Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Textes chroniques - Page 3

  • Les analphabètes du temps

    Ou comment la lecture en diagonale, Facebook, Instagram, Tweeter et la multinationale Vale font de nous des irresponsables du présent...

    Sur les écrans des liseuses, des tablettes et des téléphones, la lecture en diagonale est devenue la norme. Cette pratique anodine déteint en réalité sur nos mécanismes cognitifs, nos circuits neuronaux. Des liaisons apparues dans le cerveau humain il y a 6'000 ans - lors de l’invention de l’écriture - sont en phase de s’éteindre. On sabote lentement des processus intellectuel et affectifs, tels que l’assimilation des connaissances, le raisonnement par analogie, la possibilité de se mettre à la place d’autrui.

    Pendant ce temps, jour et nuit, les réseaux sociaux crachent leur fil d’actualité, un torrent ininterrompu de posts Facebook et Instagram. Il se passe toujours quelque chose quelque part. Nombreux sont ainsi ceux qui souffrent du syndrome FoMO (fear of missing out), cette peur de laisser échapper un événement important, un sentiment de manque, une dépendance ; une génération de junkies numériques engloutis sous un flot de présent virtuel.

    En politique aussi, les dirigeants ont compris la force de l’instantané. Ceux qui sont élus sont ceux qui travaillent dans le court terme, ceux qui sont réactifs, ceux qui se sont affranchis de la profondeur de l’histoire et de la complexité des programme d’avenir, ceux qui tweetent en direct leurs états d’âme, ceux qui exploitent les peurs simplistes du présent…

    Pour s’émanciper de la tyrannie de l’immédiat et retrouver un sens des proportions temporelles - une « conscience du temps » (timefulness) - la chercheuse américaine Marcia Bjornerud recommande l’étude… de la géologie.

    Quand est née notre planète (il y a 4,5 milliards d’années) ? Quand le soleil cessera-t-il de briller (dans 5,5 milliards d’années) ? Quand sont nées les alpes savoyardes que nous voyons tous les jours (il y a 30 millions d’années) ? Quelle planète souhaitons-nous transmettre à nos enfants, nos petits-enfants et leurs enfants ? Soudain, la vie prend une autre dimension…

    Hélas, un peu partout et surtout dans les grandes entreprises, ceux qui recherchent le profit immédiat, sans se préoccuper des équilibres sociaux et écologiques, reçoivent les plus hauts salaires, et de substantiels bonus. Pensez par exemple à l’un de nos « fleurons » du district, la multinationale Vale, qui a son siège international à Saint-Prex, et dont la pensée à court terme a provoqué l’effondrement d’un deuxième barrage au Brésil (après celui de 2015, qui avait engendré l’une des pires catastrophes écologiques de l’histoire du pays), faisant cette fois une centaine de morts noyés sous une marée de boue contaminée.

  • Un inventaire à la Sauter

    À chaque village, ses trésors : celui de Reverolle abrite « La Briande », une maison-musée où vit Colette Sauter.

    « Deux objets, c’est une paire ; trois, c’est le début d’une collection », aimait dire Pierre, feu son mari. « Il collectionnait tout… sauf les bonnes femmes ! », ajoute-elle, les yeux débordant de malice.

    Il faut le voir pour le croire.

    Dans les combles, quatre ancres en fer forgé, dix-huit falots, une rame de cinq mètres, trois écopes en bois, un sextant, six mètres de littérature marine, un rapporteur d’angle, une barre à roue, une bouée décorative, trois flotteurs de pêche en verre, quatre pipes sculptées, un sifflet d’officier, un pistolet à percussion, un barographe, une cloche de bord, six longues-vues XIXe, huit poulies en bois et une montrant un galion cerclé de trois animaux mythiques.

    Il faut imaginer côte-à-côte des collections de ciseaux, de briquets à essence, de réveils, de microscopes, de verres à gnole, de serpes, de balances, d’arrosoirs à huile, d’étiquettes de vin, de roses des sables, d’équerres en bois, de crousilles, de pots vaudois, de spatules, de pots de moutarde, de channes en étain, de grelots, de moulins à café, de râpes à fromage, de passoires, de fers à repasser, de samovars, de sucriers, de lampes magiques…

    Comment diable décrire ce… monument ?

