur le sort des immigrés et la venue des Sex Pistols le 16 au stade Karaiskaki (55 euros le billet, pas très punk).

    RueMenandrou.JPGPoursuivre, toujours plein nord, rue Aristophane, pour se fondre ensuite dans la cohue bigarée de la rue Menandrou (photo) entre nounous albanaises, Nigériens revendeurs de sacs à main, Chinois affairés sous des enseignes d'import-export, marchands de dévédés de Bolywood, barbu en shalwar kamiz au “Lahore market”, parieurs fixant nerveusement des tours de passe-passe, jeunes faméliques, lignes de cocaïne et policiers aux épaules triangulaires pour fendre la foule comme jadis Moïse au milieu des eaux, l'émerveillement en moins...

    De l'Acropole à la rue Menandrou, de l'Âge d'Or à la flamboyante globalisation, un demi-kilomètre, cinq rues, 2'500 ans d'histoire et une fin sordide. Il faut relire La Vie amoureuse des Grecs anciens.

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  • La Grande Bleue

    CartesKolofana.JPGChez Yannis, l'ouzo est servi large, sans eau et avec une cuillère de myzithra, fromage maison. Quatre acolytes y tapent le carton. Celui de gauche tapote du doigt sur la table. Il a un sacré bon jeu. Aplati sur sa chaise, celui qui tourne le dos est et restera tout à fait immobile. À droite, celui au visage sec est un mauvais perdant doublé d'un tricheur. Le dernier me lance souvent des clins d'oeil. Aux murs du café, une carte du monde et une affiche du Grand Bleu. Ce dernier avait été tourné ici, au milieu de la mer Égée, sur l'île la plus orientale des Cyclades, celle d'Amorgos.

    AMORGOS Yannis est du genre bavard même s'il a les rides d'un grand silencieux. De larges mains, du sel dans les cheveux et de l'azur plein les yeux. Aucun doute, il vit sur l'île à l'année (ils sont moins de 2'000). Yannis est surtout du genre à offrir quelques bons morceaux de mouton à celui qui commande une indigne petite salade grecque. La tournée du patron! Du folklore dans le transistor. On y resterait toute une vie...  s'il n'y avait plus urgent.

    Homme&âne.Lagadha.JPGCar il s'agissait en réalité de retrouver ici les quatre moulins à vent visités il y a une dizaine d'années avec un ami. Les recherches commencent au Cap Xodotos, au nord-est de l'île, au petit matin. On l'atteint depuis le village de Lagada, un labyrinthe de murs épais et de marches polies par le temps sur lesquelles on a peint de larges fleurs blanches. Certains portiques sont encore plafonnés de bois. Tous les patios sont garnis de fleurs. Explosion de bougainvilliers. Pas un angle. Que des courbes douces. À la sortie du village, VillageTholaria.JPGun peintre profite de l'aube pour rafraîchir une maison à grands coups de pinceau. Du blanc. Le second être humain se rencontre sur un sentier bordé d'un muret de pierre. Il voyage en âne. Me tournant magistralement le dos, il a vue sur le village de Tholaria (photo de droite), un amas de cubes blancs. Bientôt, deux églises isolées, puis le Mont Kroukellos (821 m), le point le plus haut de l'île... mais pas de moulins.

    IleNikouria.JPGTraverser ainsi l'île, de long en large, passer devant l'île Nikouria (photo), devant le village de Chora (photo ci-dessous), invisible depuis la mer. Un spectacle aveuglant – de l'eau métallique que gravent des bourrasques de vent, ces fameux meltèmes sur lesquels jouent les mouettes de l'Égée – "le vent qui passe à travers la montagne me rendra fou" - des nuages grimpent sur les crêtes pour mieux sauter dans le vide - des hameaux ne comptent que deux maisons... mais nulle trace des moulins.

