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Textes chroniques - Page 21

  • Al-Hoceima : pêche, cinoche et Real

    Il pleut à l’intérieur d’un bus qui se traîne vers la mer. La pluie goutte sur différents sièges selon si le bus monte ou descend, et puisqu’il n’est pas plein, les passagers jouent à la chaise musicale. Sans musique, sinon celle d’un moteur de 1988. Faisant de puissants gestes à mon voisin, j’ai le temps de regretter de ne pas avoir appris l’arabe. Non, je n’ai pas le temps. Le bus tombe en panne.

    Suite du voyage en taxi collectif – trois devant, quatre derrière – lecture coranique plein tube et, du Rif à la Mer, paysages absolument magnifiques (pas de photos, mais ma parole). A quelques kilomètres d’Al-Hoceima, une dizaine de policiers s’affairent autour d’un radar portatif. Journée Nationale de la Sécurité Routière. Argument plus percutant : un camion en mauvaise posture paralyse la route.

    AL-HOCEIMA Après les "ports à containers", quel plaisir de flâner dans un vrai port de pêche. Des caisses à poisson de taille plus humaine, un chantier naval bordélique, des marins qui achètent des clopes au détail en râlant à cause de la météo ou du prix de la sardine... Les embarcations regagnent le port au premier "Allah akbar", pour l’Al-Fajr. Commence alors la vente aux enchères "à la criée" dans la halle aux poissons. Le stock, plus maigre que de coutume, engage des bousculades plus agressives que de coutume. En milieu de matinée, il ne reste sur les docks qu’une dizaine de vendeurs isolés. Ils monnaient ce qu’ils ont chapardé pendant la vente en gros... Contre le soir, rebelote, une montagne de caisses vides et une vingtaine d'hommes sur le pont, de la  glace dans la soute et le soleil qui se couche…

    *

    Ces marins étaient en grève jusqu’à hier.

    Un accord vient d’être signé avec le ministère de la Pêche visant à alléger la hausse du prix du gazoil, aujourd’hui à 7,8 dirhams le litre (CHF 1.-).

    Le ministère leur a promis un plafond à 5 dirhams...

    Suite au tremblement de terre du 24 février 2003 - 570 morts dans la région - certains villages manifestent encore aujourd'hui à Rabat, parce qu'ils n'ont pas été dédommagés par le gouvernement. Comme promis...

    *

    Et maintenant ? Que font ceux qui restent à quai ? Au Gran Cinema, le seul de la ville, le film indien sous-titré français-arabe ne séduit qu'une dizaine de personnes... Le patron accuse la vente de DVD (15 dirhams, contre 8 pour une séance) et craint de bientôt suivre le sort du second cinéma de la ville : une ruine. Faudrait-il changer la programmation ? Il n'a pas le choix. Les films occidentaux sont trop chers.

    Les jeunes, ils restent chez eux ou font "la promenade du parc". Cet été, en cet endroit, s’inaugurera la nouvelle Place Mohammed VI. Les palissades du chantier parlent d'une future "Place des parfums du nord"...

    Certains jeunes préfèrent se retrouver en masse au bar Nejma. La consommation n'y est pas obligatoire et un écran géant - un drapeau marocain sur le poste et un portrait du roi sur le mur - ne propose pas ce soir, comme d'habitude, des films indiens, mais le match Madrid-Rome. Le bar, plein à craquer, a dû ajouter un petit téléviseur sur la terrasse. Des cris. A nombre égal pour chacune des deux équipes. Des cris et des enfants qui vendent des amandes, des cacahouètes et des cigarettes de contrebande... 

    Non, pas une femme.

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  • Aux sources du trafic de haschisch

    KETAMA Conifères noueux, pâturages escarpés et sommets enneigés. Ce pourrait être les préalpes si ne se dessinait soudain dans les vallées brumeuses du Rif une petite ville boueuse qui ne donne pas envie, à première vue, de s’attarder. Ketama. Pourtant, si, en suivant la direction de Fès, on prend la première route à gauche, puis marche encore cinq ou six kilomètres sur une piste défoncée qui devient peu à peu chemin boueux…

    AZILA Il faut imaginer ces terrasses en été. Des plantes de cannabis de trois mètres. L’odeur. Au pied du Mont Tidighin (2456 m), les quelques centaines d’habitants du village d’Azila entretiennent une tradition vieille de quatre siècles. Cependant, depuis une trentaine d’années, le village fonctionne en "monoculture". Le moindre replat est exploité pour le "kif" et je m’étonne de compter dans ce petit bled berbère quatre imposantes mosquées : quelque chose à se faire pardonner ?