    …une tuile du Château d’Aigle avec la mention « pour avoir contribué à redonner vie à la Maison de la Dîme », 17 cartes postales rétro de Reverolle mises en vente pour rénover l’église, un vinyle dédicacé du Zizi de Pierre Perret, 76 insectes épinglés sous verre, un dossier « Nicolas Bouvier » dans un tiroir nommé AMIS, Le tabac-roi pour les fumeurs et les fumeuses de Gustave Blanchard et des centaines de paniers en osier !

    Au premier étage, il y a son atelier avec « Adam croqueur de pommes », sa toute première planche à clous, et puis la chambre d’ami où Bernard Clavel a écrit La Lumière du lac. Au rez-de-chaussée, une cuisine (pots à saindoux en grès, paniers verseurs à vin en osier et moules à kouglof), une galerie, une boulangerie, une menuiserie, une imprimerie et une forge où Paul Morier venait fabriquer ses fameux toupins.

    Parfois, Colette se demande : que fera-t-on de tout ça ?

  • Fêtons les vendanges !

    NUIT DES EPOUVANTAILS - MORGES Dans un district comptant 34 communes viticoles (sur 62), riche de 900 hectares de vigne (presque un quart du vignoble vaudois), comment y échapper ?

    Depuis quelques semaines, on a cessé de travailler la terre, les bois, les feuilles, les grappes. On scrute le ciel. Le jour, le soir, la nuit. Avec la peur, l’espoir des fruits. On craint la grêle - elle est déjà tombée deux fois cette année - et puis les étourneaux - les filets sont posés. Pour l’instant, la vigne est saine. Pas de « mouche », comme on dit ici. Pas de pourriture. Le quota. Pas trop de kilos en trop. Largement ce qu’il faut de degrés Oechsle. On sonde encore la maturité de la pulpe, des pépins, de la rafle, des arômes. Et on scrute le ciel.

    Il y a la visite des vignes. Il y a les journaux qui annoncent, comme chaque année, un millésime extraordinaire. Il y a le plan des vendanges. Ce sont les mois de l’attente, de l’angoisse et de l’espérance.

    Et puis un jour, on peut enfin être dans le faire, redevenir acteur, sortir les caissettes jaunes, graisser les sécateurs, laver la benne à vendanges, enlever les filets, réunir l’équipe, prévoir les dix-heures, le dîner, le goûter, le souper…

    C’est parti ! Face à face, deux par deux, efficaces, pliés en deux. On va et vient, s’achemine. On s’incline, courbe l’échine, devant la vigne. On le fait encore parfois à la main, sans machine.

    C’est une transe légère, des heures de discussion relâchée, une ivresse qui monte, une ivresse qui n’est pas encore celle du verre de blanc qui tourne.

    Plus simple que ça.

    Dans les mains, l’esprit de la terre. Dans l’esprit, le fruit de la terre, les grains, la chair, le cœur, l’odeur, le goût de la terre.

    De terre en souches. De souches en grains. De grains en cuves. De cuves en cave. De cave en verres. Et de verres en bouche…

    Les gestes du passé, des restes de sacré !

    Comment faire aujourd’hui honneur au grand chambardement que sont les vendanges ? La joie des vendangeurs en fin de journée, le soulagement des vignerons en fin de vendanges, la fin de l’été et l’entrée dans l’automne…

    Il n’y a plus de Fête des Vendanges à Morges depuis des lustres… alors… rendez-vous samedi 29 Septembre pour la Nuit des épouvantails !

  • Tous à la Coquette ce soir !

    C’est fait, Morges a désormais un lieu convivial, au bord du lac, dans le Parc de l’Indépendance, où écouter un concert en dégustant une bière artisanale de Saint-Prex ou d’Apples, un vin de Vufflens ou de Morges !

    Il y a parfois des rêves qui prennent forme, comme ça, au bout de la nuit, autour d’une table, avec quelques amis.

