Ne me dites pas que ceci n'est pas l'Europe. J'entends bien. La géographie a décidé que seuls 3 pourcents de la Turquie sont européens (au-delà de la “ligne” Dardanelles-Marmara-Bosphore) et la politique parle d'intégration envisageable d'ici 2020, si dieu l'veut... mais il est ici question d'impressions. L'impression que la frontière qui délimite la Syrie et la Turquie n'a rien a envier à celle qui sépare l'Espagne du Maroc, comme si le détroit opposant les mondes catholique et musulman était aussi flagrant que le poste de douane de Bab al-Hawa qui joint les mondes arabe et turc (il est conseillé de ne pas traiter un Turc d'Arabe).
ISKENDERUN Dernières visons de Syrie : tentes de bédouins au milieu de champs fraîchement fauchés (c'est un cliché, mais c'est là), policiers qui immobilisent le véhicule à quatre reprises en espérant un bakchich (en vain) et mules chargées de tonneaux d'essence qui quittent la route et empruntent un sentier clandestin en direction de la Turquie (l'essence y coûte le double du prix).
Première vision en Turquie, le retour de l'alphabet latin (décret de Mustapha Kemal, dit ”Atatürk”, en 1924). Dans la campagne, des tracteurs esseulés s'activent sur l'immense “grenier à blé” d'Antioche. Une ligne blanche continue délimite le bord de la route. Il y a de la peinture de couleur sur les façades des maisons et des tuiles sur les toits. Les stations-essence sont colossales. Elles semblent neuves. À l'entrée d'Iskenderun, (les fameux “iskender kebap”, avec sauce tomate, beurre et yahourt)... comme une preuve irréfutable... un mélange de joie et de répulsion... un spermarché sur lequel est inscrit en lettres vertes sur fond orange... “MM Migros”.
Descendu du bus, un Turc germanophone (à donner des complexes de prononciation) m'offre un thé (le bonheur de retrouver ces fameux verres en forme de tulipe et ce sucre en morceaux qui se retrouve jusqu'en Afghanistan – on parle turc à Mazar-i-Charif) avant d'indiquer où dormir pour pas cher. La lumière apparaît à tous les coups en appuyant sur l'interrupteur. Dans la rue, absence totale de taxi, un trafic diversifié, des magasins planqués derrière des vitres, du porc en barquette sous cellophane dans l'un des nombreux supermarchés, des pains avec du volume, plus un seul homme “en robe” et presque plus une seule femme “en voile” ( la Turquie offrait le vote aux femmes en 1934, même si elle réautorisait le port du voile dans les université en février 2008), des plans de la ville aux principaux carrefours, des gens qui font des ricochets sur le rivage, quelques nuages salvateurs dans le ciel, de la musique “live” (un bon son) dans un café à ciel ouvert (mixte) et où l'on danse (sans prétexte de mariage).
Mais la Turquie , c'est aussi pas mal d'ennui dans les rues le dimanche. On fait alors comme eux. On va à la plage d'Arsuz, à une trentaine de kilomètres plus au sud. Dans le minibus, un Musulman dit croire en un seul Dieu, mais doute du reste (envie de le prendre dans mes bras). Sur le siège de devant, une femme caresse un petit chien blanc assis sur ses genoux (pas envie de le prendre dans mes bras)...
Arsuz est une station estivale 100% turque, “garantie sans Russes ni Allemands”. Bien. Au nord ne se succèdent que des plages privées d'hôtel. Au sud, une jeune recrue me demande de faire demi-tour ; c'est un campement militaire. Il n'y a donc qu'un seul accès à la mer. Il a la forme d'un entonnoir. Il mène à une caisse. On me tend une natte. J'ai de la chance. Il y a une place au premier rang. Un jeune s'amuse avec deux altères devant un miroir et un concours de tiré à la corde est animé par un commentateur muni d'un micro. Qu'importe. La mer...
...mais comme l'impression d'arriver au bout du livre, de tourner les dernière pages de “Notre Mer”... Franchi le Rubicon turc, de quoi sera fait la vie?