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Textes chroniques - Page 22

  • Autostop & migration...

    Comment faire "rentrer" deux jours de stop dans cet espace blog ? Je n'y connais rien en cylindrées, ne sais pas raconter les paysages et n'aimerais pas trahir des discussions kilométriques. A défaut de mieux, dans cinq véhicules en migration, ne retenir que ce qui touche... à la migration.

     

    MARSEILLE Au rond-point de l'Arc de Triomphe, une Audi ouvre une portière. Nuque et crâne de légionnaire, Vincent est un pilote de char en stage à la base de Cassis. Il peut me pousser jusqu'à Nîmes.... En mission en Côte d'Ivoire, il se souvient de croyances étranges : "les Africains sont sûrs que porter des bouts de cuir autour du cou suffit à faire fuir les balles". Le souvenir le plus marquant de la République centrafricaine ? "Me faire tirer dessus". Non, Vincent n'a pas eu le temps de rencontrer les "locaux". Non, en dehors de ces deux missions, il n'est jamais sorti de France...

     

    NIMES Roman s'en va déposer 24 tonnes de papier en Espagne. D'origine roumaine, il a travaillé cinq ans à Stuttgart. "L'économie allemande va mal. Je gagne plus aujourd'hui en Espagne. Il y a moins de taxes". A Barcelone, Roman a rencontré sa femme, une Roumaine. Dans la cabine, c'est l'hospitalité des Carpates. "Tu fumes ? Tiens ! Prends ! Tu aimes le chorizo ? Allez, tiens !" De sa Roumanie natale, il me parle du géant allemand Nokia qui s'y est installé, de sa compagnie de transport qui y a ouvert une succursale, mais il n'y retournera pas "à cause de la corruption"... Seule petite touche négative de ce lift en or : je dois me planquer à chaque fois que l'on croise un véhicule de sa compagnie. Le patron n'a assuré qu'une seule personne dans la cabine. Ilegal !

     

    JONQUERIA Après une nuit sous tente à quelques enjambées de Jonqueria, une cité de transit pour routiers, deux jeunes m'invitent à faire un bout de route avec eux. Ils ne vont pas loin. Ils viennent de France, juste derrière la frontière. Ils sont là pour, je cite tel quel, "se faire tirer des pipes à 30 euros par des Marocaines". Euh, non, non merci, je... Le parking de leur Club (photo) n'est pas la plaque tournante de l'autostop et je n'ai guère envie de récolter le témoignage "exclusif" d'une prostituée clandestine. On imagine. Et merde.

    JONQUERIA BIS Au péage, à l'entrée de l'autoroute, les deux seuls véhicules qui s'arrêtent, en trois heures d'attente, sont estampillés "Personal de la Autopista". Il m'invitent à tendre le pouce ailleurs. Les automobilistes ajustent leur rétro, tapotent sur leur natel ou regardent droit devant. Quant aux camionneurs, il travaillent de plus en plus en duo, à cause des tranches horaires légales. Ils occupent donc toute la cabine... Un peu las - le soleil tape - je pousse la porte d'un débit de boisson. J'aurais dû y songer plus tôt. En moins d'une gorgée de San Miguel pression, me voilà invité par un autre chauffeur roumain qui se rend à Tarragone. Entre deux "mierda de Polak" et "albanise Leute sind Tiere", Nikolaï me raconte avoir été videur de bordel (les Bulgares, les Roumaines et les Brésiliennes seraient plus nombreuses ici que les Marocaines), ouvrier dans la construction (ses bras ont le diamètre de mes cuisses), puis chauffeur. Il vit à Valence avec sa femme, une Roumaine. Il va en vacances à Majorque ("playa, sex, drugs") et ne s'est baigné que trois fois dans la mer depuis 6 ans qu'il est en Espagne...

    TARRAGONE A une station-essence proche de Tarragone, je rejoins la route nationale. Un routier s'arrête. Rodrigo est Espagnol. Il va à Valence. A son rythme. Il évite les péages. Il conduit avec les jambes et roule son Amsterdamer. Son chapeau de paille lui sied à merveille (photo). "Les Musulmans, ils faut les éliminer comme, il y a des siècles, l'ont fait les Catholiques !" Il est raciste pour deux, mais attachant pour trois. Quand sa mère était enceinte de lui, son père avait voulu chercher du travail en Angleterre. Leur petit village andalou se vidait. Sa mère avait refusé : "chez nous, c'est ici". La famille s'était alors simplement rendue à Valence, où Rodrigo vit toujours... Lorsqu'il fait des livraisons en Allemagne, il en marre qu'on lui demande sans cesse s'il est Turc... Malgré tout, les étrangers, il n'en veut pas : "Zapatero fait tout pour eux, il leur donne de l'argent, un toit, des soins, une éducation. Et moi je ne peux même pas choisir l'école de ma fille !" Quand il a voulu monter son entreprise de transport, la banque ne voulait financer que deux camions et l'Etat ne lui allouait d'aide qu'a partir de trois véhicules.... On comprend mieux pourquoi il choisira le Parti populaire de Mariano Rajoy lors des élections législatives du 9 mars prochain. Il y a deux jours, ce dernier affirmait lors d'un meeting : "Le Parti Populaire est le parti de Angela Merkel et de Nicolas Sarkozy, le parti du coeur de l'Europe"...

    ...mais déjà, au milieu de la nuit, les lumières de Valence.

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  • Marseille, kilomètre zéro

    Sur les marches de Notre-Dame de la Garde, un gitan massacre à l'accordéon La Marseillaise. Sur les grilles de l'édifice : "Attention. L'accès à la Basilique est gratuit. Aucune quête n'est tolérée"... Sur les flancs caillouteux de la colline, un gosse pratique son sport d'hiver : deux sangles fixées sur un skateboard, un snowboard méditerranéen (photo).