    Un premier avait racheté à bon prix un container, et ne savait trop qu’en faire. Un deuxième rêvait d’offrir à sa ville une scène pour des concerts et des spectacles gratuits. Un troisième se faisait du souci pour sa ville… tous ces chantiers… tous ces nouveaux quartiers… comment faire pour que les gens continuent de se rencontrer ? Un quatrième disait son amour pour une vieille dame qui fête cette année son 120e anniversaire, un patrimoine qu’il considérait jusqu’alors comme ringard, désuet (et qui est si beau !), le Parc de l’Indépendance. Un cinquième, regrettant que la ville tourne le dos au lac, rêvait en secret de pouvoir déplier sa serviette de bain sur un deck en contemplant le Léman, Lavaux, les Rochers-de-Naye, la Dent d’Oche, le Mont-Blanc (tout de même, quel pays !). Un sixième proposait de travailler avec les gens du coin, les vignerons, les brasseurs, les artisans, le pêcheur, le boucher, le fromager, les musiciens, les comédiens, les humoristes…

    Dernière ligne droite, le gros des travaux a pris fin aujourd’hui.

    Cette chronique est un carton d’invitation.

    Ce vendredi 22, la buvette éphémère La Coquette fête son ouverture, et vous êtes toutes et tous les bienvenus ! Tournée générale vers 17h avant la partie officielle, en présence du syndic et de deux Municipaux.

    Puis musique balkanique avec le duo Guralumi et risotto à gogo avant la prise de parole, à 20h, de notre marraine, la très coquette Nuria Gorrite, et de notre parrain, le non moins coquet Yann Lambiel !

     

     

     

     

     

     

     

    Dès le lendemain, c’est parti ! Ouverture tous les jours de 11h à 23h. Samedi 23 à 17h, le librettiste de la prochaine Fête des Vignerons Stéphane Blok et son trio viendront jouer leur nouvel album. Dimanche 24 à 16h, c’est la mythique fanfare béninoise du Gangbé Brass Band qui viendra mettre le feu au lac !

    À ce soir ?

    www.lacoquette.ch

  • Fête des Vignerons, traditions durables...

    Sacrifier la trinité Bacchus-Palès-Cérès pour perpétuer l’esprit de la Fête des Vignerons. La nouvelle a fait réagir. Tant mieux.

    Quelle mouche avait donc piqué la Confrérie des Vignerons pour convier dans sa bastringue régionale des figures de l’Antiquité grecque ? D’abord, Bacchus, en 1730, dieu du vin, puis Cérès, en 1747, déesse des moissons, enfin Palès, en 1797, protectrice des troupeaux…

    C’est simple. La bonne société veveysane avait honte. Honte d’organiser une fête trop péquenaude, cul-terreuse. On s’en serait moqué jusque dans les palaces de Montreux. Pour lui ajouter du crédit, on a obéi à une pratique toujours très répandue chez nous : aller chercher du prestige ailleurs.

    Mais franchement. Demandez à un ado de vous parler de Palès, de Cérès, vous verrez si ces demoiselles font partie de l’ADN de la région…

    Qu’est-ce qui symbolise aujourd’hui l’éternité, l’harmonie ? Que devons-nous ménager et glorifier ? Où retrouve-t-on ses esprits ? Qui nous annonce la santé de demain ?

    Évidemment, la Nature. La terre, d’abord, les forêts, la vie sauvage, les rivières, le lac, l’air pur, la bise, le vent, le soleil, la lune, les étoiles... Nul besoin de robe à paillettes, de chars dorés tirés par des bœufs engraissés pour être abattus, d’actrices dont le seul rôle est d’être belles et de saluer la foule (les mauvaises langues les appellent «les essuie-glace») !

    Et  Bacchus… Ce n’est pas la Fête des «Ivrognerons». Elle n’honore pas le vin, la vinification, mais la vigne, la viticulture. Pas le travail de la cave, celui de la terre.