    A Azila, interdit de se plaindre de la pluie. "La pluie, c’est la survie", d’autant que dans deux semaines, le village commencera à planter. "Avec des chevaux, c’est mieux qu'avec un tracteur, car ça ne casse pas les graines", m’explique Abdoul (prénom fictif), frère aîné d’une famille de 23 enfants (son père a eu quatre femmes...) et chef de l’entreprise familiale : "C'est parce qu'Azila donne le meilleur kif du Rif que Mohammed V nous avait déjà donné l’autorisation d'en cultiver il y a 40 ans"... A l’indépendance du Maroc, en 1956, le kif fut prohibé dans tout le pays. 

    *

    Dans l’ouest du Rif, l'Etat cherche toujours aujourd'hui à remplacer le kif par des cultures d’olives, d’amandes... ou par le tourisme.
    Sur la côte, les cultures ont été brûlées au lance-flamme en 2005 (les responsables des attentats de Madrid viendraient de Larache)…

    L'an dernier, le Maroc fournissait toujours les 80% des 3’000 tonnes de haschisch fumées en Europe.

    *

    Après un petit tour du "domaine", Abdoul m’invite chez lui. Une maison neuve et spacieuse déposée dans la boue. Dans la salle commune, une télévision et un lecteur DVD. Il glisse un CD d’Alpha Blondy, sort de son djellaba deux téléphones portables et en roule un bien chargé. Une femme vient bourrer le fourneau. C’est sa mère. Une autre apporte du thé. C’est la femme de son frère. Abdoul veut me faire écouter un DVD de musique berbère "coupée" au rap français. Pour finir, il accepte de le mettre sur pause. On parle de son travail...

    (cette photo estivale n’est évidemment pas de moi. De toute façon, depuis qu’un étranger a mis en ligne une vidéo montrant des femmes du village, il est interdit de prendre ici quelque image que ce soit. On se méfie de ceux qui viennent "par pure curiosité". La première photo de l'article est passée "entre les gouttes")

    L’hospitalité berbère n’est plus à prouver. Le présent est agréable avec Abdoul. Cependant, il est clair que l'invitation n’est pas 100% gratuite. "Si tu veux, on peut t’envoyer la marchandise par la poste. Depuis Fès, pas de problèmes..." Si le gramme coûte 15 dirhams (2 francs suisses), il tombe à 5 dirhams à l’achat d’un kilo, ou à 8 dirhams pour la meilleure, celle que les Espagnols appelaient "Oro Negro" et que l’on retrouvera en Europe sous les appellations "Sputnik", "Zero Zero" ou "King Hassan". 

    TRAFIC Abdoul vient juste d’en envoyer à un Italien qui avait passé quelques nuits à Azila (ce dernier a laissé une "fresque" sur le mur d’une maison et le souvenir d’une mémorable "Pizza Party" pour une trentaine de villageois...). Aux dires d'Abdoul, les Espagnols préfèrent la "méthode caramel" qui consiste à avaler une pilule anti-faim, puis des boulettes de 5 grammes emballées dans du cellophane (il est conseillé de boire beaucoup d’eau et de marcher un peu, toutes les vingt boulettes, pour faire descendre). On pourrait sans problème en avaler ainsi 500 grammes.

    De la peine à mettre en doute les paroles d’Abdoul. Il parle arabe, quatre dialectes berbères, italien, espagnol, français, anglais et cherche à perfectionner son allemand, parce qu’il se prépararait à marier une Allemande... Pas de doute, il est connecté. Et ses anecdotes de "touristes en espadrilles", comme il dit, ne doivent pas cacher l'essentiel du commerce.

    Des camions équipés de "caches" se rendent directement chez lui pour transporter la marchandise vers les côtes (on peut y placer un morceau de viande d’un chien mort pour que les chiens des douaniers rebroussent chemin...). Ensuite, c’est aux "barons" de Tanger, Tétouan, Nador ou Casablanca de l’acheminer en Europe par container, sur des navires de commerce, avec la complicité de services d’import-export officiels (il est paraît-il des passeurs qui ne demandent en contrepartie qu'un passage assuré et définitif en Espagne)…

    PAUVRES CULTIVATEURS Mais revenons à Azila... La grande maison d’Abdoul  deviendra cet été le premier Hôtel d’Azila, lorsqu’il aura ajouté un troisième étage. Car le deuxième est déjà occupé par son atelier. Hélas, il ne le montre qu’aux acheteurs.