    Chora.JPG

    ÉgliseStavros.CapXhodoto.JPGEncore et toujours des églises, des lieux saints comme des remparts contre les tueries et les pillages des pirates, des autels qui n'ont pas empêché l'invasion des Turcs en 1537 et des Russes en 1770, mais ont permis de célébrer le rattachement de l'île à la toute nouvelle Grèce en 1832. Aujourd'huiMonastereChozoviotissa.JPG, le fléau est davantage démographique : on abandonne les terres et les villages. Comme remède, l'île a introduit la culture du touriste, une race non indigène qui se fait pourtant très bien au climat. On les trouve principalement dans les quartiers résidentiels des deux villes portuaires : Katapola (et sa plage nudiste) et Aighiali (la deuxième station essence de l'île).

    CapKalotaritisa.JPGAu sud-ouest de l'île, à Kato Meria, en plus des oliviers et de la vigne cultivés sur terrasses (les "chtia"), on trouve des champs de blé ponctués de maisons éparpillées au pied de l'Aspro Vouno ("Mont Blanc"), puis déjà le Cap Kalotaritisa... mais toujours pas les moulins en question. Qu'importe. Deux fois qu'importe :

    BaieMastichia.JPG

    "J'étais heureux d'être un homme, un homme et un Grec, et je pouvais ainsi, sans l'intervention déformante de la pensée abstraite, d'instinct, ressentir l'Égée comme mienne, l'héritage de mes ancêtres, et voguer parmi les îles, de bonheur en bonheur, sans sortir des frontières de mon âme..."

                                                 Nikos Kazantzakis, Lettre au Greco.

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  • Excursion au Moyen-Orient & Incursion en Europe

    MosqueeKos.JPGSur l'île grecque de Kos, à une quinzaine de kilomètres de la côte turque, au pied d'une mosquée recyclée (convertie) en débit de boissons, bijoux et souvenirs, un voyagiste vend des excursions d'un jour à Bodrum, en Turquie : “à 20 minutes de bateau de Kos, Bodrum vous offrira un goût de Moyen-Orient : ses rues étroites, ses maisons traditionnelles et ses bazars. Ne manquez pas l'occasion de sentir l'athmosphère de l'Orient et de goûter au fameux döner kebab !”.

    PropagandeTurquie.JPGKOS-BODRUM Le business fonctionne, les amateurs sont légion et sur le port de Kos, cinq embarcations amarées côte à côte vendent de la Turquie à la demi journée.

    De retour d'une virée à Bodrum, des vacanciers se plaignent toutefois de l'heure d'attente passée au poste de douane grec...

    On est trop loin pour entendre les plaintes des Turcs de Bodrum : pour visiter l'ile de Kos, ces derniers doivent se rendre au Consulat d'Izmir, déposer une importante Kos-Bodrum.JPGsomme d'argent et patienter quelques semaines pour se voir souvent refuser un visa touristique grec... Ainsi lit-on dans l'Athens News du 11 juillet que, selon le Ministère grec de l'Intérieur, 112'000 clandestins en provenance de Turquie ont été arrêtés en Grèce en 2007. Entre 2002 et 2007, l'immigration illégale aurait augmenté de 93% et le nombre de requérents d'asile de 461%.

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  • Coup de foudre sur coup de foudre

    Ton nom a résonné dans l'Otogar de Bodrum. Gümüşlük! Bouée lancée dans une marée d'Aryens en tong. Gümüşlük, la destination d'un vieux dolmus diesel.

    portgumusluk.JPGÀ l'ouest de Bodrum, ce village (prononcez “gumuchluk”) ressemble à ce que devait être jadis un village méditerranéen (photo). Un port de pêche, un marché hebdomadaire, de l'eau et du vent. Petite touche personnelle, ledit village possède sur sa plage une gargote foudroyante. Prenez place sur l'une des deux tables du Soğan Sarmisak (“Oignon-Ail”, en turc). À peine le soleil s'est-il couché au pied des îles grecques de Kalymnos et de Lerros qu'un second soleil vous surprend : traditionnel yemeni noué tel une auréole autour de sa chevelure de braise, boucles d'oreille en forme de corbeille à fruits, tablier brodé d'edelweiss et sourire au zénith, Zeynep (photo ci-dessous), la patronne du resto, vous conseille son fameux Imam Bayild (“imam évanoui”) suivi d'une dorade au four à la sauge sauvage. Vous dites oui à tout.