    Les héros célébrés forment une communauté d’êtres humains discrets, d’anti-héros, de vignerons aux origines diverses, de tâcherons fiers de leur métier. Ils ne demandent rien aux dieux grecs - parfois seulement, à l’État et aux grands distributeurs, de cesser de tout faire pour les voir disparaître…

    Si cette Fête a résisté à trois siècles de turbulences, c’est qu’elle a su s’adapter. Au 19ème siècle, les personnages de Palès et Cérès étaient interprétés par des hommes travestis ; et Bacchus était un jeune garçon hissé sur un petit tonneau… Si elle est devenue patrimoine immatériel de l’UNESCO, la Fête n’entend pas vieillir derrière les vitrines d’un musée. Elle évolue, respire, ne fera grincer quelques dents que pour poursuivre sa vocation, sa raison d’être : transmettre le feu plutôt que conserver les cendres.

  • Morges vu du camping

    « Charmante ville fleurie» (Petit Futé)

    « Petit bourg charmant, surtout les mercredis et samedis » (Routard)

    « Jolie petite cité qui s’anime au printemps avec la Fête de la Tulipe » (Michelin)...

     

    Une sale manie. Que ce soit pour un week-end low-cost ou six mois de bourlingue, rares sont les bipèdes qui vadrouillent sans leur guide…

    Vous seriez-vous déjà amusé à lire ce qu’on y trouve à propos de votre ville  ?

    Concernant ma ville de Morges : « une vieille ville plane, ce qui change de Lausanne » (Merian Reiseführer), « une étape privilégiée pour les yachters internationaux » (Frommer’s Travel Guide), « une ville qui répond parfaitement aux désirs de tranquillité et de repos » (Petit Futé), etc.

    Partout les mêmes things to do : les pavés de la Grand-Rue, les quais avec vue sur le Mont-Blanc, le musée militaire d’un château construit par un Savoyard nommé Louis, la cour intérieure à l’italienne d’un musée qui abrite des collections de poupées et un cimetière à Tolochenaz.

    Alors forcément, on aimerait y mettre le feu, jurer de ne plus jamais acheter l’un de ces instruments d’aveuglement (selon la formule de Roland Barthes) !

    Et puis…

    Tiens, on s’aperçoit n’avoir jamais fait cette visite insolite à la recherche d’une cité lacustre : « des pilotis peuvent être observés, moyennant masque et tuba, au large de l'Hôtel Fleur du Lac ».

    On réalise qu’on est très attaché à une formule qui revient comme une ritournelle dans ces guides : manifestation gratuite. Fête de la Tulipe, Paillote festival, Livre sur les Quais, Nuit des Épouvantails…

    On se surprend à espérer - malgré les gâchis passés et les grands travaux à venir - de connaître encore cette « ville de campagne caractéristique avec un paysage urbain intact » (Reise Know-How).

    On a un pincement au cœur à la lecture du Routard : « auriez-vous pensé pouvoir un jour embarquer sur une galère ? Un projet humaniste que l’on doit saluer ! ».

    Et on ne conteste pas le site Wikivoyage quand il regrette que la Cure d'Air, « une toute petite plage, à côté de la piscine, soit pour ainsi dire le seul endroit où la baignade est facile d'accès à Morges ».

  • Dormir à la belle étoile

    Ma deuxième... et dernière chronique pour "Hotel Revue"...

     

    Ce cérémonial 2.0 de la réservation en ligne. Arrivée le, départ le, nombre d’adultes, nombre d’enfants. Fabuleux, 4.6/5, CHF 96. En forte demande, plus qu’une chambre sur notre site ! Afficher les 364 avis vérifiés...

    Le cérémonial de la réception, codes de décoration et sourires de profession. Toute ma vie résumée en un pays d’origine, une profession, une date et un lieu de naissance. Carte de crédit. Code wifi. L’heure de la fermeture des portes. L’heure de l’immanquable anglicisme «check-out». L’heure du petit-déjeuner, et déjà, en prédire le tableau : chacun à sa petite table, mâchouillant, chuchotant, dévisageant, se levant soudain, rajustant son pantalon pour aller remplir sa petite assiette avant de revenir à sa petite table…

    Le cérémonial de l’ascenseur, le chiffre de la centaine qui est le celui de l’étage. Le cérémonial du couloir, le matricule qui est le numéro de la cellule. Le verrou, l’interrupteur, le pliage du papier toilette, les serviettes en surnombre, le petit mot de bienvenue en police d’écriture manuscrite et une bouteille d’eau qui a voyagé des heures à bord d’un camion pour arriver là.