    Quoi qu'il en soit, Azila ne voit rien des fortunes amassées par les traficants. Si la maison d'Abdoul est confortable, l’électricité est souvent coupée dans la soirée et se fait attendre en vain le matin. La piste qui mène au village est défoncée. La survie des cultivateurs dépend toujours de la qualité des récoltes. Et non, pas de Mercedes garées devant les fermes. Abdoul me dit que Hassan II a sacrifié la région ("ils ont le kif, ils n’ont rien besoin d'autre"). Lui réclame sérieusement à l'état des subventions...

    En les attendant, les yeux absorbés par un DVD (Jackie Chan se bat dans les rues de Las Vegas), les mains occupées à en rouler un (un dernier), Abdoul parle de moins en moins... Hein ? Ah. Je peux dormir là.

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  • RIF : Le prix du Paradis

    CHEFCHAOUEN Aux portes du Rif, dans cette petite ville montagnarde réputée pour son bon air et sa médina, certains achètent le paradis au Bar Oumourabie. Il coûte 15 dirhams (un euro), s'appelle Flag Beer et se transporte sous le djellaba jusqu'à une terrasse, où, près d'une bouteille de jus de pomme gazeux Pom's, il passe inaperçu (si le "Service de Sûreté" surprend le manège, il demande 600 dirhams)...

    D'autres - la grande majorité - préfèrent au "Monsieur Nerveux" (alcool), la "Dame Tranquille", comme on l'appelle ici : "Si Allah fait croître le cannabis, il faut y faire honneur", me dit-on...

    Certains, enfin, passent à la vitesse supérieure :

    Un Espagnol vient d'offrir 380'000 dirhams (35'000 euros) pour cette petite ruine isolée (photo)... Une centaine d'étrangers vivent ainsi à Chefchaouen à plein temps et plus nombreux encore sont ceux qui y ont acheté une "résidence secondaire". Résultat : en 10 ans, les prix de l'immobilier ont sextuplé, suivant l'exemple des grandes sœurs, Marrakech et Essaouira.

    Si certains indigènes crient à une "nouvelle invasion coloniale" et réclament une loi de réglementation (une sorte de Lex Koller...), d'autres se font plus accueillants : "les Marocains ne veulent plus vivre dans la médina et n'ont les moyens ni de restaurer les bâtiments, ni d'acheter du mobilier ancien. La ville a besoin des étrangers..." La preuve par l'exemple. A droite, la maison d'Emilio, un Espagnol installé ici depuis deux ans. A gauche... une bonne affaire (photo) :

    Qu'en pense Emilio ? Impossible de le rencontrer. Comme tous les Espagnols installés ici, il ne reviendra qu'au printemps. Ne se rencontrent que les membres des organisations espagnoles d'entraide sociale (IPADE et MZC) et d'écologie (Talass matane) qui me disent que c'est un très bon investissement. Depuis l'Espagne, on loue sa "maison authentique, rénovée, tout confort, au coeur de la médina" pour 800 euros mensuels. En deux ans, l'achat est rentabilisé.

    Et si moi aussi je m'offrais le Paradis ? L'agence immobilière Bakali est fermée : "le patron est allé faire des courses à Tétouan", me dit-on. L'autre agence, Appium, propose au catalogue des dizaines de maisons, de 20'000 à 200'000 euros : "l'essor immobilier a commencé avec les Espagnols de Ceuta. Puis sont venus les Espagnols de la péninsule et les autres étrangers...

     *

    En 1920, les Espagnols s'emparent de Chefchaouen.
    Ils la rendent après l'indépendance du Maroc, en 1956.

    550'000 touristes espagnols ont visité le Maroc en 2007. 

    *

    Mais au Maroc, mieux vaut court-circuiter le système, limiter les intermédiaires, d'autant plus que chacun connaît une personne qui connaît une personne qui... vend une maison. Ainsi me retrouve-je dans la maison familiale de Yassin (photo), dans la médina, deux étages, cinq pièces, électricité, eau courante, puit de lumière, terrasse avec vigne, le tout pour 800'000 dirhams (75'000 euros), libre de suite. Un Allemand lui offert la somme, mais ne répond plus depuis quelques mois. Un Anglais offre 600'000. "Si tu veux, la semaine prochaine, la maison est à toi !"