    ZeynepCan.JPG

    La serveuse s'appelle Inga, vient de Tbilissi et met du turc dans son russe. Entre deux services, elle chante son pays en s'accompagnant au piano (photo). Vous la rejoignez à l'intérieur. Dans un coin de la pièce, la mère de Zeynep lit un journal avec une loupe. Un minimusée familial sur la mezzanine, des topianoraisinée.JPGnnes de livres de cuisine, un poster “olive make the heart grow stronger”, des guirlandes d'ail et... une tarte à la raisinée flanquée d'un drapeau suisse!

    Zeynep vit depuis vingt ans entre Vevey et Gümüşlük. Six mois, six mois. “Il y a 25 ans, je voulais acheter une maison en Turquie. J'ai parcouru en voiture toute la côte, d'Izmir à Antaliya... C'était Gümüşlük ou rien!” Elle dut patienter deux ans avant d'obtenir une première offre, une vieille bicoque en béton de 48 mètres carrés. Zeynep n'aime pas le béton. Elle engage donc l'un des trois derniers tailleurs de pierres de Bodrum et construit la maison de ses rêves dans l'un des derniers sites du litoral turc préservés du tourisme de destruction massive.

    construction.JPGPendant trois décennies, Gümüşlük ne voyait passer que des intellectuels et des artistes d'Istanbul (qui se gardaient bien de divulguer l'adresse). Beaucoup de films y furent réalisés. En 1995, fin du scénario. Le village fut “découvert” par le grand nombre et toutes les collines environnantes sont depuis flanquées de centaines de résidences secondaires pour Turcs aisés et étrangers (3'500 habitants l'hiver et 20'000 l'été : photo). Pour l'instant toutefois, les sites archéologiques découverts en 2004 interdisent toute nouvelle construction dans le village.

    En 1986, il y avait trois restaurants, chaque habitant avait son bétail et quelques mandariniers, se souvient Zeynep. Aujourd'hui, le village dispose de cinquante restaurants, le dernier cultivateur cherche à vendre et seules deux familles élèvent encore des bovins. Les natifs de Gümüşlük ont appris à acheter leur lait en brique à la Migros de Turgutreis... Ce sont eux qui veulent l'implantation de grands hôtels pour profiter des retombées!”

    littoralGumusluk2.JPG

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  • Vacance...

       Un Guide des chemins de France a été rédigé par Charles Estienne en 1552, le tour du monde s'est imaginé en 80 jours en 1872 et le tourisme (mobilité fondée sur un excédent budgétaire susceptible d'être consacré au temps libre passé hors de chez soi) se serait “démocratisé” en  1936. Nous sommes en 2008.
       Il n'y a pas de solutions. Juste une question : ne faut-il pas aborder “notre mer” comme tout le monde? Car je suis évidemment plus proche de ceux qui passent leurs tongs aux rayonx X de l'aéroport d'Antalya (mon itinéraire méditerranéen me fait consommer des villes, m'émerveiller des paysages et des sites classés UNESCO) que des Turcs, des autochtones, ces gens qui “vivent à l'année”...
       Le pourtour de la mer s'est rétréci. Plus de place pour le mensonge. Faut-il haïr ses semblables, emprunter des “chemins de traverse” et retarder la misanthropie qui guette? Cela n'a aucune importance. Le tourisme s’inscrit dans une démarche globale qu'il faut aborder comme une partie révélatrice d’un tout (l'OMT prévoit 1,1 milliard de touristes en 2010 : une matière première qui génère 200 millions d’emplois - 8% de l’emploi mondial – et fait circuler annuellement 3'000 milliards d'euros). Le tourisme “alternatif” n'existe pas et les labels de qualité (tourisme rural, tourisme écologique, tourisme vert, agritourisme, tourisme communautaire, ethnotourisme, tourisme culturel, tourisme responsable, tourisme équitable, tourisme solidaire) ne sont que des paravents. Ce que l'on appelle “voyage total” est une anomalie, une exception, une dégénérescence, une fixation sur l’instinct primitif de migration, une déambulation addictive, le contrecoup d’un chromosome bancal, une manie errante, pas mal de masochisme, de l’autodestruction, un réflexe égocentré, une fugue juvénile, le syndrome de Peter Pan, une tentation de toute-puissance, l'envie de posséder le monde et de devenir “l'élu”... C'est le tourisme qui est la norme.
       Autour de la mer, les seuls voyageurs “totaux” sont les émigrés clandestins (par besoin), les SDF (par besoin), les nomades berbères, tziganes et bédouins (par besoin). Les autres “mobiles” sont des touristes. Un journaliste italien s'est mis dans la peau d'un clandestin, les backpackers jouent au SDF, les Tziganes et les Berbères font rêver et vendre... mais cela reste jeu de rôle. Mythe et imitation. Un voyage quand on veut, où on veut, comme on veut. Du tourisme.
       À qui la faute? Médias (propagande des voyagistes), facilité des transports, éducation (“les voyages forment la jeunesse”)... À personne la faute. Alors faudrait-il prohiber le tourisme de masse et ne tolérer que l’escapade élitiste? Imposer l’obtention d’un permis-de-se-conduire-comme-touriste-équitable avec une police internationale du tourisme, des points en moins pour chaque infraction au code et, pourquoi pas, des travaux d’utilité voyageuse en cas de faute grave?!?
       Et si on observait le phénomène avec des yeux “positifs”?