    Toujours, je pars en quête d’un indice, une infime trace de vie, la preuve irréfutable d’une présence humaine. Je rêve d’un livre oublié dans un tiroir, d’un brouillon de lettre dans la poubelle, et même d’une trace de doigt sur le miroir... mais rien. Il n’y a que le grand écran plat et l’affreuse aquarelle pour me raconter des histoires.

    Ne pas déranger. Ne pas fumer. Ne pas claquer les portes – le tapage, même diurne, est interdit, tout bruit doit cesser entre 22 heures et 8 heures. Ne pas cuisiner dans les chambres. Ne pas consommer des boissons non fournies par l’hôtel. Ne pas faire sa lessive…

    Vraiment, je préfère cent fois le canapé mou d’un vieux pote à vos lits doubles et repassés. Je préfère ma lampe frontale et un bon bouquin à vos 234 chaînes satellites. Je préfère tous les bars de toutes les villes aux minuscules boissons de votre minibar hors de prix.

    Dans une chambre d’hôtel, je plains les gens aisés, les commerciaux, les artistes en tournée, ceux qui n’ont pas le choix. Je plains aussi les hommes et les femmes de chambre, ceux dont on ne connaîtra jamais ni le prénom ni le son de la voix, ceux qui ont pris le premier bus du matin pour venir détartrer mes toilettes, dépoussiérer ma table de nuit, vaporiser, laisser agir, rincer, sécher et faire le petit pli du papier toilette.

    J’ai parfois la nostalgie de quelques bonnes adresses. L’hôtel de la gare de Tioumen, en Sibérie occidentale, où l’on finit toujours par partager des vodkas et éplucher des patates avec des cheminots. La petite pension Violetta, à Beyrouth, dans le salon de laquelle les gens se parlent comme de vieux amis, et qui - je le comprendrai plus tard - fait aussi office de maison de passe. Les hôtels capsules de Tokyo, où l’on dort certes dans deux mètres cubes, mais qui mettent à disposition une cuisine animée, un bar convivial et des bains japonais…

    Bon. Ok. Si la rédaction me laisse écrire ici une troisième chronique, je promets d’essayer de poser sur le monde hôtelier un regard un peu moins défaitiste.

     

    Et bien non.

  • La paille qui est dans notre œil

    Je referme mon quotidien, et imagine. Ces mêmes titres lus par d’autres gens, ailleurs, Syrie, Congo, Turquie…

    Les affaires Tariq Ramadan et Yannick Buttet, les mouvements #MeToo et «balance ton porc»… autant de dépêches qui tomberaient malencontreusement dans les mains de ces femmes syriennes qui se font assassiner, systématiquement violer, anéantir physiquement et psychiquement, depuis maintenant sept ans.

    L’affaire de l’obsolescence programmée, du ralentissement volontaire des iPhone, l’enquête américaine, les excuses d’Apple… une saga judiciaire suivie inopinément par un gosse de Bukavu qui, plutôt que d’aller à l’école, extrait du coltan (minerai indispensable à la fabrication des téléphones), douze heures par jour, abruti par les drogues, creusant à la main, à la barre à mine, craignant les éboulements.

    Le tollé des redevances TV, des fusions, restructurations et disparitions de journaux, des grève à l’ATS, des infos sacrifiées sur l’autel zurichois de l’argent… ces récits alarmants feuilletés par un journaliste turc qui vient de se faire retirer sa carte de presse, comme 774 de ses collègues, qui a vu 150 rédactions fermer et son pays se hisser à la première place du classement mondial du nombre de journalistes emprisonnés.

    Ou alors… le renouvellement de la licence du glyphosate, une manifestation anti-Monsanto, la lutte contre la malbouffe, le fast-food, l’industrie alimentaire, ses scandales, l’intransigeance des végétaliens, des véganes et des antispécistes… tous ces cris du cœur entendus par l’un des 815 millions de Terriens qui souffrent aujourd’hui de la faim (1 personne sur 9), ou par les parents des 3,1 millions d'enfants de moins de 5 ans qui meurent chaque année de malnutrition…

    Ouais.