    En discutant un peu, on découvre qu'à Chefchaouen, le propriétaire de la maison d'hôte Par Ras El est zurichois (www.chefchaouen.ch). Et que l'Hôtel Goa (pas sympa, le "g" est imprononçable pour les arabophones…) est tenu par une Lausannoise.

    Sous des tentures de Ganesh et de Bouddha, Valérie Mandrin (photo), 46 ans (lectrice quotidienne du 24 Heures online...), raconte comment elle a acheté en 2001 une maison qu'elle a transformée ensuite en hôtel. "J'ai eu le coup de foudre pour cette région qui ressemble à la Suisse... et enfin un endroit au Maroc où une femme pouvait boire seule un café sur une terrasse !"

    Des anecdotes, elle en a à la pelle. "Au début, peu coutumiers des animaux de compagnie, les Marocains jetaient des pierres sur ma chienne Safi..." Sa femme de ménage (payée 150 euros par mois, pour 4 heures par jour, 6 jours par semaine) ôte le manche du balai pour laver "à la marocaine", courbée en quatre (mais aujourd'hui, elle n'est pas venue...). Les ouvriers marocains, "d'une lenteur inimaginable", lui ont détruit tous ses outils pour faire un "boulot de glandu" (il pleut à l'intérieur)... L'associé marocain avec qui elle a acheté la maison lui cause bien des problèmes...

    En résumé, "pour vivre ici, il faut être très forte de caractère", avoue Valérie Mandrin. Depuis peu, son mari a décidé de vivre à nouveau en Suisse et ne revenir à Chefchaouen que pour les vacances...

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  • Passer de "l’Île verte" à la "Cloison" : Brûler le détroit

    Trois jours que ça dure. La tempête. Les ferries en partance pour l'enclave espagnole de Ceuta s'ennuient dans le port d’Algeciras, à la pointe sud de la péninsule.

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    D'Algeciras (de l’arabe "Al-Yazirat-al-Jadra",qui signifie "île verte")...

     

    ... à Ceuta (du latin "septum", qui signifie "cloison").

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    ALGECIRAS Sur les quais, Adnane patiente près de son convoi (photo). Il y a sept ans, il passait quelques jours en France, muni d'un visa touristique. Puis trois mois à Majorque, chez un cousin qui lui avait trouvé un travail dans la restauration. Aujourd'hui, à 39 ans, il possède la double nationalité espagnole-marocaine. Il est maçon à Valence. Cinq fois par an, il rejoint sa famille, à Oujda. Il est le seul à être parti : "mon frère est allé en Allemagne, mais n'a pas aimé. Il est rentré..." Adnane en profite pour ramener au bled des bicyclettes, des vêtements, une climatisation et un chauffage. Ses deux enfants vivent au Maroc : "ils apprennent l’arabe et le français. Ils viendront en Espagne ensuite, pour les études supérieures, puis reviendront au pays, car ils préfèrent le Maroc. Ils ne viennent à Valence que pour les vacances..." Après une longue conversation (on a tout le temps...), Adnane se confie : "Venir en Europe, avec du recul, ce n’était pas la bonne solution. Le prix de la vie, le loyer, le racisme... Je regrette mon choix et prépare mon retour au pays. Non, ça ne sert à rien de le dire aux jeunes Marocains. Ils veulent voir..."

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    En milieu de journée, le vent se calme un peu et un ferry peut quitter le port. Des vagues de quatre mètres cassent toutefois l'ambiance à bord. Les sacs vomitifs circulent. A l’intérieur, pêle-mêle, on sieste, on fait connaissance, on est coude à coude. Abdoul Salam (photo) est un immigré marocain qui travaille au Carrefour de Madrid. Il m’invite chez lui, à Ketama, dans le Rif. Une adresse sur un bloc-note. Merci Abdoul. Deux businessmen espagnols se rendent à leur agence. Ils préfèrent faire les trajets chaque semaine et ne pas vivre à Ceuta, "en Afrique", comme ils disent. Ils détestent Ceuta, mais le poste est bien rémunéré. Ils assurent que les deux pays s’entendent très bien. La preuve, Juan Carlos s’y est rendu (pour la première fois) en novembre dernier.