    1) L'industrie touristique repose sur l'abrutissement de l'être humain. C'est un fait. Mais un fait qui perdure “en connaissance de cause”. Tout touriste a été une fois ou l'autre sensibilisé aux répercussions négatives de sa démarche : augmentation des inégalités, destruction de la biodiversité et du patrimoine culturel, fragilisation du tissu social, abandon de certaines activités traditionnelles, renchérissement du foncier, hausse des prix, exode rural, prostitution... Abrutissement donc, mais “en toute connaissance de cause”. 
    2) Le tourisme fait se rencontrer dans un même espace-temps les rêves frustrés du sud et les solitudes béantes du nord. Le sud découvre les travers du nord, ces pays rêvés, et le nord comprend sa chance.
    3) Placé dans une position d'étranger, le touriste se positionne dans l’espace et dans le temps. Il se créé des “marqueurs spatiaux” qui bornent le territoire, l’animent, le structurent, donnent sens au paysage et par là expriment et confortent l’identité des peuples ou des ethnies. En outre, voyager n’est pas seulement se promener dans l’espace, c’est aussi remonter le temps.
    4) Un touriste est amené à franchir le “seuil de pauvreté”. Les destinations de rêve sont peuplées de désespoirs sans horizon. Un pas possible vers la prise de conscience.
    5) Le tourisme permet de retrouver le sens du jeu et de la fête, de s'immiscer dans l'espace-temps de l'autre (celui ou ceux avec qui on fait du tourisme). Et qu'importe si les pays ne sont que décors ; en se mettant “en vacances”, on prend du temps pour soi et renforce le tissu social.
    6) Si un touriste cherche souvent à reproduire son quotidien dans les pays étrangers, si les aéroports et les “villages de vacances” s'uniformisent, si la Méditerranée s'occidentalise, se banalise et s'acculture, cela renforce l’illusion d’une continuité géographique et culturelle. Ne serait-ce pas une suite logique des autres “conquêtes” (grecque, romaine, musulmane, etc). Le tourisme n'est peut être qu'une autre forme de “violence nécessaire” pour accéder au pallier suivant, contınuer le progrès (est-ce cela l'Union méditerranéenne?). En outre, si le pourtour de la mer s'uniformise, l’autre ne sera plus un étranger, mais un semblable : cela mettrait incontestablement un terme à l’exotisme et porterait un coup fatal à l’industrie des voyagistes...
    7) Des gens “vivent du tourisme”. Des deux côtés de l'activité touristique...


    ...à défaut donc de changer le monde, changeons de monde. Bonne vacances à vous...