    Bien sûr, il faut continuer d’éduquer ses garçons, consommer responsable et renouveler l’abonnement de son quotidien…  

    Pour dire vrai, je ne sais pas trop que faire de tout ça et peut-être bien que vous ne savez pas non plus que faire de cette petite chronique déplacée.

  • Bombe fiscale à retardement chez les paysans

    Il y a peu, je me suis rendu à une séance d’information portant sur le nouveau régime fiscal qui n’a pas fini de désoler le monde paysan : en cas de cessation d’un immeuble agricole en zone à bâtir, la taxe passe, du jour au lendemain, de 7% à près de 50%, souvent l’équivalent de plusieurs centaines de milliers de francs !

    La météo était exécrable, en phase avec le thème de la soirée : des rafales de neige, le ciel qui vous tombe sur la tête...

    D’ordinaire, la question fiscale aurait attiré un ou deux Municipaux et une poignée de citoyens soucieux de ne pas rater la verrée. Ce soir, la salle polyvalente est pleine. Il faut ajouter plusieurs rangées de chaises. Pas loin de 250 personnes. Des visages de terriens. Très peu de cravates, sinon celles d’élus venus faire campagne et de conseillers fiscaux flairant l’aubaine...

    Le public est attentif, concentré. Il fait un immense effort pour saisir les explications de spécialistes pas toujours d’accord entre eux. Sur un écran géant se succèdent les présentations Powerpoint bourrées d’articles de lois, d’acronymes et de jargon juridique (une pensée amusée pour le film Les trois frères, vous savez, lorsque Didier Bourdon, Bernard Campan et Pascal Légitimus sont aux prises avec un notaire qui leur sert du « codicile suspensionné », « émolument compensatoire » et « usufruit de quote-part »).

    Souvent conjuguées au conditionnel, les interventions restent prudentes : « a priori pas », « ce n’est hélas pas si simple », « chaque cas est différent », « en droit, la vérité vraie n’existe pas »… Elles s’accordent toutefois que sur un point. Il est inutile de faire recours. Cette loi est fédérale. I-nu-tile.

    Quel cauchemar.

    Ces paysans qui ont trimé toute leur vie et à qui l’on refuse de vieillir dans leur ferme ! Tous ces gens qui seront taxés sur des sommes qu’ils n’ont pas gagnées ! Qui perdent du jour au lendemain leur deuxième pilier ! Qui devront vendre leurs terrains ou hypothéquer leur maison pour ne pas perdre leur toit !

    On parle de centaines de familles concernées. Mais c’est faux. Un jour ou l’autre, toutes les familles paysannes seront concernées par cette imposition. Ceux qui ne paient pas aujourd’hui ne font que repasser la patate chaude aux générations futures. « Le fisc est patient », ose l’un des intervenants.

    Malgré tout, l’échange reste cordial. Il faut attendre les deux dernières questions du public, en toute fin de soirée, pour sentir la tension monter : « C’est un scandale ! Une spoliation de nos biens familiaux ! Vous nous parlez d’équité, mais quelle autre profession paie 50% de taxe ?!? »… C’est ce moment que choisissent les organisateurs pour clore la discussion et… lancer la verrée.

    Quel cauchemar.

    Une loi brutale, mais aussi illégale, puisqu’elle a été promulguée du jour au lendemain, sans préavis ni période transitoire. Une loi qui aurait provoqué des émeutes dans la rue si elle avait touché des salariés syndiqués. Une loi qui ne doit son salut qu’à une immense maladresse appelée « affaire Parmelin » (en 2013-14, le Conseil national et le Conseil des Etats soutenaient encore les paysans dans ce dossier). Une loi qui ramènera chaque année 200 millions supplémentaires à l’AVS et à l’impôt fédéral, une loi tellement mesquine en cette période de « Paradise Papers », quand, au même moment, des milliards sont légalement soustraits au fisc… Une loi honteuse à laquelle il faudrait simplement avoir l’audace de désobéir en masse.