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    CEUTA Sur la Plaza de Africa, personne, sinon deux touristes qui lisent le Routard et un vendeur de haschisch qui jure qu’il n’y a pas de problème pour l’amener au Maroc. C’est le retour qui est "un peu difficile"...

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    Le 28 décembre dernier, le cadavre d’un jeune homme tentant de rejoindre un bateau pour l’Espagne a été retrouvé dans le port de Ceuta.

     

    Selon la revue Fortress Europe, 35 migrants ont été abattus par la police des frontières dans les enclaves espagnoles ces vingt dernières années.

     

    Le centre de séjour temporaire d’immigrants de Ceuta est plein à craquer.

     

    La "République de Bel Younes", une communauté d’Afrique noire installée dans des baraquements de fortune à quelques kilomètres de Ceuta a été "nettoyée" il y a deux ans par les Espagnols

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    Contre le soir, la ligne d'autobus n° 7, celle qui mène à la frontière marocaine, ne transporte presque que des femmes. Très bien habillées, maquillées, foulard assorti, elles viennent toutes de Tetouan. "Ce sont des frontalières qui viennent gagner à Ceuta un millier d’euros mensuels. Une fortune ! Elles font des tâches domestiques. Seule la province de Tetouan a l'autorisation d'entrer librement à Ceuta. Les autres Marocains ont besoin d'un visa..." C’est un homme de 73 ans qui me raconte cela. Lui vient à Ceuta une fois par semaine, tout seul, "pour avoir la paix un moment". Il vivait en Espagne dans les années 70, "quand les Espagnols quittaient leur pays", s’amuse-t-il à relever…

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    Juste avant la frontière, des femmes revêtent un dizaine de couches d'habits pour les ramener au Maroc. D'autres emballent leurs produits achetés dans les grandes surfaces Lidle ou SuperSol, dans l'enclave duty free de Ceuta. Produits de lessive, couches-culottes, Nutella, Petit Beurre, Vache qui rit, cigarettes, whiskey et Nescafé ont leur préférence.

    Si on se hasarde le long de la frontière, on rencontre aussi des jeunes qui fouillent dans un tas d'ordures pour collecter des fils de cuivre qu'ils revendront 4 euros le kilo. Ensuite, sur des kilomètres, rien d'autre qu'un mur de six mètres de haut (photo). Derrière, des barbelés, des caméras thermiques, des détecteurs infrarouges et la police frontalière.

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    "Ceux qui tentent de partir savent que l’Europe les rejettera, qu’ils y retrouveront les vexations et l’offense qu’ils fuient dans leur pays. Mais rien ne les empêche de brûler le détroit pour faire enfin quelque chose de leur vie..."

    Tahar Ben Jelloum, Partir, 2006

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  • Inglesa Mediterráneo

    L'Andalousie s'est décidée à dénoncer les autorités de l’enclave britannique de Gibraltar devant la justice européenne. Le carburant de l'embarcation panaméenne New Flame, échouée au large de Gibraltar il y a six mois, se répand lentement sur les plages d'Algeciras, le voisin espagnol.

    ALGECIRAS Si l'affaire New Flame fait les gros titres de la presse, les concernés ne s'en soucient guère. On me dit que ce sont de vieilles photos que les journaux recyclent, que les plages sont archipropres. Les sympathisants du Parti Populaire en profitent pour dénoncer la passivité de Zapatero, qui n'a pas su bousculer le Rocher”, et les plus nationalistes, pour relancer les velléités d’annexion. D'autres avouent simplement en avoir vu d'autres. En 2000, le sous-marin nucléaire britannique Tyreless, tombé en panne dans le détroit, avait dû être réparé pendant des mois à Gibraltar. En 2005, rebelote, avec un autre sous-marin nucléaire, le Sceptre

    GIBRALTAR Dans la très pittoresque enclave anglaise, réputée pour son paradis fiscal, son argent sale, son parlé ”llanito”, mélange d’anglais et d’espagnol, sa mosquée, don des Saoudiens, ses mariages express en 24 heures chrono,  et j'en passe, c'est une autre bizarrerie qui me retient à l’entrée de la très cosy Main Street, entre le Burger King et le British fish’n’Chips, en plein milieu du square Casemates...