     

    “Le seul véritable voyage n’est pas d’aller vers d’autres paysages, mais d’avoir d’autres yeux.”

                                                                                   Marcel Proust

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  • Paradis perdu, transat et utopie de transit

    “Aucun Boeing sur mon transit / Aucun bateau sur mon transat / Je cherche en vain la porte exacte / Je cherche en vain le mot exit...”

    carteAnamour.GIFC'est l'Anamour de Serge Gainsbourg qui m'a fait descendre ici, siffloter cet air et mépriser les linguistes soutenant qu'Anamour vient du grec anemurium, “point venteux”.

    ANAMOUR Vrai pourtant que les voies d'accès sont bien exposées. Plongeant ses vertigineuses falaises dans la mer, le massif du Taurus dessine une route sineuse, tortueuse, de toute beauté (on ne se rendait jadis à Anamour - le cap le plus méridional d'Asie mineure – que par voie de mer).

    carrefourAnamour.JPGIsolée, Anamour fructifie pourtant. Seule région de Turquie à cultiver des bananes, elle produit aussi fraises, papayes, cacahuètes, ananas, avocats et pastèques. Si le tourisme n'y est encore qu'un fouilli d'initiatives disparates, le prospectus mentionne pourtant les 39 tours du château de Mamure et les bains de la cité antique d'Anemurium sur lesquels est gravé en latin: “profitez des bains”.

    buslocal.JPGDocile, j'ai profité. Mais le soleil cogne. J'ai beaucoup d'admiration pour l'homo balnearus et l'impression que la “transat attitude" ne s'improvise pas. L'impression aussi que la Beauté se dissimule entre les lieux habités...

    D'Anamour à la montagne, il n'y a qu'un pas. Les forêts de pins sentent la résine et prêtent leurs ombres fugaces (je comprends pourquoi, dans le bus VW qui me laissait à la sortie de la ville, les paysannes portaient toutes le voile : photo). De la montagne à la mer aussi, il n'y a qu'un pas.

    pastèque.JPGIl n'était pas nécessaire d'emmener à boire: deux paysans qui récoltent leurs pastèques m'en découpent de larges tranches (photo de gauche). Pas besoin de nourriture non plus: les Turcs pique-niquent volontiers au bord des routes et se sentiraient blessés si je refusais leur épais sandwich (photo de droıte). Réflexion faite, même pas besoin de marcher: une voiture s'arrête picnic.JPGspontanément. Le chauffeur vend du mobilier d'intérieur. Dans son catalogue “Avensis, it's my furniture”, mon préféré est le lit-double “Elegan”. Mais je m'égare. C'est la première fois que l'on me prend en autostop pour m'obliger à prendre des photos dans une dizaine de lieux panoramiques...

    Malgré sa gentillesse, l'envie de marcher reprend le dessus. "Teşekkür ederim, güle güle!"

    Côtes3.JPG

    AbdullahArbre.JPGSur le litoral, les plages sauvages appartiennent aux autochtones. Au bord de la route, un pick-up rouillé annonce en contrebas une famille nombreuse qui jouit d'une baie entière pour elle seule. Au bord de la route, une Honda à la selle déchirée annonce en contrebas un pêcheur isolé... Ma plage préférée appartient à Abdullah (photo), un cultivateur de bananes à la chemise lacérée, au sourire inamovible et à la qualité de vie inégalable...

    CôtesBananeraies3.JPG 

    UtopiaHôtelLift.JPG...mais au loin, encore bleuté, se profile, tel une forteresse bidon, le cinq-étoiles Utopia (littéralement “lieu qui n'existe pas”), sa plage cloisonnée accessible uniquement via un ascenseur vitré d'une vingtaine de mètres relié à une passerelle conduisant à l'intérieur de ce palace déposé sur un piton rocheux...

    À partir d'Utopia, Costa del Sol, Antalya, même combat.

    UtopiaHôtelPool.JPG“Aucun Boeing sur mon transit / Aucun bateau sur mon transat / Je cherche en vain la porte exacte / Je cherche en vain le mot exit...”

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