    Sur le sujet : RTS, Mise au point, 5.11.2017

  • La montagne accouche d’un sourire

    Ma grand-mère ne jurait que par le psaume 121 - Je lève mes yeux vers les montagnes. D'où me viendra le secours ? - et je dois ici le confier, j’affectionne beaucoup la seconde strophe de l’hymne national suisse : Loin des vains bruits de la plaine, l’âme en paix est plus sereine... Hélas pour moi, je ne suis ni croyant, ni patriote.

    Il faudrait avoir le courage de rendre feuille blanche.

    Commander des « swiss rösti » au camp de base de l’Anapurna. Traverser de part en part la Cordillère Blanche et n’en garder aucun souvenir. Diluer un litre d’éthanol pur avec un peu de neige au camp de base du Mont Belukha. Faire l’amour au sommet du Mont Tendre. Haïr le business bédouin du Mont Sinaï. Tomber amoureux d’un sommet pakistanais uniquement pour sa musicalité : Rakaposhi. Payer pour courir pendant plus de dix heures, entre La Fouly et Verbier, avec mon prénom et un matricule à trois chiffres agrafé sur le ventre.

    Un papier de taiseux. Un titre, et puis c’est tout.

    Laisser fantasmer le citadin. Troquer ces mauvaises phrases contre une photographie argentique. La paire de mains calleuses d’un paysan de montagne. Un gros plan sur le regard clair d’un vieil alpiniste. Il faudrait surtout ne pas leur donner la parole. Les montagnards sont toujours très décevants lorsqu’ils veulent mettre des mots sur leur passion.

    La montagne est Paysage, et donc Beauté. Silence, et donc Solitude. Effort, et donc Transe. Tout est dit, tournez la page.

    Elle résiste, refuse de s’allonger sur mon écran d’ordinateur, dans sa globalité, son harmonie, son unité. J’aimerais pouvoir déposer ici un peu de musique - pas du jodle - le dévalement d’une pierre, son écho, rien de trop explicite, le cri d’un Choucas, le sifflement d’une marmotte, une légère brise dans l’herbe, le crissement des pieds dans la neige.

    La montagne résonne comme ces films bouleversants dont on ne sait parler.

    Elle séduit, trop facilement, trop naturellement. Alors forcément, elle ment. Elle est hiver, elle est été. Elle est paradis, elle est enfer. Elle est liberté, elle est prison. Elle est désert, elle disjoint,  désunit. De l’ordre de l’éparpillement. Inspirer, expirer, faire le vide. Être comblé. Et au sommet, ne rien trouver d’autre à dire que : Fait pas bon être aveugle, hein ?

    Heidi est née de la dépression d’une romancière zurichoise.

    Comment transcrire ce mélange de frissons, de sueur, de vertige et de fatigue ? Comment me mettre à la place d’un rocher, d’un bouquetin, d’un névé ? Comment ne pas devenir touriste en veste matelassée, randonneur à bâtons télescopiques, pire, trailer trimballant son sac-gourde sur un maillot moulant de finisher ?

    De la tectonique, rien de plus.

    La montagne, une place de jeux. Ses réserves naturelles, des usines à chlorophylle. Ses espèces réintroduites, des animaux en conserve. Ses paysans, des vachers polonais, des subventions fédérales. Ses hameaux, de bonnes affaires immobilières, des vacanciers hollandais. La montagne est matérialiste, raciste, machiste, alcoolique. Toupin, bredzon, Unspunnen, botte-cul. Héliski, trottin’herbes, enclos à lamas, télésièges débrayables huit places…

    Il y eut pourtant ce jour d’octobre.

    Avoir vu, semaine après semaine, s’installer la plus belle des saisons. Entre les brumes de la plaine et les blancs hauts de forme, soudain, de l’or, du cuivre et du bronze. La Tour de Mayen et la Tour d’Aï lavées par la pluie. Un trou dans le ciel, la lumière inouïe du soir. Et laisser descendre mon troupeau. A son rythme. A mon rythme. Une dernière fois.

    En lisière d’une forêt d’automne, des centaines de moutons piétinent un parterre de feuilles mortes.

    Un hommage à la montagne, une commande du Temps, "T Magazine", novembre 2017.