    Au milieu de la place, un stand ne cherche pas à  se camoufler. “The Royal Gibraltar Regiment engage now !” Profil recherché, “team player, keen to travel, adventurous, reasonably fit, ambitious...” Propose en échange “14'000 £/year, variety & satisfaction, travel, sport, excellent pension...” Les touristes se font prendre en photo aux côtés de Paul Auston (photo), 24 ans, sous les ordres de la Reine depuis 8 mois. Il me raconte son stage d’entraînement et de coopération au Maroc, près de Marrakech. Photos à l’appui. “On leur a appris à tirer et à mieux se comporter. Tu comprends, eux, quand ils voient un prisonnier, il le frappe tout de suite...” Les yeux brillants, Paul m’avoue rêver d’Irak et d’Afghanistan. “Hélas, il y a pas assez de places pour trop de demande…”

    En décembre dernier, suite aux déboires du New Flame, l'ONG espagnole “Ecologistes en Action” accusait le gouvernement de Gibraltar de “terrorisme écologique”.

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  • Carthagène : invasion imminente

    On s'y hasarde par une arche effondrée. Blocs de pierre, cadavres de bouteilles et échafaudage abandonné. Me voilà dans l'arène. Une "Plaza de Toro" construite le siècle dernier sur les ruines d'un des plus anciens amphithéâtres romains de la péninsule. De la verdure sur les gradins. Silence absolu. L'impression "so romantic" de se perdre dans de "vraies" ruines...

     

    Bâtie stratégiquement sur une pointe de la Costa Calida, Carthagène est un formidable fourre-tout, un instantané réussi d'une "humanité en transit". Cette ville, qui semble dater du siècle dernier, se réveille soudain dans le troisième millénaire et retrouve dans ses entrailles des vestiges millénaires.

    Coup de foudre donc pour cet amoncellement d'éléments disparates. Entre une boucherie halal et un Multiprecios chinois, des indigènes d'un âge certain jouent aux dominos en sirottant des cognacs. Carthagène résiste avec souplesse. Comme elle a résisté en 39 pour être la dernière ville espagnole conquise par Franco (même si depuis une dizaine d'années, la Municipalité est aux mains du Parti Populaire...).  Au terminal de la ligne 5 (en dehors du plan distribué à la gare), le quartier "Barriada de Hispanoamerica" pouraît aussi bien se trouver sur une quelconque côte péruvienne, mais à l'autre extrémité de la ville, les containers internationaux entassés sur les docks rappellent à la réalité...

    Du haut de ses cinq collines (on l'appelle aussi "Petite Rome"), on distingue autant de grues au centre ville que sur le port. Bien décidée à s'imposer sur la route touristique, Carthagène s'offre un sérieux coup de peinture, exhume ses murailles puniques et prépare l'invasion. 

    Rebaptisée pour l'occasion "Puerto de Culturas", Carthagène s'est équipée du système "Bicity" (version espagnole du Vélib' parisien). Sur le port de plaisance s'inaugurera cet été le Musée National de l'Archéologie Maritime. Le Théâtre romain, découvert il y a juste vingt ans, sera lui aussi dévoilé au public cet été, ainsi qu'un musée ad hoc. La semaine dernière, les ouvriers du chantier universitaire, en plein centre ville, sont tombés sur une nouvelle fouille. "De valor incalculable", me dit une archéologue agitée. Partout, les facades séculaires à balcons de bois sculpté sont maintenues artificiellement en vie entre des échafaudages pendant qu'on leur refait une santé.

    Invasion ? On est encore loin de Benidorm, cité balnéaire sise entre Valence et Alicante qui s'aveugle derrière les trente étages des barres touristiques "en front de mer". Loin aussi de Tarragone, au sud de Barcelone, où l'ancien site romain, courroné par une cathédrale gothique, est noyé au milieu des constructions industrielles...

    Pour les archéologues de demain, la trace du tourisme aura certes tous les aspects d'une invasion, mais il est difficile d'oublier que devant la "Securidad Sociale" de Carthagène, encore plus qu'ailleurs en Espagne, on fait la file. Une file impressionnante.

    C'est pittoresque une ville épargnée, un monde à part où le temps coule différemment. Si pauvre, si méditerranéen...

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  • Réfléchir la mer depuis le nord

    Deux villes traversées n'ont pas abandonné l'idée d'une nouvelle "Mare Nostrum" européenne...