    MARSEILLE 43° longitude Nord, 5° latitude Est, kilomètre zéro, un symbole. La plus vieille ville de France (2600 ans) propose depuis 1835 une ligne régulière de bateaux à vapeur vers Alger. La mention "Soeur de Rome, rivale de Carthage et émule d'Athènes" est gravée sur l'Hôtel de Ville. "Porte d'Orient" sur une statue de la Gare Saint-Charles. L'heure de Singapour et de New York aux horloges de la Chambre de Commerce... La capitale "black, blanc, beur" a accueilli les Arméniens de 1915, les Russes de 1917, les Espagnols de 1936, les Africains de la seconde guerre, des centaines de milliers de Pieds-Noirs... Aujourd'hui, un quart de la population est musulmane. Et 80'000 Juifs cohabitent avec eux.

    Malgré tout, sur une affiche collée à un lampadaire, on peut lire : "Face à la racaille, tu n'es plus seul". Signé, les Jeunesses Identitaires... Ceux qui, de Perpignan à Nice, votent encore FN et succombent à la vague anti-arabe ont oublié qu'en 1897 un cortège impressionant de Marseillais réclamait le renvoi des dockers... italiens. Déjà , les étrangers étaient accusés de concurrencer les salariés français.

     

    NOTRE-DAME DE LA GARDE "Que voulez-vous, Marseille c'est aussi 40'000 Rmistes et 12% de chômage", me répondait dare-dare le patron du Café L'Ascenseur, sis au pied des marches qui mènent à l'édifice. De quoi méditer. Et pourquoi l'athée que je suis se rend-il dans un lieu saint ? Oui, son marbre vient de Carrare, d'Algérie, et le concepteur a associé un clocher (Occident) à une coupole (Orient)... Il y a autre chose. Une vieille superstition. Avant de partir, il faut consulter l'Oracle. L'occasion donc de demander la protection de Notre-Dame, la "Bonne Mère", comme on l'appelle ici, allumer un cierge et en profiter pour parcourir l'histoire de la Ville résumée en un millier d'ex-voto rivetés aux murs de la basilique :

    "Reconnaissance pour nous avoir préservé du choléra - 1884", "Pour avoir sauvé le steamer Obbia dans l'Océan indien - 1901", "400 tirailleurs calédoniens remercient Notre-Dame de les avoir protégés contre 3 attaques de sous-marins - 1918", "Pour le sauvetage du pétrolier Vendée - 1940", "Cette basilique a été préservée de la destruction par une protection manifeste de Notre-Dame - 1944", "Retour d'Algérie de notre fils - 1958"...

     

    CAPITALE CULTURELLE Une épaisseur historique qui dissimule parfois l'ambition contemporaine. "Marseille est comme une femme bossue. Son mari l'aime, mais il a des réticences à la montrer à ses amis", a dit la veille le sociolgue Jean Viard lors de la présentation du programme du candidat socialiste aux Municipales, Jean-Noël Guérini... D'autres y croient : Marseille se bat pour être la Capitale européenne de la Culture en 2013.

    ...Allumer un cierge dans la basilique Notre-Dame n'a servi à rien. En plantant ma tente  à proximité de l'édifice (photo), j'ai cassé l'un des piquets porteurs. Il faut être moderne. Brico Loisir rend des services que Notre-Dame ne peut pas.

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  • Notre Mer ?

    Et pourquoi pas Bahr ar-Rûm (mer des Romains) tant qu’on y est ?... Il faut l’admettre. Le titre de cette chronique grince. Il rappelle l’Union de la Méditerranée, si chère au mari de Carla Bruni. "Notre Mer" sonne latinocentriste. Pire, mussolinien !Au contraire.

    Cette plateforme aimerait aller contre la "remontée" des nationalismes, la balkanisation des rivages, l’Europe forteresse, l'islamisme obstiné, le côte à côte devenu face-à-face. Car la Méditerranée n’est peut-être pas qu’une cicatrice.

    Ainsi, de Marseille à Marseille, dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, en bon Suisse (n’ayant pas le pied marin, je suivrai la côte, manque de pot, je supporte mal l’avion), faire le tour du sujet, narguer les frontières et rencontrer les Méditerranées catholique, orthodoxe, musulmane. La "Mer du milieu des terres" est d'une importance géopolitique centrale. Elle incarne les plus grands dangers comme les plus beaux espoirs. Elle mérite qu’on s’y attarde.

    Pendant six mois, j’accosterai donc ceux que l’on n’entend pas depuis l’autre rive et raconterai cette Mer partagée entre la tentation de la fermeture et la nécessité d’assumer la pluralité que porte la mondialisation.

    Devant moi, une carte de la Méditerranée au 1:6'000'000. France, Espagne, Maroc, Algérie, Tunisie, Libye, Egypte, Israël, Liban, Syrie, Turquie, Grèce… Des pays que je me réjouis d'effleurer. Avec l’entrain d’un Marseillais mangeant la bouillabaisse. Tantôt ouzo, tantôt anisette. Tantôt pin torturé, tantôt bleu Cézanne, j’essaierai de garder à l’esprit l'humanisme méditerranéen dont aimait parler l’enfant d’un quartier ouvrier d’Alger :

    "Ailleurs, dans les cafés maures de la Kasbah, c’est le corps qui est silencieux, qui ne peut s’arracher à ces lieux, quitter le verre de thé et retrouver le temps avec les bruits de son sang. Mais il y a surtout le silence des soirs d’été..."

    Albert Camus, L’Eté à Alger

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