    BARCELONE Créé à Barcelone en 1995, le Partenariat Euroméditerranéen, dit processus de Barcelone ou Euromed, regroupe les pays de l’Union Européenne, le Maroc, l'Algérie, la Tunisie, l'Egypte, Israël, les autorités palestiniennes, la Jordanie, le Liban, la Syrie, l'Albanie, la Mauritanie et la Turquie (la Libye participe aux conférences en "observateur"). Euromed visait à l'instauration d'un marché méditerranéen de libre-échange en 2010, un objectif réaffirmé lors du sommet de Barcelone de 2005... Depuis, le coma.

    MARSEILLE Le 6 mai 2007, Nicolas Sarkozy avait lancé un appel à bâtir une Union Méditerranéenne pour "engager la Méditerranée sur la voie de la réunification après douze siècles de déchirement". En automne 2008 s'organisera ainsi à Marseille, sous présidence française de l’Union européenne, les "Etats généraux des acteurs du changement en Méditerranée"... Est-ce pour adoucir le profil anti-immigrés du président, redorer le blason du pays ou donner un dérivatif à l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne ?

    CONTRE Alors que le Nord pense "immigration et terrorisme", le Sud se demande ce qu'il va y gagner, cherche un remède aux causes structurelles du sous-développement et rêverait plutôt d'un "Plan Marshall méditerranéen".

    POUR En 1951, à la création de la Commission économique pour le charbon et l'acier, la France et l'Allemagne ne se parlaient pas. Aujourd'hui, le Maroc et l'Algérie ne s'entendent pas sur la question du Sahara, mais ont des intérêts économiques communs, par exemple, dans l'électricité...

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  • Dépaysement garanti

    Le génie helvétique n'a plus de frontière. Ce matin, mon asiático (café avec liqueur typique de Carthagène, oui, une immersion...) n'a pas son goût habituel de reviens-y. Le quotidien La Opinion affiche les moutons blochériens recyclés à la sauce "Democratia National". Le slogan "Compórtate o Lárgarte" signifie, en gros, "tu te comportes bien ou tu fiches le camp".

     

    Déjà échauffée par le contrat d'intégration demandé par Mariano Rajoy (Parti Populaire), l'Association des Travailleurs Immigrés Marocains en Espagne (ATIME) annonce pour ces prochains jours une manifestation à Murcie.

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  • Le drame dominical de Pablo

    VALENCE Pablo déteste les dimanches. C'est ainsi depuis que son entraîneur l'a promu gardien de but des querubin (4 ans) de Moncada de Valencia. Aujourd'hui, sur un terrain pierreux que domine la Porte de Serranos (photo), Pablo ne quitte pas des yeux Marco, le capitaine de l'Amistad de Valencia. Marco, c'est celui qui a des souliers rouges, un brassard de capitaine et des cheveux gominés. Celui qui court vite et à qui tout le monde crie "solo Marco !". Il doit avoir au moins 5 ans.

    "Mira Pablo !" Une meute de grandes personnes chauffées à bloc braillent. Marco sprinte. Marco va seul au but. Marco arme. Marco shoote... La balle rebondit violemment sur Pablo. Marco marque.

    Les grandes personnes se relaient pour convaincre Pablo de regagner sa cage. Pablo en a marre. Il regarde droit devant. Il ne veut pas qu'on le voie pleurer.

    Au loin, Marco a sauté dans les bras de la grande soeur d'un coéquipier...

    Promis, le 7 juin prochain, à l'ouverure de l'Euro, j'aurai une pensée pour Pablo, le torrero qui ne demandait qu'à jouer au sable. 

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  • Autostop & migration...

    Comment faire "rentrer" deux jours de stop dans cet espace blog ? Je n'y connais rien en cylindrées, ne sais pas raconter les paysages et n'aimerais pas trahir des discussions kilométriques. A défaut de mieux, dans cinq véhicules en migration, ne retenir que ce qui touche... à la migration.

     

    MARSEILLE Au rond-point de l'Arc de Triomphe, une Audi ouvre une portière. Nuque et crâne de légionnaire, Vincent est un pilote de char en stage à la base de Cassis. Il peut me pousser jusqu'à Nîmes.... En mission en Côte d'Ivoire, il se souvient de croyances étranges : "les Africains sont sûrs que porter des bouts de cuir autour du cou suffit à faire fuir les balles". Le souvenir le plus marquant de la République centrafricaine ? "Me faire tirer dessus". Non, Vincent n'a pas eu le temps de rencontrer les "locaux". Non, en dehors de ces deux missions, il n'est jamais sorti de France...

     

    NIMES Roman s'en va déposer 24 tonnes de papier en Espagne. D'origine roumaine, il a travaillé cinq ans à Stuttgart. "L'économie allemande va mal. Je gagne plus aujourd'hui en Espagne. Il y a moins de taxes". A Barcelone, Roman a rencontré sa femme, une Roumaine. Dans la cabine, c'est l'hospitalité des Carpates. "Tu fumes ? Tiens ! Prends ! Tu aimes le chorizo ? Allez, tiens !" De sa Roumanie natale, il me parle du géant allemand Nokia qui s'y est installé, de sa compagnie de transport qui y a ouvert une succursale, mais il n'y retournera pas "à cause de la corruption"... Seule petite touche négative de ce lift en or : je dois me planquer à chaque fois que l'on croise un véhicule de sa compagnie. Le patron n'a assuré qu'une seule personne dans la cabine. Ilegal !

     

    JONQUERIA Après une nuit sous tente à quelques enjambées de Jonqueria, une cité de transit pour routiers, deux jeunes m'invitent à faire un bout de route avec eux. Ils ne vont pas loin. Ils viennent de France, juste derrière la frontière. Ils sont là pour, je cite tel quel, "se faire tirer des pipes à 30 euros par des Marocaines". Euh, non, non merci, je... Le parking de leur Club (photo) n'est pas la plaque tournante de l'autostop et je n'ai guère envie de récolter le témoignage "exclusif" d'une prostituée clandestine. On imagine. Et merde.

    JONQUERIA BIS Au péage, à l'entrée de l'autoroute, les deux seuls véhicules qui s'arrêtent, en trois heures d'attente, sont estampillés "Personal de la Autopista". Il m'invitent à tendre le pouce ailleurs. Les automobilistes ajustent leur rétro, tapotent sur leur natel ou regardent droit devant. Quant aux camionneurs, il travaillent de plus en plus en duo, à cause des tranches horaires légales. Ils occupent donc toute la cabine... Un peu las - le soleil tape - je pousse la porte d'un débit de boisson. J'aurais dû y songer plus tôt. En moins d'une gorgée de San Miguel pression, me voilà invité par un autre chauffeur roumain qui se rend à Tarragone. Entre deux "mierda de Polak" et "albanise Leute sind Tiere", Nikolaï me raconte avoir été videur de bordel (les Bulgares, les Roumaines et les Brésiliennes seraient plus nombreuses ici que les Marocaines), ouvrier dans la construction (ses bras ont le diamètre de mes cuisses), puis chauffeur. Il vit à Valence avec sa femme, une Roumaine. Il va en vacances à Majorque ("playa, sex, drugs") et ne s'est baigné que trois fois dans la mer depuis 6 ans qu'il est en Espagne...

    TARRAGONE A une station-essence proche de Tarragone, je rejoins la route nationale. Un routier s'arrête. Rodrigo est Espagnol. Il va à Valence. A son rythme. Il évite les péages. Il conduit avec les jambes et roule son Amsterdamer. Son chapeau de paille lui sied à merveille (photo). "Les Musulmans, ils faut les éliminer comme, il y a des siècles, l'ont fait les Catholiques !" Il est raciste pour deux, mais attachant pour trois. Quand sa mère était enceinte de lui, son père avait voulu chercher du travail en Angleterre. Leur petit village andalou se vidait. Sa mère avait refusé : "chez nous, c'est ici". La famille s'était alors simplement rendue à Valence, où Rodrigo vit toujours... Lorsqu'il fait des livraisons en Allemagne, il en marre qu'on lui demande sans cesse s'il est Turc... Malgré tout, les étrangers, il n'en veut pas : "Zapatero fait tout pour eux, il leur donne de l'argent, un toit, des soins, une éducation. Et moi je ne peux même pas choisir l'école de ma fille !" Quand il a voulu monter son entreprise de transport, la banque ne voulait financer que deux camions et l'Etat ne lui allouait d'aide qu'a partir de trois véhicules.... On comprend mieux pourquoi il choisira le Parti populaire de Mariano Rajoy lors des élections législatives du 9 mars prochain. Il y a deux jours, ce dernier affirmait lors d'un meeting : "Le Parti Populaire est le parti de Angela Merkel et de Nicolas Sarkozy, le parti du coeur de l'Europe"...

    ...mais déjà, au milieu de la nuit, les lumières de Valence.

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